« Ce n’est pas parce qu’on est convaincu que les choses sont sans espoir qu’il faut renoncer à vouloir les changer » Scott Fitzgerald
Ecrire, c’est sortir de ses rêves ou partager des émotions ainsi que des sensations. C’est surtout faire un choix délibéré par nature subjectif, qui peut susciter un débat et exposer l’auteur à des critiques. Pour prendre date et en toute connaissance de cause, j’en prends le risque et décide de partager avec vous un premier jet de mes réflexions sur le devenir de mon parti. Dans une prochaine publication, il sera question de la relecture du Libéralisme social et démocratique.
En effet le Parti démocratique sénégalais, mon parti, est à la croisée des chemins. Piétiné et hésitant, il subit, insoucieux, la singularité de son destin. Loin d’être une fatalité, cette situation nous impose une alternative : l’ériger en conflit ou chercher à lui trouver une solution. Le second qui emporte ma préférence, appelle une introspection collective. Faut-il le rappeler, c’est en toute liberté, dans la dignité, la justice et la fraternité que Maître Wade et ses premiers compagnons l’ont porté sur les fonts baptismaux. Apres privations de liberté, brimades et exactions multiformes, ce commun vouloir d’une alternative au régime de Senghor, s’est matérialisé par une offre politique crédible.
Par un engagement militant, imaginatifs, organisés et solidaires, ces bâtisseurs de cathédrales modernes –- Démocratie, pluralisme politique et syndical, Liberté de la presse – ont été rejoints par le peuple du Sopi, porte-étendard du combat qui a démoli le mythe Jean Collin et un peu plus tard, emporté Abdou Diouf et son régime le 19 mars 2000. C’est également une synthèse de nos diversités et des différences idéologiques, coutumières et doctrinales, acquêts des ralliés post-alternance, qui a permis de mettre en œuvre la vision du Président Abdoulaye Wade.
Ce sera enfin, dans la claire conscience des enjeux politiques de « l’après Wade » et l’énormité de nos responsabilités que nous assurerons, dans un leadership partagé, l’immortalité de l’immense héritage du Maître-fondateur, patrimoine commun à tous les africains. Pour réussir ce pari titanesque, il faut l’avouer, les libéraux doivent retourner à la bonne école du militantisme engagé en manifestant par l’action leur appartenance à une vaste identité collective, et, dans ce sens, renoncer volontairement à leur libre arbitre pour se conformer à des prescriptions qui leur sont communes.
Depuis plus de trente ans, je milite. D’abord en soutenant le nationaliste Cheikh Anta; ensuite par une fréquentation assidue de la gauche clandestine par amitié ou par proximité parentale. C’est à partir de 1980 que Maitre Wade s’est révélé éclaireur de mon viatique politique et a facilité mon adhésion au Pds, même si c’est en curieux que j’ai assisté au 1er Congrès du Pds à Kaolack en 1976. C’est plus tard, en 1982 que j’ai adhéré au parti libéral alors que toutes mes fréquentations idéologiques étaient de gauche.
Militer, c’est surtout compromettre dans l’action, nos libertés individuelles pour ne plus laisser s’exprimer que cette « conscience collective » dont parlait Sartre dans sa « Critique de la raison dialectique ». Sommes-nous toujours des militants?
Indubitablement, les responsables que nous sommes doivent le rester. Et pour toutes ces raisons, je revendique ma part de militantisme dans l’édification de la famille libérale, j’assume ma part de responsabilité dans la défaite historique du 25 mars et m’engage, avec un désintéressement absolu, dans la reformulation du projet politique que nous avions en partage.
Sommes-nous capables de poursuivre l’idéal pour lequel nous avons accompagné Me Wade ? Assurément oui. Pour relever ce défi, l’heure n’est pas aux déchirures. C’est le temps des ruptures positives en taisant nos différends, nos querelles et invectives. Alors, en homme libre, je reste engagé dans le combat pour la renaissance africaine et le triomphe du libéralisme social et démocratique.
Certes, nous sommes nombreux à nourrir une telle ambition qui induit droits et responsabilités, quand bien même j’appréhenderais l’image peu reluisante que certains libéraux n’ont pas manqué de renvoyer à nos compatriotes. Sans discernement, ils sont traités d’arrogants, de va-nu-pieds, de corrompus ; une caractérisation surfaite la plus part du temps et, à tort, globalisante souvent par paresse intellectuelle. Même si l’histoire m’a assigné personnellement un rôle dans l' »Alternance », je ne suis comptable d’aucun fait ou comportement immoral, contraire aux principes de bonne gouvernance et en porte à faux avec l’éthique politique. C’est en grande partie à cause de ces errements que les citoyens de tout bord, seuls détenteurs du droit de vie et de mort sur les élites ont, par un vote de rejet, élu Macky Sall. Une victoire de l’alternance sur l’alternative disent certains. En démocrate et républicain conséquent, je réaffirme mon respect dû à l’implacable immanence du suffrage.
Après cette parenthèse douloureuse, pour plusieurs raisons, Me Wade partira. Quand? Les militants souhaitent ardemment qu’il continue de nous accompagner dans l’ultime combat de la reconstruction. Et qu’il contemple heureux, la renaissance d’un parti réorganisé et conquérant, l’une des forces motrices d’un pays au rayonnement duquel il a grandement contribué. Qu’il reste patron du parti jusqu’après la prochaine élection présidentielle emporte ma préférence.
« Rien n’excite autant le sentiment du devoir que l’impossibilité de s’y soustraire ». Alors, j’emprunte à Tristan Bernard cette vertu afin de rester attaché à cette exigence morale, sublimation politique de mon identité singulière. Que personne ne me reproche d’avoir choisi le réalisme au lieu de porter une ambition démesurément prétentieuse. De Gaulle ne disait-il pas que «le caractère est la vertu des temps difficiles». La politique m’a enseigné l’humilité.
Le PDS a été plongé dans des contre-valeurs et des combines. Or ceux-là qui veulent porter le combat de la réorganisation, ne sont pas exempts de reproche dans la situation que vit le parti pour n’avoir pas assumé leurs responsabilités quand ils en avaient les possibilités. Malheureusement, il faut reconnaitre que les péripéties du congrès d’investiture du CICES qui a consacré le choix d’un Coordonateur général, n’ont pas facilité les conditions d’une transition démocratique. Cependant, je préfère de loin les responsables qui ont assumé leur désaccord en traçant, dès le départ, leur propre voie à ceux qui, croyant avoir endormi leurs copains et coquins d’hier, organisent la rébellion. S’il est possible de sortir le parti de cette impasse, il urge d’engager une profonde réflexion sans a priori et opérer des ruptures épistémologiques tel que Althusser les a empruntées à Gaston Bachelard qui en parle dans « La formation de l’esprit scientifique ».
Même difficile, la situation est loin d’être désespérée. Comme le sphinx, le parti a les moyens de se donner une nouvelle existence en jetant « un regard éloigné » sur son passé. Sans exclure personne, mêmes ceux qui ont rejoint le camp des vainqueurs, tout le monde doit y mettre du sien, y compris ceux qui espèrent un avenir politique en dehors du Pds. Je cite pêle-mêle: Idrissa Seck, Pape Diop, Mamadou Seck, Souleymane Ndéné Ndiaye, Dr Lamine Ba, Abdoulaye Balde, Dr Aliou Sow, Aminata Lo etc. En interne, un débat franc doit s’instaurer et se consolider, sous l’égide d’Oumar Sarr et, avec d’une part Modou Diagne Fada, Habib Sy, Ousmane Ngom, Aida Mbodj, Khafor Toure, Abdoulaye Seydou Sow, Mamadou Bassirou Kebe, Mamadou Lamine Keita etc; et de l’autre, Awa Diop, Samuel Sarr, Madicke Niang, Doudou Wade, Aziz Diop, Toussaint Manga, Wore Sarr, Ibra Diouf Niokhobaye, Tafsir Thioye, Fabouly Gaye, Saer Gueye, Lamine Ba, etc. Cette énumération est indicative et n’exclut aucun responsable porteur d’idées.
Par contre, si cet exercice échoue, ceux qui ont sonné la révolte devraient se résoudre à assumer leurs responsabilités totales dans les ruptures qui se profilent à l’horizon. A moins que les uns et les autres se ressaisissent à temps. La politique ne se résume pas à la quête effrénée de positions et d’avantages. Elle a une vocation beaucoup moins égoïste et plus noble. Elle doit inspirer et attirer les plus jeunes par la promotion de valeurs de liberté, de démocratie, de tolérance, de justice sociale et de progrès. Il est aussi vrai que si les grands hommes sont soucieux d’éthique, les petits préfèrent les étiquettes.
Oui à la réorganisation du Pds. Mais plus que des renouvellements, le parti a besoin d’une solide refondation, préalable à la reconstitution de la famille libérale. Le temps d’un Pds hégémonique étant révolu, le respect de la spécificité de chacun et de tous est nécessaire pour l’émergence d’un seul cadre organique de coopération politique. Le réalisme voudrait que l’émiettement de nos forces à la suite de la perte du pouvoir, serve de catalyseur à un pluralisme créatif. De valeureux militants se sont toujours battus pour garder un groupe soudé alors que d’autres étaient obnubilés par des positions de pouvoir, oubliant leur devoir d’encadrement de la réflexion prospective consubstantielle à la reconnaissance du bien au service duquel nous restons engagés.
Dailleurs je ne vois pas transparaitre dans le parcours de ces derniers une compétence éprouvée pour opérer les ruptures générationnelle, idéologique, programmatique et managériale. Ces ruptures ont vocation à générer une nouvelle offre politique qui passe par le changement des fondamentaux du parti et la promotion d’un leadership partagé corollaire d’un management moderne. Ces nouveaux paradigmes sont indispensables à la quête du progrès qui est l’ultime objectif de l’action politique.
Pour reconquérir la confiance des citoyens désabusés par la désinformation et l’intoxication médiatique, le PDS a besoin de réformes pour s´adapter aux nouvelles réalités de l’espace politique qui a subi, il faut s’en convaincre, des mutations profondes. Notre parti ne faisait plus rêver à cause de comportements négativement appréciés par nos compatriotes.
Cependant depuis quelques temps et il faut s’en féliciter, les données changent avec l’irruption massive de jeunes et de personnalités issues de la société civile dans nos rangs après l’arrestation injustifiée et la détention arbitraire de Karim Wade dont le martyre a bouleversé toutes les certitudes d’alors. Face à cette nouvelle situation dont il faut tenir compte, il urge d’avoir une autre approche qui transcende les clivages internes, les incompréhensions et les ambitions personnelles. La problématique de la réorganisation du parti passe par une approche holistique qui n’exclut personne du jeu et principalement Karim qui semble boucher l’horizon de quelques prétendants au fauteuil.
Des esprits « simplistes » seraient tentés de me cataloguer « Karimiste ». Le cas échéant, à l’instar des « dreyfusards », je réaffirme mon engagement dans les luttes pour la démocratie, les libertés et l’Etat de droit. Qui plus est, une analyse froide et objective du contexte m’oblige à admettre qu’au-delà du parti et sans apport déterminant de son père, il a gagné des galons et devient un cas politique intéressant. L’admettre, c’est se rendre à l’évidence. Mêmes ses concurrents connus et potentiels lui reconnaissent cette aura et l’intègrent dans leur propre agenda. A la différence de ceux-ci, notre ultime combat se résume à accompagner Maitre Wade vers la grande porte de l’histoire que le parti et le Sénégal doivent lui ouvrir.
Au demeurant, le débat de la restructuration ne peut pas se circonscrire entre les Karimistes, Sarristes, Fadaistes, Aïdaistes ou que sais-je encore. Il serait alors malsain et réducteur. Pour être fécond, il doit aussi intéresser tous les ayant-droits à l’héritage politique de Me Wade. Même si chacun a le droit d’avoir des ambitions pour présider aux destinées du parti en reconstruction après une contre-performance électorale, il faudrait au préalable que les prétendants en aient les moyens moraux, intellectuels, humains et politiques.
En attendant, l’heure est au rassemblement autour du Secrétaire général national qui doit encourager et encadrer la réflexion prospective à travers l’émergence de cercles d’échanges et d’animations politiques, de courants de pensées. Contrairement aux mouvements et clans personnalisés, facteurs de division et de dislocation du parti, ces creusets sont sources d’enrichissement fécond et porteurs de progrès. Les groupes politiques déjà en gestation ont leur place dans ce projet politique de grand rassemblement. Oui, l’alternative réelle est à chercher dans le Rassemblement! L’heure étant aux grands ensembles.
En effet, contrairement à ce qu’en pense Me Wade – eh oui, il arrive que nos positions divergent – les courants de pensée sont consubstantiels à la reconstruction de la grande famille libérale dont l’épine dorsale reste le Pds. Ces cadres de réflexion sont une réponse à la tyrannie de l’unanimisme, un remède à l’immobilisme et un palliatif à l’exclusion. Ils sont surtout une bonne approche et une alternative palliative aux échappées solitaires sans lendemain. J’attends de de mes freres et soeurs Libéraux, le retour aux valeurs et la formulation d’idées novatrices et l’élaboration d’un projet politique structuré, cohérent et impersonnel.
Dans Un Destin pour l’Afrique, évoquant l’absence de dialogue et de débats entre les élites africaines, Me Wade disait: « Les dirigeants doivent comprendre que toute expression d’opinion divergente n’est pas nécessairement hostile et, mieux encore, lorsque les choix engagent le devenir de toute une nation- j’allais dire un parti- il est normal, pour éviter des erreurs comme celles qui ont été commises depuis l’indépendance, que toutes les opinions soient écoutées ». J’ajoute: pour que celles-ci soient écoutées et entendues, il faudrait au préalable qu’elles existent, qu’elles s’organisent et s’expriment librement. Je lui emprunte sa pensée pour appeler à un débat d’idées dans les organisations politiques de type démocratique.
Certes l’hégémonisme partisan s’est effondré, mais l’émiettement en petites chapelles serait contre-productif si aucune passerelle de coopération n’était encouragée. Car même sans disparaitre, les lignes de démarcation idéologique s’estompent au contact de l’exigence de plus d’éthique dans l’action politique, plus de démocratie participative, et plus de solidarité à l’égard des couches vulnérables. S’il est logique de faire du Pds, le réceptacle de ces idées novatrices, l’autonomie des partis nés de ses flancs devrait être garantie, le temps des concertations.
Alors, pour la formulation d’une nouvelle offre politique à partir d’une démarche inclusive et d’un leadership partagé, j’invite au lancement et à l’animation d’un large courant : « Libéralisme, Ethique et Solidarité ». Au-delà du cadre étriqué du Pds, c’est autour de ces valeurs que je convie mes compatriotes du Centre-Gauche en général et en particulier, mes sœurs et frères en quête de repères. « Les Libéraux d’origine et d’adoption » dont parlait Me Wade doivent refuser cette chienlit et à engager le processus de leurs retrouvailles par la création du « RASSEMBLEMENT des LIBERAUX et des DEMOCRATES ». Cette alliance dont le nom importe moins pour moi, rassemblerait, sur un objectif commun – la reconquête démocratique du pouvoir – et une stratégie commune, les forces vives et saines du Centre-Gauche afin de parachever la construction d’un Etat fondé sur les valeurs de la République et la Démocratie, l’Etat de droit et la Justice sociale, l’Ethique et l’Equité, l’Egalité des chances et la défense du bien commun.
En effet, sans remette en cause l’existant, ce cadre devrait se distinguer à travers un nouveau Projet politique. Et comme le disait Pascal, « nous sommes tous embarqués » dans une refondation pour laquelle, il n’est point question de contraindre les acteurs à rentrer dans les rangs ou à regagner la maison du père. Il s’agit plutôt d’organiser un « Bad-Godesberg » libéral, faire notre introspection et jeter les bases d’une « ascension de convergence » afin de créer les conditions du développement dont notre pays a besoin. C’est une exigence de raison que devraient porter les jeunesses libérales et démocratiques encore vierges de toute compromission.
Pour conclure, et comme le pense Hermaan Hoppe, « Le cours de l’histoire est déterminé par les idées, qu’elles soient justes ou fausses, et par les hommes dont elles inspirent les actes ». Aussi, quand les idées cessent de s’entrechoquer, l’obscurantisme qui se nourrit de la misère des peuples prend le pouvoir et installe l’immobilisme et le chaos. Or donc, débattons !
Texte publié en juillet 2015 par l’auteur.