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Mon Tanor à Moi

Je ne sais pas vraiment quand est-ce que je ferai mon deuil de Ousmane Tanor Dieng. Je sais seulement que je n’oublierai jamais cet homme. J’ai connu Tanor en 1978, à son arrivée à la Présidence où je servais déjà, au Cabinet, depuis deux ans. J’étais au secrétariat de son prédécesseur, Pierre Diouf, alors nommé ambassadeur, et que Tanor remplaçait à son poste de conseiller diplomatique du Président Léopold Sédar Senghor. Je devenais ainsi la secrétaire de celui qui allait devenir, finalement, la pierre angulaire du régime du Président Abdou Diouf, son homme de confiance, premier secrétaire, puis secrétaire général du Parti socialiste du Sénégal.

Bien sûr, cela ne s’est pas fait comme sur un long fleuve tranquille, mais les qualités professionnelles de Tanor, sa rigueur, ses compétences diverses et un caractère trempé lui ont servi à passer toutes les turbulences. Le président de la République Macky Sall, en lui rendant cet hommage émouvant le jour de son enterrement, a bien rappelé les circonstances qui ont amené notre regretté OTD à la présidence de la République. Notamment, la qualité de son écriture qui fit qu’on l’envoya du ministère des Affaires étrangères à Senghor qui cherchait expressément un conseiller aux Affaires étrangères «qui sache écrire». Le Président Sall l’a rappelé, en soulignant qu’une pareille demande, venant d’un poète, Professeur agrégé de grammaire, n’était pas rien.

Tanor a su relever cette gageure de façon magistrale. Ses notes et rapports étaient toujours de grande qualité, et faisaient l’objet de commentaires élogieux au sein des cadres et du personnel du Cabinet. Un jour, le Président Senghor avait mis en note sur un de ses rapports la mention «Excellent». C’était tellement inédit de la part du Président Senghor que tout le monde venait me demander une copie de ce qui était pour eux un document rare. Sur bien d’autres plans que l’écriture, Tanor gagnera l’estime, la confiance et le respect des deux chefs d’Etat qu’il a servi, jusqu’à ce que le Parti socialiste perde le pouvoir.

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Quand arrive la première alternance en 2000, 22 ans après, j’étais devenue une sœur pour lui. Et quand il a quitté la Présidence, je l’ai quittée aussi. J’ai demandé une disponibilité sans salaire que j’ai renouvelée tous les ans, jusqu’à ma retraite, intervenue en 2013. Vu tout ce que j’avais vécu à ses côtés, je ne pouvais pas rester là-bas. Sa pratique professionnelle rigoureuse lui avait permis de gravir tous les échelons ayant conduit à sa brillante carrière administrative et politique, mais elle n’a jamais altéré son sens élevé des relations humaines, sa générosité attentive et discrète, sa fidélité en amitié, sa compassion vis-à-vis des démunis et des diminués de toute nature. Et il m’a toujours associée aux bonnes actions discrètes qu’il destinait aux nécessiteux.

Ce pouvait être des indigents aux besoins modestes, comme des travailleurs de secteurs difficiles, artistes ou sportifs, dont il estimait qu’ils n’étaient pas rémunérés à la mesure des services rendus à la collectivité, ou de gens ponctuellement frappés par une gêne financière ou autre. Souvent, à la Tabaski, il dégageait une certaine somme qu’il mettait entre mes mains, me disant : «Il faut aider les gens (c’était souvent des anonymes) qui demanderont une aide.» Parce que ceux que nous connaissions comme lui, il les aidait lui-même sans que jamais nous n’en sachions rien de précis, parce qu’il ne nous en disait rien.

Il avait porté son attention et son affection fraternelles envers moi à des niveaux insoupçonnables. Et si je témoigne aujourd’hui, c’est essentiellement autour des relations humaines que nous avons entretenues, et qui ont eu pour socle, en plus des qualités que j’ai énumérées tantôt, une grande humilité. Tanor, à son premier mariage avec Arame Diouf, avait fait de moi sa «première njëke», une dignité, une charge, mais surtout un honneur dû par le marié, selon nos traditions, à ses propres sœurs, demi-sœurs ou cousines.

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Ce geste hautement symbolique venait confirmer toute l’affection dont il avait fait montre envers moi depuis que nous avions commencé à travailler. Parce qu’à partir de ce moment, je devenais un membre de sa famille. Et ce n’était pas pour lui que des mots. Il m’a fait totalement confiance, en tant que collaboratrice et en tant que «parente», il m’a soutenue comme sa propre sœur, sans que Kiné, sa sœur utérine, n’en conçoive jamais aucune réserve, il me faut le souligner ici. Tanor m’a assistée personnellement tant que je ne peux prétendre rendre compte de tout ce qu’il a fait pour moi personnellement. Un journal entier n’y suffirait pas. Il a assisté ma famille, permettant à plusieurs de mes parents d’effectuer le pèlerinage à la Mecque. Il a aidé mes enfants, en suivant leur scolarité, leur offrant des bourses. Mon défunt époux, malade, a bénéficié de son soutien constant jusqu’à ses dernières heures. Et après sa mort, Ousmane a continué à nous accompagner dans la vie, dans nos moments de joie comme dans nos peines.

Il me fallait sortir ces quelques mots qui, bien sûr, ne traduiront jamais toute la reconnaissance, la gratitude que j’ai pour Ousmane Tanor Dieng. Je ne parlerai pas de ma peine, je pense à celle de ses enfants, de ses épouses, de ses frères et sœurs, à celle de ces humbles gens qui, de Nguéniène à Dakar, en passant par Mbour et ailleurs dans le pays, pleurent dans l’anonymat un bienfaiteur discret. Et je leur présente à tous mes condoléances les plus attristées.

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Léna LO

Assistante d’Ousmane Tanor Dieng à la Présidence de la République de 1978 à 2000

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