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Cheikh Anta Face À La Trahison Macronienne

(Manifeste pour un libéralisme patriotique culturel et son corollaire : la réinstauration des visas)

C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau ! Ritournelles populaires et satiriques contre l’esprit des lumières à l’origine du libéralisme ! En Afrique, la clameur monte ces dernières décennies : c’est la faute au libéralisme depuis les programmes d’ajustements structurels ! Cette doctrine de philosophie politique est accusée de tous les maux.  Les néo-gauchistes se ragaillardissent.

Au Sénégal, la dernière visite du FMI, l’affaire Aliou Sall et le tourisme médical relancent la fracture idéologique autour de la croissance économique et du patriotisme. Ousmane Sonko a une longueur d’avance sur ses concurrents. Le patriotisme est son ADN depuis son ascension. Il pointe un doigt accusateur vers les multinationales dans les affaires de gestion des ressources naturelles. Ça fait mouche auprès des jeunes !

Le fond du problème est bien là. Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire, avait soutenu que le libéralisme est la seule alternative crédible pour l’Afrique à condition que l’Africain gagne sa souveraineté. Il faut retourner aux sources du libéralisme à savoir une doctrine politique de libération des peuples, centrée sur la liberté et la reconnaissance de l’individu. Autrement dit, l’Afrique doit être maîtresse de son propre destin, en commençant par le commencement, son identité culturelle, comme fer de lance de son indépendance. C’est cet axiome qui conditionnera tout le reste, la bonne gestion des ressources, la bonne gouvernance et le développement endogène.

La trahison macronienne, la non-part d’Afrique de la France

Dans son discours blasphématoire à Dakar, il y a 12 ans, Nicolas Sarkozy avait exposé l’idée que, du fait de la colonisation, il y avait une part africaine et une part européenne dans chacun des Africains. Emmanuel Macron, récemment, a allégué que la France a une part d’Afrique. Léopold Sédar Senghor traduisit ce phénomène de connexion et d’interconnexion en ces termes : « Si mes œuvres ont une certaine qualité, cela tient essentiellement de leur métissage culturel, très précisément afro-européen ».

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Euro-africains, afro-européens, ce sont les combinaisons gagnantes d’une nouvelle relation entre les deux continents ! Le clou du spectacle, ce sera la Saison Africa 2020 en France, en marge du Sommet France-Afrique à Bordeaux, pour entre autres, changer le regard et casser les préjugés.

Mais, car avec la France, il y a toujours le revers de la médaille ! Rappelez-vous de Nicolas Sarkozy et sa légendaire franchise et sincérité (sa « décomplexitude » paternaliste) : « J’aime l’Afrique, je respecte et j’aime les Africains ». Quelques minutes plus tard, dans le même discours de la honte, il lâche une phrase assassine à l’endroit des Africains : « Ne ressassez pas l’âge d’or de l’histoire (de l’Afrique), il ne reviendra pas car il n’a jamais existé ». C’est bien connu, la France, c’est un ami qui vous (les Africains) veut du bien !

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Lors de l’adoption du Pacte de Marrakech sur les migrations, enfin, l’espoir de donner une image plus positive des migrants était permis. Emmanuel Macron, chef de file de ce Pacte, était opposé aux extrêmes droites européennes dont les principales critiques délirantes se résumaient au pillage des pays d’accueil, au grand remplacement et au communautarisme par l’institutionnalisation des diasporas. Emmanuel Macron, il y a quelques semaines, a trahi l’esprit de cette Charte, et par la même occasion l’Afrique et sa Diaspora. Avant le débat annuel à l’Assemblée nationale sur l’immigration, le président français, à huis clos, déclara devant les parlementaires de son parti que « les classes populaires vivent avec (les immigrés) ».   

En somme, l’Etat français s’était engagé à encourager le débat public fondé sur l’analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues (Objectif 17 du Pacte sur les migrants). Le « vivre avec » vient de casser la dynamique de ce Pacte, a fortiori lorsque son principal initiateur le viole ! Il a suffi d’une petite phrase aux visées électoralistes pour montrer l’étendue du mal en France avec les personnes d’ascendance africaine (car elles sont issues de l’immigration !) et in fine l’Afrique (car ce continent serait pourvoyeur de migrants !). Pour se justifier, Emmanuel Macron assure qu’aujourd’hui de plus en plus de migrants viennent d’Afrique. Ce faisant, la France, selon le président, doit s’appuyer entre autres sur sa politique africaine (je croyais qu’il n’y en avait pas, d’après l’intéressé !) et sa politique de développement.

Cependant, un récent rapport de l’OCDE du 18 septembre dément Emmanuel Macron. L’idée d’invasion par les migrants africains est fausse. Autrement dit, le président français nous parle de l’immigration avec calme et sans être « l’otage de débats simplistes », nous dit-il, mais cible toujours l’Afrique de façon sournoise et trompeuse, une attitude contraire à l’esprit du Pacte de Marrakech. Ceci est d’autant plus grave que les sondages sur l’immigration sont tous édifiants : près de la moitié des français surestime le pourcentage de la population immigrée en France. Et deux français sur trois voient les migrants comme une menace. Le Pacte de Marrakech est mort-né par la faute de son principal défenseur !

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La charte Cheickh Anta Diop et la réintégration des visas d’entrée

Cheik Anta Diop connaît un retour en grâce. La récente controverse autour du savant, entre les intellectuels sénégalais – Boubacar Boris Diop et Souleymane Bachir Diagne, montre la fertilité du débat culturel en Afrique. Là où la France n’est plus capable de se projeter dans un imaginaire collectif, de composer avec sa diversité qui la relie au monde et de concevoir un vivre ensemble à la française comme une miniature de l’Universel servant de modèle aux autres Nations ! Le pays des Lumières se replie, se replie dangereusement, son rapport avec l’autre et le monde, n’étant plus perçu comme une force génératrice civilisationnelle mais comme la manifestation visible d’une peur existentialiste : la France redevient un village gaulois ! La France est quelconque !

Au Sénégal, un détracteur à la restauration des visas d’entrée faisait valoir que son pays n’avait, je le cite, « aucune richesse culturelle à offrir ». D’autres avancent que cette mesure desservirait les intérêts économiques du Sénégal. Je soutiens le contraire. C’est la liberté-indépendance qui est en jeu. Celle d’affirmer une réciprocité et un droit égal au respect et à la dignité. C’est une réponse surtout apportée aux français. Même si le Conseil constitutionnel a retoqué la loi portant sur l’augmentation des frais universitaires, il n’en reste pas moins vrai que les étudiants africains francophones ne sont plus les bienvenus. La contre-mesure, c’est l’exigence d’affirmer sa souveraineté qui fait tant défaut et fait perdre beaucoup, beaucoup d’argent au Sénégal. La restauration des visas dépasse donc de loin la simple question technique du contrôle des frontières, c’est la place de l’Afrique dans le concert des nations qui se pose.

Cette réintégration des visas, pour ne pas suivre le même échec que les précédentes, doit s’accompagner d’un dispositif culturel pour lui donner un sens. Je l’ai appelé la Charte Cheikh Anta Diop, le réhabilitateur de l’Afrique dans l’histoire, dans l’estime de soi et dans la considération de l’autre. La politique des visas, certes, est un outil indispensable pour maîtriser le contrôle de l’accès au territoire et pour lutter contre la menace terroriste. Mais n’oublions pas que, pour les touristes lambda, demandeurs de visa, c’est surtout leur premier contact au Consulat avec le Sénégal. C’est une opportunité pour distribuer un livret sur le Sénégal énonçant l’identification des valeurs africaines, les grands traits de l’histoire du Sénégal, l’interculturel en pratique et les lieux culturels.

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La charte Cheikh Anta Diop devra être complétée par une journée d’intégration pour les étrangers désireux de s’établir au Sénégal au-delà de trois mois. Symboliquement, celle-ci pourrait se tenir au Monument de la Renaissance Africaine ou au Musée des civilisations noires. La France l’a instaurée pour les visas de long séjour, sous l’appellation de Contrat d’Intégration Républicaine. Une formation civique y est dispensée et tout signataire s’engage à suivre des formations pour favoriser son insertion dans la société française. Avec la Charte Cheikh Anta Diop, toute personne signataire s’engagera à respecter l’identité culturelle africaine qui régit les modes de vie et de pensée, et les manières de vivre ensemble, en vigueur sur le territoire de la République du Sénégal.

Les deux dispositifs de la Charte Cheikh Anta Diop – le guide culturel pour les touristes et la journée d’intégration pour les longs séjours, ambitionnent de rétablir l’égalité des civilisations, mise à mal par l’héritage de la domination de la pensée occidentale.

La Charte Cheikh Anta Diop n’a pas vocation à suivre le modèle actuel de l’Europe, à savoir un repli identitaire. Il s’agit de faire partager la conscience de sa propre identité africaine et de l’altérité pour ne pas « reproduire des stéréotypes et une vision essentialiste de la culture » (Unesco). La France, principale partenaire du Sénégal, n’est pas en mesure d’appliquer avec sincérité la Charte onusienne pour les migrants, qui aurait pu faire émerger la part d’Afrique de ce pays, à travers les Afro-européens, il convient pour le Sénégal de prendre ses responsabilités et d’être le chef de file de ce projet panafricain. Cela ne représenterait aucun coût pour l’Etat sénégalais : les frais liés aux livrets pour les touristes seraient couverts par des encarts publicitaires, et la journée d’intégration serait prise en charge par l’étranger lui-même.

Le libéralisme a encore de beaux jours devant lui, car c’est le moins mauvais des systèmes, mais il faut l’adapter aux réalités africaines : la quête de l’indépendance en fait partie, comme un libéralisme plus éthique et solidaire aussi.

edesfourneaux@







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