« Nous ne voulons pas convaincre les gens de nos idées, nous
voulons réduire le vocabulaire de telle façon qu’ils ne puissent
plus exprimer que nos idées. »
Cette assertion faussement (parait-il) attribuée à Joseph Goebbels,
Ministre à l’Éducation du peuple et à la Propagande de Hitler,
montre à volonté si besoin en était l’importance de l’abondance
d’un vocabulaire pour une langue, pour une civilisation, pour
l’épanouissement des Hommes.
Autrement, il devient aisé de tomber dans l’ineptie pour les
individus et les groupes, dans l’abâtardisation outrageant ou la
disparition pour les langues, et dans le poncif pour les Arts Sauf si
cet art vient de Souleymane Faye.
Certains le prennent pour un philosophe, d’autres pour un grand
poète, d’autres encore pour un inspiré. Il est chaque chose de
tout cela et tout cela à la fois, et bien plus que tout cela.
Souleymane est un ‘’génie’’.
Il est d’autant plus un génie que son œuvre tient sur une palette
d’un vocabulaire assez réduite.
À la différence de tous ceux à qui on peut le comparer dans le
landerneau musical sénégalais, lui a toujours la voix claire, le
verbe audible, l’expression distincte, et il use de mots qui ne
nécessitent pas l’usage du dictionnaire wolof (la langue qu’il
utilise plus) pour comprendre son propos.
C’est-à-dire avec peu de mots, il a su se hisser au rang de ceux
qui ont imprimé à la chanson et à la poésie wolof moderne ses
lettres de noblesses.
Avec peu de mots il a su exprimer les sentiments et les ressentis
des citadins et des ruraux, des jeunes et des moins jeunes, des
hommes et des femmes. Il a su parler des enfants, de l’intimité
des couples sans être vulgaire, raconter le quotidien du
sénégalais lambda sans être banal, porter la voix des sans voix
sans être vindicatif.
Il parle un wolof qui contente autant les puritains de la langue que
les ultra altérés.
L’homme n’est certes pas Féla Kuti, il n’a pas inventé une
musique, il n’est pas non plus Alpha Blondy il n’a pas imprimé
une couleur locale à une musique universelle. Il n’est pas Myriam
Makeba, il n’a pas colporté la cause d’un combat juste et noble
sur toutes les scènes du monde. Il n’est pas Youssou Ndour, il n’a
pas de disques d’or. Mais il a excellé sur tous les genres de
Musique ; allant de la salsa au lambada, en passant par le zouk,
le rock, le rock and roll, le blues, la musique de variété sans
parler du mbalakh qu’il a très peu pratiqué et les autres sonorités
du Sénégal.
Comparé à plusieurs de ses pairs, l’homme n’est pas prolifique.
Mais sans doute c’est lui qui a produit le plus de chansons cultes.
Surtout des chansons qui allient fond et forme, paroles sensées
et bonne musique, et qui fédèrent tous les publics au tour d’elles.
Il peut chanter avec un souffle digne d’un Abelardo Barroso, tout
comme il sait installer l’atmosphère fiévreuse d’un Ray Charles,
de même qu’il est capable d’une ambiance désinvolte,
humoristique mais très instructive d’un Jacques Dutronc. Sur
scène il sait se donner totalement comme Jacques Brel dont il a
fait une reprise de son morceau culte « ne me quitte pas », dans
une version où simultanément il chante en wolof, et en français.
Sur un de ses autres morceaux cultes « la clef/ caabi ji », Diégo
(son surnom) chante simultanément et indifféremment en wolof,
en français en anglais et en espagnol.
Henry Guillabert le pianiste du Xalam raconte que du temps où
Souleymane Faye évoluait dans ce mythique groupe, une fois sur
scène à Londres, il chanta son morceau Doole tout en anglais
sans avoir prévenu aucun membre du groupe. Ils ont commencé
à jouer, lui à commencer à chanter pas en wolof comme tous
(étonnés) s’y attendaient. Et Henry Guillabert qui est celui qui a
pour la première fois de sa vie fait tenir un micro à Youssou
Ndour (de l’aveu de celui-ci même), dira que Souleymane est le
meilleur chanteur du Sénégal.
Avant le Xalam, Souleymane était un parfait inconnu. Avec
Souleymane Faye le Xalam qui était déjà un groupe légendaire
que l’on programmait à tous les festivals en Occident (variété,
rock, jazz, africains, etc.), attint l’acmé. Après le Xalam
Souleymane Faye peine à retrouver son niveau dans ce mythique
groupe.
Car Souleymane Faye sans le Xalam, c’est le Xalam sans
Souleymane Faye. Les deux restent séparément bons, mais
ensemble ils deviennent excellents.
Moustapha Seck
Poète
Share on: WhatsApp