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Quand Les Sons Du « xalam » Se Muent En Concepts

Quand Les Sons Du « xalam » Se Muent En Concepts

La mort a rendu désormais inaudible la voix de Samba Diabaré Samb. Mais il y a une chose que la faucheuse ne réussira pas : c’est couper les cordes du «Xalam» du défunt. Ces sonorités flottent dans l’espace de la mémoire qui racontera l’origine jusqu’à la fin des temps. C’est d’ailleurs contre l’oubli et en guise d’hommage au maître du « Xalam », que nous soumettons à votre attention ce texte que nous avons produit, en tant que journaliste à sud,  il y a juste quelques années. Il s’agit du face à face du griot et du philosophe, Samba Diabaré Samb et Mamoussé Diagne. Cette rencontre s’est déroulée dans le grand amphithéâtre de l’Ucad II. Bonne lecture 

Les autorités académiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar(Ucad) ont, à l’occasion des festivités du cinquantenaire de l’institution, réussi la prouesse de réunir dans un amphithéâtre le « philosophe et le griot » au cours d’une soirée culturelle. Il s’agit du philosophe Mamoussé Diagne et du joueur du Xalam, Samba Diabaré Samb. Par un jeu de question-réponses ou d’interpellations, les représentants de deux traditions, celle de l’écrit et de l’oral, ont eu des échanges fructueux qui font croire que ce face à face se situe en deçà ou au-delà des contingences d’une rencontre entre, d’un côté, un universitaire dont la discipline revendique « l’amour de la sagesse » et de l’autre, un griot dont la richesse du patrimoine culturel n’a pas peut-être rien à envier à la pensée discursive. Finalement philosophe et griot se rencontrent par une sorte d’ascèse où les sons du « Xalam » se muent en concepts. Il s’agira, dans ce cas, de ne pas seulement tendre l’oreille, mais faudrait-il qu’elle soit fine pour se saisir de l’essence d’une parole qui se libère de ses scories au fur et à mesure que les débats s’élèvent, que les échanges se couvrent du voile de l’herméneutique.

Mamoussé Diagne : El Hadji Samba Diabaré Samb, je te salue de la meilleure des façons qui convienne à ton rang. Je te salue par ton nom, par ton prénom. Je salue ce que tu es et ce que tu représentes, ce que personne ne peut ignorer, sauf à ignorer le Sénégal lui-même et sauf à ne pas demander à quelqu’un qui ne connaît pas le Sénégal. Or, Cheikh Moussa Ka a dit : « Point de salut pour qui ignore et qui ne demande pas à celui qui sait ».

Je te salue au nom du Recteur, au nom de celui qui dirige cette Université qui porte le nom illustre de Cheikh Anta Diop. Je te salue au nom de tous ceux qui, à l’université constituent les hommes de savoir : les enseignants, les chercheurs, les étudiants, et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, contribuent au succès des missions de l’université.

Toutes ces structures au nom desquelles je te salue, te souhaitent la bienvenue. L’Université est consciente de l’importance de celui que nous accueillons.

La raison en est que depuis longtemps, nous avions conçu et nous avions souhaité cette rencontre. Il se trouve simplement que c’est aujourd’hui que Dieu a décidé qu’elle aurait lieu. Dans cette enceinte où, non seulement le savoir mais une éducation digne de ce nom est dispensé aux jeunes, celui qui nous aide à nous rappeler ce que nous fûmes et nous dit ce que nous avons à être, nous lui devons toute notre reconnaissance.

Nous ne pouvons pas nous adresser à toi, sans en même temps évoquer la mémoire de tes compagnons de toujours : il s’agit d’El Hadji Amadou Ndiaye Samb, Abdoulaye Naar Samb, et d’El Hadji Demba Lamine Diouf, Assane Marokhaya, Kani Samb.

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J’ai coutume de dire en ta présence et à ton absence que Samba Diabaré Samb est le Prince des « Ndanane » ; il est le griot des rois et c’est ce qui fait de lui le roi des griots.

Ce qui le prouve, c’est, lorsqu’on entre chez toi, à côté de tes deux décorations dans l’ordre du mérite et de reconnaissance de monument vivant, les portraits, de Serigne Abdoul Aziz Dabakh, d’une part et de Gaïndé Fatma, de l’autre. Ce qui le prouve, ce sont tous ces hommes de qualité et de haut rang, qu’il s’agisse de chefs religieux ou de chefs coutumiers dont on pensait les larmes taries, et à qui il est arrivé, de verser des larmes, rien qu’en écoutant le son de ta guitare. C’est bien pour cela que je pense qu’il aurait mieux convenu pour l’Université de mettre à cette place quelqu’un d’autre que moi, quelqu’un d’autre comme mon illustre maître, feu Mbaye Guèye. Parce que je me trouve dans une situation tout à fait inconfortable, celle de « Bouki », c’est-à-dire quelqu’un, de toute manière, doit se rendre à résipiscence. Je sais également que, je suis, de tous ceux qui pouvaient être en face de toi, de tous ceux qui étaient les représentants de l’Université, l’un des moins qualifiés pour le faire. Parce que seul, devant quelqu’un qu’on appelle griot ou « Guèwal », c’est-à-dire quelqu’un qui fait en sorte que le « Guèew », le cercle se forme autour du maître de la parole et se disperse, une foi que cette parole s’est tue.

Et c’est pour cette raison que, El Hadj Samba Diabaré Samb, ayant dit ce que j’ai dit, ayant transmis les salutations du Recteur et de tous ceux qui représentent l’Université de Dakar, je te demande comment tu réponds à ces salutations – et j’émets le vœu que tu le fasses par le son de ta guitare.

Samba Diabaré Samb : J’aurais du mal à répondre à des salutations formulées avec une telle élégance, par un homme de culture, dans ce lieu qui n’est fréquenté que par des hommes d’une haute culture. Je commence, après vous avoir remercié de m’avoir dit ce que vous attendez de moi, et après avoir répondu à toutes ces salutations que tu as bien voulu me transmettre, par confirmer ce que tu as affirmé d’entrée de jeu, en disant qu’un peuple qui ne sait pas ce qu’elle a été ne peut plus s’orienter. En vérité, elle ne va plus nulle part. Il y a toujours eu des hommes qui, dans toutes les circonstances de la vie étaient chargés de rappeler ces choses aux hommes, en ayant les yeux fixés sur les repères qui donnaient sens et valeur à ce que les hommes faisaient et disaient. Pour ce qui concerne les jeunes en particulier, je leur dis de s’armer de leur courage et d’apprendre, avec toute la foi et la détermination dont ils sont capables, sans s’occuper d’autre chose, notamment de rentabilité immédiate. Si les étrangers ont pu triompher, ce n’est certainement pas parce qu’ils étaient plus vaillants que nos ancêtres, mais simplement parce qu’ils avaient des canons, donc une technique supérieure. Et une technique, ce n’est pas du courage, mais du savoir.

Mamoussé Diagne : Samba Diabaré Samb, on dit qu’un couteau ne se rase pas lui-même et pourtant, j’aimerai bien que tu dises à l’Université qui tu es et d’où est-ce que tu viens ? Quelle est ta filiation ? Et également, pourquoi tu as choisi le « Xalam » comme instrument privilégié ?

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Samba Diabaré Samb : Le « xalam » est l’instrument dont j’ai appris à jouer très jeune, et avec lui, je peux tout dire, tout exprimer. Je pense, en ce qui me concerne, que le « xalam » est un instrument au moyen duquel on peut exprimer tous les sentiments humains, des plus manifestes aux plus secrets. Il peut être fait de trois à cinq cordes, selon l’air que je veux jouer dessus : le Niany, l’hymne de Soundiata ou le Lâagya. Les différentes ethnies élisent, chacun en ce qui le concerne, un type privilégié d’instrument, comme le rîti chez les Hal Pulaar ou la Kora chez les Mandingues. Dans tous les cas, l’intention demeure la même : exprimer, au moyen de l’instrument des idées et des sentiments, transmettre un message. Ce n’est pas exclusif des instruments à cordes, puisqu’il y a aussi les instruments à vent ou les instruments de percussion comme les différents tam-tams.

Mamoussé Diagne : J’aimerais bien, si je dois résumer dans des propos relativement concis, dire ce que j’ai présenté ou exposé en français tout à l’heure devant cette assemblée.

J’ai essayé de faire un rapprochement entre l’oubli et la mort, pour dire que d’une certaine façon quelqu’un qui oublie, quelqu’un à qui échappe ce qu’il a été et ce qu’il est, il erre parce qu’il est perdu et parce celui qui se perd et perd ce qu’il a de plus précieux ne peut lui-même qu’être oublié par les hommes et être oublié équivaut à mourir.

C’est pour cette raison que toutes les civilisations et toutes les races inventent des ruses, des techniques et des procédures pour retenir exactement ce qu’ils sont et pour faire en sorte qu’aucune de ces calamités ne leur arrive. Certaines le font en utilisant l’écriture parce qu’ils l’ont à leur disposition, comme les Grecs et les Latins, et d’autres, parce qu’ils n’ont que la mémoire vive, font appel à des maîtres de la parole comme toi.

Il est vrai qu’ici même en Afrique, du côté de l’Egypte et de certaines régions du continent, l’écriture a existé mais n’a pas eu la même ampleur. Sur cette question-là, j’aimerais savoir ce que tu en penses.

Samba Diabaré Samb : En l’absence d’écriture, la seule possibilité qui reste à l’homme, c’est de faire en sorte de ne pas oublier ce qu’il a été, pour pouvoir, à tout moment savoir où il va, comment et avec qui. C’est ainsi que lorsqu’on narre la généalogie de quelqu’un, il arrive fréquemment qu’au bout du compte, d’autres se découvrent des liens de parenté avec lui. Ce qui n’aurait pas été possible si un soin particulier n’avait pas été mis à retenir justement les liens d’alliance entre les familles qui se sont dispersées entre-temps depuis longtemps parfois. Se connaître est la seule possibilité de savoir exactement ce que nous devons à ceux qui nous ont précédé et ce que nous devons faire à notre tour pour être dignes d’eux et qu’on se souvienne honorablement de nous.

Mamoussé Diagne : Samba Diabaré Samb, j’aimerais que tu dises à cette assemblée ce que le Xalam dit. Si je pose cette question, c’est parce que – et pour faire court – je t’entends chanter Mouse Bouri Déguène Kodou : « Lorsqu’il allait à Guilé, il était à cheval et lorsqu’il revenait de Guilé, il était toujours à cheval, mais il était couché en travers, c’est-à-dire en cadavre ».

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D’après ce qu’on m’a raconté, la veille de la bataille de Guilé, lorsqu’ils allaient retrouver Alboury Seynabou Yalla, après que Gancal Modou Makhourédia ait fini de jurer au milieu du cercle, Guilé, Mouse Bouri Déguène Kodou s’est saisi de la lance pour prêter serment et qu’en ce moment-là un de tes ancêtres est arrivé pour le chanter. Après quoi, il lui a posé la question : Mouse Bouri Déguène Kodou, toi à qui le Kayor et le Baol durent de se coucher le ventre vide, qu’as-tu à dire à cette assemblée ? Il répondit : demain, lorsque nous irons à Quilé, hé bien, tous ceux qui avec moi iront, reviendront ici pour en parler. Or moi, je ne reviendrai pas du fait même de l’honneur que m’a fait Samba Laobé. Si je dois en retenir une leçon, c’est pour dire que Samaba Diabaré Samb, les cordes de ta guitare sont tirées des fibres qui irriguent nos cœurs. J’aimerai sur cette question que tu confirmes ou infirmes ce que je viens de dire.

Samba Diabaré Samb : Samba Laobé a fait un honneur spécial à Déguène Kodou, parce que le jour même où il devait se préparer à aller livrer bataille et qu’on a servi les repas, Samba Laobé a demandé où était Mouse Bouri Déguène Kodou, on lui avait dit qu’il était parti à Djadieu. Il a alors donné l’ordre que personne ne mange avant le retour de Moussé Bouri Déguène Kodou. Et Mouse Bouri Déguéne Kodou n’étant revenu que le lendemain, le Cayor et le Baol durent se coucher le ventre vide. Lorsque vint le moment de la cérémonie de prestation de serment, il ne sortit pas de chez lui, et à sa mère qui, inquiète, vint le trouver, il répondit qu’il était inutile pour lui de se présenter. Il n’avait qu’une seule façon de s’élever à la hauteur du geste de Samba Laobé. Et séance tenante, il demanda à ses épouses de se détresser les cheveux, en signe de deuil. Et c’est depuis ce jour que cet air de musique a été créé pour lui.

Mamousssé Diagne : S’agissant de la philosophie, disons que c’est une réflexion, une contestation, c’est également une pensée. Réflexion, c’est-à-dire retour sur soi de la pensée elle-même. Elle peut être une pensée qui s’augmente du fait même de ce retour sur soi. C’est une pensée qui peut contester une autre pensée ; c’est une pensée que l’on peut mettre à l’intérieur d’une autre pensée ; c’est une pensée également qui peut couronner une autre pensée, non pas pour la prolonger, mais pour la rendre plus belle. Et dans notre propre histoire, nous avons connu des hommes qui étaient de très grands penseurs comme Kocc Barma Fall, Xalima Diakhaté Kala, qui distinguaient « wax-tann », c’est-à-dire à l’intérieur d’un propos, choisir un propos secondaire qu’on met en évidence ; le « Werante », c’est-à-dire la discussion contradictoire ; le « dàgge », c’est-à-dire l’affrontement verbal. Sur ces notions, j’ai eu autrefois quelques échanges avec le regretté El Hadj Demba Lamine Diouf, et il est probable que dans très peu de temps, vous et moi les prolongions. Car notre vœu est de faire en sorte que notre université ne soit pas déconnectée de son espace naturel, et que de ce partenariat soit forgé le meilleur bouclier dans un monde en passe de perdre ses repères. Je te réitère les remerciements de toute la communauté universitaire.







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