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L’afrique Dans Le Brouillard Statistique

Chronique. On a coutume de dire que « les chiffres parlent d’eux-mêmes ». A contrario, tout ne serait que confusion quand les chiffres font défaut ! L’Afrique souffre d’une « indigence des données », alertait le milliardaire anglo-soudanais et philanthrope Mo Ibrahim, en présentant en octobre le dernier rapport de sa fondation consacré à la gouvernance sur le continent. Niveau de vie, santé, ou tout simplement démographie : sur tous ces sujets, le manque de repères est effarant.

A l’orée de 2020, il y a de quoi s’émouvoir. Une décennie nous sépare désormais de l’échéance de 2030, fixée sous l’égide des Nations unies pour la réalisation des 17 Objectifs de développement durable (ODD), qui visent par exemple l’éradication de l’extrême pauvreté, l’égalité entre les sexes ou la mise en place d’une éducation de qualité. Or la Fondation Mo Ibrahim a constaté, fataliste, qu’il était impossible d’évaluer précisément le chemin parcouru en Afrique. Les pays de la région produisent des données permettant de mesurer les avancées pour un tiers seulement des ODD. Dès lors, comment savoir où porter les efforts ?

A leur décharge, le catalogue de l’ONU est d’une redoutable complexité, avec ses objectifs décomposés en 169 cibles, certaines trop ambitieuses, d’autres franchement vagues. Mais le problème est général. Un brouillard statistique règne un peu partout sur le continent. Lagos, la tentaculaire capitale économique du Nigeria, compte-t-elle 10, 15 ou 20 millions d’habitants ? Combien de chômeurs dénombre-t-on à Madagascar, où le secteur informel est le plus grand pourvoyeur d’emplois ? Quel est le taux de scolarisation des enfants de West Point, vaste bidonville de Monrovia, au Liberia ? Difficile à dire.

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Aujourd’hui encore, environ un Africain sur deux est dans l’incapacité de prouver son identité. La Fondation Mo Ibrahim – qui, elle, n’est pas avare de chiffres – rappelle que sur les cinquante-quatre pays du continent, huit seulement disposent d’un système opérationnel d’enregistrement des naissances. Une quinzaine d’Etats africains n’ont procédé à aucun recensement de population ces dix dernières années. En République démocratique du Congo, cela fait même trente ans ! Or un citoyen qui ne figure pas sur les registres de l’état civil aura bien du mal à faire valoir ses droits – d’aller à l’école, de se faire soigner, ou tout simplement de voter.

Des statistiques élaborées à l’étranger

Un même flou persiste pour les données macroéconomiques. Dette, revenu, consommation, pauvreté et même produit intérieur brut… Les comptes nationaux ne sont pas à jour dans la plupart des pays. Faute de pouvoir se fier à des instituts statistiques rarement conformes aux standards internationaux, les investisseurs privés s’en remettent aux chiffres de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international. Mais cette pénurie d’informations demeure un sacré handicap pour cerner le potentiel d’un marché. Chacun tente de trouver les indicateurs qu’il peut. « Les seules données sur lesquelles nous pouvons nous appuyer sont celles que l’on collecte en interne », expliquait récemment un jeune entrepreneur d’une start-up active en Afrique de l’Ouest. Avant d’ouvrir son premier centre commercial à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en 2015, le groupe CFAO avait procédé à un quadrillage minutieux du quartier, compté les immeubles, les voitures, les clients éventuels…

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Les initiatives soutenues par les bailleurs de fonds se multiplient pour améliorer les appareils statistiques et donner à chaque citoyen une identité. Reste pour les Etats africains à en saisir le bénéfice. On pourrait faire valoir qu’il s’agit là du préalable indispensable à l’élaboration de politiques sociales et économiques bien calibrées. Ou bien tout simplement qu’il est ici question de souveraineté.

En octobre, le président nigérian Muhammadu Buhari se plaignait que la plupart des statistiques citées sur son pays soient « élaborées à l’étranger ». Des « estimations folles » ayant « peu de rapport avec les faits sur le terrain », pestait-il, avant d’annoncer vouloir « améliorer la qualité des données » produites au Nigeria. Le cap est fixé et cela tombe bien, il s’agit aussi de la 169e cible des ODD. Rendez-vous dans une décennie pour mesurer les progrès.







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