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Acte 3 De La Décentralisation : Une Liberté Surveillée (par Abdoulaye Diagne)

CONTRIBUTION

Selon le concept de la décentralisation, l’exercice de certaines missions administratives est confié à des agents qui dépendent, pas du gouvernement, mais de collèges qui tirent leur autorité du fait qu’ils représentent une partie de la population. Ces collèges peuvent représenter soit l’ensemble des habitants vivant dans une zone géographique donnée, soit une catégorie particulière de la population.

Par opposition à la centralisation, caractérisée par l’unification du pouvoir et la détention entre les mains d’une seule autorité de la puissance normative, et de la force publique, la décentralisation apparait comme la négation de la centralisation puisqu’elle est négation des rapports et des pouvoirs qui définissent celle-ci. Politiquement, elle se présente comme un correctif à l’exagération des théories individualistes qui, au nom de l’égalité, ne souffrent aucun intermédiaire entre l’Etat et l’individu et centralise entre les mains des gouvernants la totalité de l’exercice du pouvoir issu de la collectivité nationale.

Socialement, elle répond à la diversité complémentaire des groupements existant au sein de l’Etat, et tend à adapter l’ordonnancement juridique à la différence des traditions, des intérêts et des besoins au plan national. A cet égard, elle est un instrument de liberté puisqu’elle rapproche la décision des individus auxquels elle est appelée à s’appliquer et favorise l’expression des aspirations populaires. Par ailleurs, l’organisation administrative n’opte jamais pour la centralisation ou la décentralisation. Les deux formules coexistent le plus souvent avec la déconcentration qui apparait à la fois comme un correctif nécessaire à la centralisation et un support souhaitable à la décentralisation.

La tutelle a donc pour objet de veiller, au nom de l’Etat, à ce que l’activité de la personne décentralisée ne dépasse pas le cadre de sa compétence et s’exerce conformément à la loi, dans le respect des intérêts supérieurs de la nation. Elle porte essentiellement sur la légalité mais aussi sur l’opportunité des décisions prises par les autorités locales. Contrairement au pouvoir hiérarchique, la tutelle est un pouvoir conditionné : «Le contrôle administratif ne se présume pas ; il ne s’exerce que dans le cas et sous les formes prévues par la loi».

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Les avantages évidents de la décentralisation ne doivent cependant pas dissimuler les écueils inévitables qu’elle rencontre, surtout ceux qui sont créés et introduits par l’acte 3. L’acte 3 de décentralisation apparait ici comme un régime de liberté surveillée. En effet, la loi 2013- 10 du 28 décembre 2013 confère au président de la République la totalité des prérogatives et instruments de gestion des collectivités locales. Les rédacteurs de l’acte 3 ont dévoyé l`idée de communalisation universelle, en plaçant toutes les collectivités locales sous l`autorité du seul président de la République, au lieu de conférer aux élus locaux des pouvoirs normatifs étendus et la prérogative de s’exercer à l’élaboration de textes règlementaires en tenant compte de la spécificité de leur collectivité. Chaque région a des besoins spécifiques.

On a l’impression de revivre les années 1963 – 1970, période pendant laquelle le président de la République est seul détenteur du pouvoir exécutif. Le président Senghor, chef de l’Etat, chef du gouvernement et secrétaire général du parti, assurait presque seul la responsabilité politique du pays. Toutes les décisions étaient prises au nom et sous la responsabilité du président de la République. Ces dispositions découlent de la constitution qui sera révisée plus tard et dont les principes seront rappelés, de façon explicite, par le président Senghor dans l’instruction générale n°15 /PR sur l’organisation du travail gouvernemental.

Mais c’est à l’occasion des évènements de mai 1968 (crise universitaire et scolaire, grève générale) que le régime fut mis à l’épreuve. Le président Senghor prit alors nettement conscience de sa solitude. Et au 7e congrès de l’Ups tenu à Dakar les 17, 18, 19 et 20 décembre 1969, le président Senghor, dans son rapport de politique générale, devait proposer la révision de la constitution dans le sens de faire participer de façon responsable à l’oeuvre de développement national l’ensemble des Sénégalais, et en particulier ceux qui assumaient des fonctions étatiques, à quelque niveau que ce soit. Il s’agissait, devait préciser le président de la République dans son rapport, de transformer le Sénégal en transformant l’homme sénégalais et en le faisant participer à la construction de son devenir.

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Commentant la révision constitutionnelle proposée par lui, le président Senghor devait écrire à la page 159 de son rapport : «Nous n’avons pas été long à remarquer qu’avec une trop grande concentration du pouvoir entre les mêmes mains, les responsables placés au-dessous tendent à se décharger de leurs responsabilités ». Pour y remédier, le secrétaire général de l’Ups préconise la déconcentration. Mais on ne devra pas s’arrêter là ; la déconcentration du pouvoir exécutif sera complétée par la décentralisation du pouvoir législatif au profit des assemblées régionales et municipales. Les mesures de déconcentration et de décentralisation proposées furent approuvées par le 7éme congrès. L’idée de déconcentration fut reprise dans le projet de constitution qui fut adopté par les Sénégalais.

La loi 72-02 et même le projet de provincialisation offrent des conditions plus démocratiques et manifestent plus de capacités quant à la prise en charge des préoccupations essentielles des populations que la loi 2013-10 portant Acte 3 de la décentralisation. L’acte 3, au lieu de promouvoir l’émergence des collectives locales, va les étouffer en marquant un net recul des droits, des libertés économiques et l’amoindrissement de leurs moyens en valeur absolue. Elle sera, sans aucun doute, l’une des lois la plus anti-décentralisation qu’on ait jamais prise au Sénégal et elle sera aux antipodes du développement économique et social des collectivités locales qui doivent d’abord, avant toute chose, lutter contre la pauvreté et contre les inégalités.

Rendre aux citoyens la gestion de leurs propres affaires, directement comme contribuables, comme électeurs ou comme usagers, indirectement, par l’intermédiaire de leurs élus, pour que la collectivité locale offre aux populations l’occasion de faire l’apprentissage de la vie publique non pas dans l’abstrait, mais aux prises avec les difficultés quotidiennes de l’administration, c’est ce à quoi on était en droit d’attendre. Mais, aujourd’hui, les mêmes pratiques sont nettement plus visibles qu’en 1960, les détournements renforcés dans l’action gouvernementale de tous les jours. Hélas, après seulement moins d’un an de tentative d’application, le résultat de l’acte 3 de la décentralisation s’est révélé très décevant. La pieuvre étatique n’a pas été détruite. Les zélateurs sans foi, saisis par l’incivisme administratif et la débauche bureaucratique, ont, au contraire, multiplié leurs tentacules. La solution «Top – Down» n`a jamais prospéré.

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Sous ce rapport, nous considérons que l`acte 3 a été mené à la hussarde. Le gouvernement a rédigé un texte, le parlement l’a voté mécaniquement et aveuglement. Avec des limites objectives. Plutôt que de dire ce qui est bon et ce qui est mauvais au prix de leur poste, les députés se sont focalisés sur les élections locales. Le Sénégal gagnerait alors à enterrer l’acte 3 pour donner naissance à l’acte 4, où il y aurait seulement 7 régions avec 3 départements chacune. C’est en ce moment que devront apparaitre les symptômes d’un développement durable.

 

 

 

 

 

Abdoulaye DIAGNE

Alliance des AINES layegora@hotmail.com

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