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La Fin De L’apartheid N’aura-t-elle Donc Servi À Rien ?

Je vis dans ce pays depuis 1999. Presque vingt ans. Je me déplace beaucoup, mais l’essentiel de ma vie au cours des 20 dernières années, c’est ici que je l’aurai vécue.

Pendant les vingt ans de ma présence ici, j’aurai été témoin de grands moments historiques. L’un de ces moments, ce fut la mort et les funérailles de Nelson Mandela. Je m’en souviendrai toute ma vie. Le XXe siècle, le siècle des luttes pour la décolonisation, le siècle des grandes luttes pour les droits civiques et pour l’abolition de l’Apartheid, le siècle du genocide des Tutsis, ce siècle, pour moi, venait effectivement de se terminer. 

A l’Afrique du Sud, je dois tant, presqu’autant qu’au pays qui me vit naître. ! Je ne voudrais donc pas en parler à la légère. Sans l’Afrique du Sud, je n’aurais jamais pu produire le travail que j’ai finalement produit. 

En tant qu’Africain, mon sort est lié à celui de ce pays, au même titre qu’il est lié à celui du Nigeria, du Soudan, du Congo, du Maroc, de la Cote d’Ivoire, du Senegal, bref de ce Continent.

J’aurai, comme beaucoup d’autres, nourri un espoir lucide quant à l’avenir de l’Afrique du Sud tout en étant conscient de ses faiblesses. J’aurai en particulier été témoin de l’emergence et de l’enracinement dans une bonne partie de la conscience noire sud-africaine d’une pulsion negrophobe qui, episodiquement, se traduira par la traque des Africains et leur persécution. 

Aujourd’hui, je suis désolé d’affirmer que cette pulsion, morbide à plusieurs égards, est devenue aigue et virulente. 

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Tous les Sud-Africains ne sont pas negrophobes. Mais la negrophobie est desormais largement partagée parmi toutes les couches de la population. Elle n’est pas seulement diffusée dans les réseaux sociaux. Elle est disséminée dans les pores du corps social.

Je parle de negrophobie à dessein. Les étrangers en général ne sont pas les cibles de ces violences à répétition. Les proies de ces traques, ce ne sont pas les Européens, les Américains, les Chinois et autres. Ce sont des Africains du sud du Sahara et, cela est parfois arrivé, des Sud-africains pris pour des Negro-Africains (pour utiliser une terminologie senghorienne). Il y a donc, manifestement, une obscure dimension à la fois morbide (je le répète) et raciologique à l’oeuvre dans ces pogroms.

J’utilise aussi le terme “chasse” à dessein. Des hordes armées soudain se forment et organisent des descentes sur le terrain. Elles pourchassent ‘au facies’, pillent les commerces, infligent des blessures et autres entailles à des corps malmenés, font couler le sang, et, à l’occasion, brulent tout, y compris des hommes vivants, dans une sorte d’exaltation à la fois furieuse et cannibalique.

Je sais que traiter de cette sorte de vampirisme social dans ces termes est de nature à agacer de belles âmes. Mais comment décrire autrement ce qui se passe?

Et puis la sempiternelle question: comment en est-on arrivé la? 

L’Apartheid a évidemment bon dos. Et donc en chœur, nous répétons la même antienne. L’Apartheid aurait radicalement déshumanisé ses victimes. Et leurs bourreaux. Mais jusqu’à quand continuerons-nous de croire en nos fables?

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Puis, il y a l’argument économique. Les inégalités criardes. Les nombre ahurissant de chômeurs et de sans-travail. Une vertigineuse pauvreté. On oublie que tous les chômeurs du monde et tous les destitués et autres damnés de la Terre ne répondent pas à leurs conditions en s’en prenant de cette manière aux non-nationaux.

Manifestement, quelque chose de très obscur et de très profond se joue dans ces bachannales à répétition. Si la traque des Negro-Africains est spectaculaire, il ne faut pas oublier que le vampirisme social auquel je fais allusion clame aussi d’autres catégories de victimes. En particulier les femmes. 

Voici un État qui a réalisé de réels progrès en terme de représentation des femmes dans les rouages du pouvoir. En même temps, voici un peuple engagé dans un processus systémique de destruction de ses femmes. Faut-il parler des viols endémiques, des brutalités de tous genres, qui n’épargnent pas même les enfants?

Face à tout cela, le gouvernement est évidemment embarrassé. Qui, en Afrique ou ailleurs dans le monde, va prendre au sérieux un pays dont les ressortissants agissent aussi sauvagement, et confirment à la face du monde la somme de préjugés que l’histoire a toujours nourri à l’egard des Negres?

Qui va accepter que sur la scène internationale l’Afrique du Sud s’exprime au nom des Africains si elle les traite de cette manière à l’intérieur de ses frontières? 

L’extraordinaire capital amassé lors de la lutte de libération a été dilapidé. Nombre d’intellectuels, hommes et femmes d’affaires, entrepreneurs, artistes et autres professionnels africains ne veulent plus entendre parler de ce pays qui, dans ses consulats, les fait ramper aux fins d’obtention d’un visa de court séjour. De ce pays qui, à travers ses firmes, exporte le racisme dans le reste du continent. De ce pays qui ne sait pas quelle est son identité dans le monde. De ce pays qui constamment aura oscillé entre la monstruosité et l’angélisme?

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La libération du colonialisme et la fin de l’apartheid n’auront-elles donc servi à rien?

Certainement pas. Mais un énorme travail nous attend. Le sort de l’Afrique est entre nos mains. Collectivement. Nous en ferons ce que nous voulons, à condition que se lève une nouvelle conscience de notre destin dans le monde. 

Au rythme ou ce monde va, et au regard de la façon dont il nous traite, une chose est claire. Nous devrons tout faire et tout donner afin qu’aucun.e Africain.e ou personne de descendance africaine ne soit traite.e comme un.e étranger.e en Afrique.

Ceci, personne d’autre ne peut nous le donner. Ou nous nous l’offrirons. Ou alors on ne parlera de l’Afrique que dans les termes d’un immense Bantoustan!

L’Afrique du Sud doit pleinement apporter sa part à la montée de cette conscience. Elle doit contribuer à la grande réouverture de l’Afrique sur elle-meme et à la renaissance de notre Continent. 

Nous sommes en droit de l’exiger d’elle. Cela fait partie de ses obligations et de ses devoirs. Elle n’a pas d’autre choix. 

Nous non plus !







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