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L’intellectuel Et Le Prince

Depuis Platon la tentation de l’intellectuel est d’être conseiller du Prince, l’éclairer, tout en gardant la liberté de dénoncer ce qui est contraire à l’idéal de la société heureuse. Une position parfois périlleuse. Platon fut vendu comme esclave par le tyran de Syracuse. Quand l’intellectuel veut se substituer au Prince, il doit toujours se souvenir de cette juste citation de Saint-Just : « Nul ne gouverne innocemment ». 

Dès lors, l’intellectuel est souvent confronté à un dilemme. Doit-il se contenter d’être un homme de réflexion, un sage détaché de tout, consacré à la poursuite et à la défense d’une vie de la raison sous ses formes les plus pures et les plus abstraites ou être un homme d’action, décidé à participer aux luttes politiques et sociales de la société à laquelle il appartient ? Il me revient l’image de cet intellectuel guinéen, qui a eu à occuper d’importantes charges ministérielles dans son pays avant d’être limogé brutalement pour avoir osé critiquer ce qui est « contraire à l’idéal de la société heureuse ». La mine désemparée, l’homme expliquait à ses pairs son malheur en ces termes : « Si on reste à l’écart de la gestion des affaires, on nous accuse de fuir nos responsabilités ; si on rejoint le gouvernement, on nous accuse de compromission ».

Dans son excellent ouvrage posthume, « Penser l’Afrique noire » (L’Harmattan Sénégal, 2019), Alassane Ndaw souligne que le travail de l’intellectuel, qui est de produire des connaissances, de mettre en forme les idées, le met « nécessairement en contact avec le pouvoir ». Confronté à l’interrogation du pouvoir, il est tenu de répondre. Même si le pouvoir ne tient pas compte de ses réflexions considérées souvent comme utopiques, il est appelé à servir de caution morale pour la crédibilité du discours politique. Parfois, il n’échappe pas à l’aveuglement collectif, aux préjugés. Après tout, chacun n’est que le fils de son époque. 

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Face aux injonctions du pouvoir et de la société, il y a deux possibles : l’engagement de type sartrien, jusqu’à l’aveuglement, ou adopter la position du clerc plein de détachement à l’égard de la « réalité rugueuse », n’ayant d’autre souci que d’échapper à la fureur de l’histoire, mais s’arrogeant la mission de critiquer ce qu’on n’a pas la capacité de redresser.

En participant aveuglément, l’intellectuel se transforme en chien de garde. « Il se fait complice de l’oppression à l’égard des masses laborieuses et singulièrement des masses rurales », dit Alassane Ndaw. En s’accommodant de la contradiction entre ses propres opinions et la politique menée par son gouvernement (même si celui-ci est démocratique), il « s’associe à la trahison des clercs qui adhèrent à un programme, pertinent certes à leurs yeux, mais se gardent bien d’en dénoncer les applications aberrantes et mensongères ». Autrement dit, l’intellectuel qui excuse l’injustice au nom du réalisme politique « manque à ses obligations et contribue à l’asservissement des couches les plus défavorisées. »

Pour l’intellectuel engagé dans l’action, la difficulté réside dans le fait que les choix politiques n’ont pas souvent la pureté des choix moraux. Dans un domaine (la politique) où les combats sont souvent ambigus, douteux, l’intellectuel est condamné à rechercher le préférable, qui n’est que l’autre nom de la compromission.

Il convient enfin de s’interroger sur le statut de l’intellectuel. Qui est intellectuel ? En Afrique francophone, on a l’habitude de désigner sous ce vocable, toutes sortes de gens. Depuis les travailleurs non manuels (les « borom » faux cols) jusqu’aux diplômés d’université, les spécialistes et les experts comme les idéologues les plus abstraits, en passant par les hommes d’action, les hommes de pensée, les philosophes, les journalistes les artistes, les bureaucrates et les technocrates, tout ce beau monde se réclame de cette caste. En tant qu’agents du pouvoir établi, commis du groupe dirigeant, fonctionnaires de la superstructure, les intellectuels sont le plus souvent comme certains griots traditionnels : à la disposition de tous et de chacun, observait le défunt historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo dans le n°39 de la revue « Autogestion et socialisme » (septembre 1977). « Il s’agit donc d’une couche qui peut facilement devenir mercenaire et vénale, d’une classe peripatécienne ».

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Si l’on trouve donc des intellectuels dans tous les camps, qu’est-ce qui caractérise l’intellectuel ? Chez un intellectuel, l’attachement au monde des idées doit l’emporter sur toute autre forme d’allégeance ou d’engagement, estime Alassane Ndaw. Mais pour s’inscrire dans le concret, il devra « descendre de son piédestal et se mêler à la foule ».







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