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Lettre Ouverte Aux Militants Anti Cfa

En finir définitivement avec le CFA/ECO : Une feuille de route 

L’année 2020 marquera le 60e anniversaire de l’accès à l’indépendance des colonies françaises d’Afrique. Beaucoup de commémorations et de réjouissances à venir ! 

Stay tuned !

Sauf que tout au long de l’année, l’incongruité de la permanence du franc colonial (rebaptisé Éco) continuera à susciter des controverses et des exigences visant à mettre fin au statut quo. Nous avons en 2020 l’opportunité d’écrire une nouvelle page de notre histoire contemporaine de la décolonisation. Ou de rester bloqués sur notre ligne de départ de 1960 ou pire de prendre un faux départ avec l’Éco français (qui peut littéralement être qualifié de non événement).

Battre une monnaie est un droit régalien qui relève de la compétence exclusive du Parlement, c’est-à-dire du peuple souverain. Le Cfa, même dans la version “Éco” que se “seraient appropriée” certains chefs d’États africains, n’en serait pas moins une violation continuelle de nos constitutions (1).

Il faudrait donc commencer par se “réapproprier” notre droit souverain de battre notre propre monnaie au cas où il aurait été délégué par une convention quelconque. La souveraineté ne se délègue pas. A la limite, elle se partage dans un schéma d’intégration régionale (monnaie unique ou commune d’abord, forces de défense, commerce extérieur, etc.). Apres tout, près de 150 pays ont leur propre monnaie nationale.

Le subterfuge de l’Éco français 

Le subterfuge de l’Éco a été rapidement débusqué pour ce qu’il représente : un leurre. La garantie accordée par la France lui donne un droit de regard sur les transactions internationales des pays de la zone Cfa/Éco et sur une dévaluation éventuelle, l’arrimage exclusif à l’Euro continuera à alimenter les transferts libres de capitaux et l’évasion fiscale et à plomber la compétitivité de nos économies, l’arrêt du compte d’opérations n’empêchera pas le “libre” dépôt des réserves ou de l’or auprès de la Banque de France ou de la Banque européenne (même si comme l’a souligné le président français, cela ne devient plus… “obligatoire “). Quant au retrait des administrateurs français, cela ne réduit en rien la capacité à exercer la tutelle cette fois-ci, par “le biais de relations plus informelles“, dixit le président Macron dans son discours d’Abidjan. C’est la définition même du néocolonialisme : Indirect rule ! On connaît.

Mais l’élément le plus nocif, c’est que la “garantie” de la France lui ouvre la possibilité d’influer sur les étapes suivantes dans la construction d’un espace monétaire commun en Afrique de l’Ouest et de le dérailler durablement. Ainsi, le président Macron dans son discours d’Abidjan du 21 décembre 2019 (disponible sur YouTube) fait-il appel au Ghana à la Guinée à la Gambie à la Sierra Leone pour qu’ils se joignent à l’initiative française/UEMOA et ne mentionne pas une seule fois le Nigeria ! Pas une seule fois ! Tout est dit.

Mais cela dit, dans ce débat, je pense que deux perspectives manquent à l’appel :

Mettre fin au franc CFA-ECO : Un débat de “nous dans nous”.

La discussion avec les chefs d’État africains des ex-colonies françaises ou avec les responsables de l’Etat français ne doit pas absorber toute notre énergie. Ils nous entendent mais ils n’écoutent pas.

Alors je le redis haut et fort :  Le fait qu’une monnaie française (2) continue de circuler dans l’ancien espace colonial africain 60 ans après les indépendances est tout simplement une aberration politique sociale et économique. Tout simplement …et le débat devrait être clos.

Cela a assez duré, l’immobilisme (pardon, la ”stabilité » !)n’est pas consistant avec les besoins du développement et de l’éradication de la pauvreté. Parité fixe alors que tout bouge autour de nous ? Après 60 ans, on devrait savoir. Non ?

Les arguments d’un Ouattara portant sur la stabilité, la garantie et l’inflation maîtrisée n’invalident en aucune manière la mise en place d’une alternative qui intègre ces critères (si tel est notre choix) tout en nous permettant d’exercer pleinement les attributs de notre souveraineté économique et monétaire indispensables à toute entreprise sérieuse de développement. Que ce soit au niveau national ou régional.

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M. Ouattara, on connaît son parcours. Après avoir dirigé la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest et porté un titre ronflant au FMI, il a été littéralement porté au pouvoir par les chars de l’armée française diligentés par l’État français et alliés à des gangs de rebelles surgis du Burkina Faso. (Ce que Guillaume Soro a récemment confirmé). L’allégeance d’Alassane Dramane Ouattara à la Françafrique est indiscutable. Il n’est donc pas crédible. Qui d’ailleurs en Afrique l’écoute ?

L’État français quant à lui n’a jamais été respectueux et encore moins généreux avec ses ex-colonies, nonobstant la soit disant aide au développement. L’Etat français n’a jamais été “l’ami” des peuples africains. Jamais. Il suffit de relire les ouvrages d’histoire : déportations massives de nos ancêtres pour ravitailler les marchés d’esclaves outre-atlantique, conquêtes coloniales d’une violence inouïe, expropriations arbitraires, travail forcé, balkanisation, pacte colonial….(5) Ce n’est pas pour rien que le colonialisme a été qualifié de crime contre l’humanité par les Nations Unies.

Vous avez dit “amis” ?

Quant au Cfa, l’administration française à quand même réussi la prouesse de rendre la BCEAO indépendante des États africains tout en maintenant sa tutelle à travers différénts mécanismes administratifs et bureaucratiques. Prouesse d’autant plus remarquable que cette tutelle s’exerce hors de tout contrôle parlementaire français bien qu’il s’agisse d’une monnaie éminemment française. In fine, le CFA est sous la seule tutelle du ministre français des finances libre par ailleurs de toute supervision démocratique et qui à travers la zone franc, contrôle l‘économie de tout un groupe de pays. Chapeau, la France ! Et l’Éco n’y changera rien.

Soyons clairs : si l’Etat français continue d’imposer la circulation de sa monnaie dans son ancien espace colonial, c’est tout simplement parce qu’il y trouve son intérêt et ce, à notre détriment. Sinon, il y a longtemps qu’il y aurait mis fin .Sans état d’âme. Comme lors de sa décision unilatérale de dévaluer le CFA en 1994 (3). Sans compter celle qui pourrait advenir ….par surprise (?) (4).

Amplifier la campagne contre le Cfa-Éco français 

Donc le débat n’est pas avec eux. Ou du moins, ce n’est pas le plus important. Ce que nous devons établir maintenant, c’est un rapport de force en portant le débat au sein de l’opinion publique et des organisations populaires. La question est la suivante : En quoi et à quelles conditions le remplacement du Cfa-Éco par une monnaie nationale, puis régionale sera-t-il bénéfique aux pêcheurs, aux éleveurs, aux producteurs d’arachides, de cacao, aux femmes associées dans des groupements de production, aux PMEs et aux acteurs du secteur dit informel ..? Le problème est donc politique. Et il relève des Parlements nationaux et sociétés civiles de notre région.

Pour chaque secteur, il faudrait en fait entreprendre de sérieuses recherches d’impacts futurs, développer les argumentaires et donner des réponses objectives car il s’agit de la vie des gens et il faut cesser de prendre des décisions à leur place. C’est eux qu’il faut convaincre car c’est à eux qu’il appartiendra de mener le combat (s’ils sont convaincus qu’il y va de leur intérêt) et de déclencher un processus de ruptures véritables visant in fine à mettre fin au pacte colonial, décoloniser le pays, l’Etat et les mentalités. On entame la décolonisation par quelque bout que l’on peut saisir. L’effondrement du système s’accélérant au fur et à mesure de sa déconstruction.

Mais au delà des abstractions et autres théories macroéconomiques, il faut travailler sur des scénarios et des études de cas concrets. C’est ce qui est attendu des économistes. Qu’ils aillent parler aux commerçants de Sandaga et Treichville, futurs industriels potentiels de nos pays et plancher sur des alternatives crédibles. Tout en faisant émerger le premier député déterminé à soumettre à ses collègues, une proposition de loi annonçant la fin du Cfa. Faire bouger les lignes. Tout le temps.

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Quant aux ONGs et partis politiques progressistes, ils doivent impérativement articuler leur mobilisation avec leurs alter egos français et européens pour plus d’efficacité.

Je pense notamment aux organisations italiennes et allemandes qui ont une capacité d’influence auprès de leurs gouvernements respectifs, gouvernements qui sont déjà sensibilisés sur ce sujet. Si le Cfa/Éco est un piètre pendant tropicalisé de l’Euro, les européens devraient avoir leur mot à dire et se solidariser avec les peuples africains pris en otage par une Françafrique prédatrice qui bafoue les valeurs européennes. Mais commençons par exclure l’État français de la conversation.

Par quoi on remplace le Cfa ?

L’Eco français est une diversion. Notre futur partagé, c’est la monnaie CEDEAO en passant éventuellement par nos monnaies nationales respectives. A ce titre, la dénomination Éco adopté par les chefs d’État de la CEDEAO bien avant l’intervention intempestive de M. Macron devrait être laissé au Cfa nouveau et on devrait engager un concours pour trouver une nouvelle dénomination. Le Cfa ne peut pas être réformé, il doit disparaître et la tutelle française avec, et être remplacé par les diverses monnaies nationales indépendantes puis on s’attèlera sereinement à la mise en place de la monnaie régionale tout en demeurant vigilants face aux futures tentatives de sabotage.

La CEDEAO a, sur papier du moins, changé de paradigme et remplacé l’approche institutionnelle de l’intégration régionale par une nouvelle approche dite de “l’intégration des peuples par les peuples et pour les peuples”. Néanmoins, la diplomatie des sommets continue avec des sommets des chefs d’Etats précédés par des conseils de ministres qui examinent des propositions et recommandations venant d’experts de la région et de consultants de la Banque mondiale et de la Commission Européenne porteurs du néolibéralisme ambiant. D’où le mimétisme observé dans l’évolution de la CEDEAO. On copie l’Union Européenne et on continue à faire une intégration sans les peuples.

Une approche de l’intégration par les peuples voudrait que l’on parte des populations plutôt que des États. D’où ma question. En 2018 sur les 350 millions d’habitants de la CEDEAO, 196 millions utilisent le Naira (monnaie du Nigeria). Qu’est-ce qui empêche qu’on en étende l’utilisation au reste de la population de notre région ? Le Cfa-Éco en Afrique de l’Ouest est utilisé par 120 millions de ressortissants des 8 ex-colonies françaises. Pourquoi une monnaie française, minoritaire de surcroît devrait-elle servir de référant même sous sa nouvelle appellation ? Pourquoi le Nigeria ou le Ghana devraient-ils choisir de s’assujettir à cette “servitude volontaire“ ? Non. Qu’on aille autour de la table chacun avec son drapeau et avec sa propre monnaie pour bâtir ensemble quelque chose de nouveau. Ensemble et sans tutelle.

Maintenant, nous savons tous que la référence pour l’Euro lors de sa mise en œuvre était le Deutsche Mark adossé à l’économie la plus puissante d’Europe. Et que le dollar américain, monnaie de référence mondiale est adossé à l’économe la plus puissante de la planète. Le Nigeria est la première puissance économique africaine. Son PIB s’élevait en 2018 à 398 milliards de dollars américains sur 614 milliards pour l’ensemble de la CEDEAO (15 pays) et 291 milliards pour les 8 pays de l’Uemoa pris ensemble. Ne serait-il pas logique que le naira soit une option sur la table lors des discussions sur le remplacement du Cfa ?

Et nous savons aussi que le naira est indubitablement géré de manière souveraine par la Banque du Nigeria. Une nouvelle Banque Centrale de la CEDEAO pourra bénéficier du panafricanisme sourcilleux de nos compatriotes du Nigeria, Ghana, Gambie, Guinée…pour faire du naira nouveau un outil de développement dégagé de toute tutelle coloniale. Vous imaginez l’administration française décidant de dévaluer le naira ?

Et nous avons assez d’or dans cette région pour constituer des réserves majestueuses pour notre nouvelle monnaie. Réserves qui pourraient être centralisées en attendant l’unité monétaire.

Qui a peur du Nigeria ?

Ceci étant, il est de notoriété publique que le Nigeria souffre d’une gouvernance que nul ne saurait qualifier de performante. Mais si la monnaie devient régionale par la volonté des Parlements nationaux et sans interférence extérieure, elle sera nécessairement gouvernée par un nouveau dispositif régional à mettre en place y compris par une nouvelle Banque Centrale qui relèvera de l’autorité des 15 États partenaires se fixant comme priorités enfin, le développement et l’accélération de l’intégration politique, éléments qui sont exclus des fameux critères de convergence, autre vulgate du dogme néolibéral s’il en est.

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N’ayons pas peur du Nigeria ! Ce sont nos voisins et nos frères. Nous sommes dans le même camp. Nous partageons les mêmes ambitions et faisons face aux mêmes défis, contrairement à l’ancienne puissance coloniale qui nous enserre dans une dépendance structurelle mortifère.

Rappelons nous que l’ambition de l’État français depuis les années 60s a toujours été de fragiliser et si possible démembrer le Nigeria qu’il considérait (et considère toujours) comme un rival en Afrique de l’Ouest. Il a fourni armes, mercenaires et soutiens logistiques aux rebelles du Biafra tout en instrumentalisant le soutien politique de Houphouet Boigny et Omar Bongo. Une guerre (1967-1970) qui a causé plus de 2 millions de morts et 4.500.000 déplacés et qui a plombé les ambitions de développement du Nigeria pendant des décennies. Délibérément.

Quel camp choisissons-nous ? L’UEMOA porte-voix de la France ou la CEDEAO avec le Nigeria et nos voisins ?

Sortir du pré carré

Car la vraie question est de savoir si nous avons confiance en nous et entre nous et si nous sommes après 60 ans d’indépendance,  nous sommes prêts à prendre en mains ensemble les leviers de notre destinée commune ? Sans tuteur. Comme 40 autres pays africains ayant une monnaie indépendante dont certaines sont bien gérées et d’autres pas.

Pourquoi une rupture de tutelle devrait-elle d’ailleurs plonger la BCEAO dans une mauvaise gestion de notre future monnaie ? Au contraire, cela donnerait la latitude aux chefs d’États de déterminer la vision et les stratégies qui permettront à la Banque Centrale de jouer le rôle historique que les populations sont en droit d’attendre d’elles, à savoir rendre possible le développement et l’intégration régionale.

Les élites françaises informées vous confirmeront sans ambages que l’Afrique c’est l’avenir de la France. Elles le répètent à l’envie. Il convient donc pour elles de maintenir les liens coloniaux quitte à les “faire évoluer” (sic).

Les élites africaines conscientes vous diront spontanément que la France, c’est le passé de l’Afrique et que le passé ça suffit, le futur nous appartient. Décoloniser le futur passe par la récupération de notre autonomie intellectuelle et culturelle. Sans quoi nous ne serons jamais en mesure de nous défendre dans cette guerre économique mondiale qu’on appelle globalisation.

Nous serons tout au plus des auxiliaires et tirailleurs d’un camp ou de l’autre.

Sounds familiar ?

1. L’article 67 de la constitution sénégalaise stipule qu’il relève de la prérogative de l’Assemblée nationale de déterminer “le régime d’émission de la monnaie“.

2. Le Cfa a été créé par décret de l’État français le 26 décembre 1945, il est géré par une Banque Centrale établie par la France et dont le siège n’a déménagé de Paris qu’en 1979. Le taux de change de la monnaie est décidé par le ministre français des finances de même que le montant de la masse monétaire et donc du crédit disponible. Sans parler de sa fabrication. Le Cfa est une monnaie française utilisée par le pré carré. La France en demeure le propriétaire légal.

3. Pour mémoire, ce sont les chefs d’État africains qui ont décidé ! Un fusil sur la tempe ! Comme au bon vieux temps !

4. Il se dit que ce serait une exigence du FMI avant le passage à l’Éco mais que les entreprises françaises en Afrique française feraient de la résistance. 

5. Le pacte colonial :https://africtelegraph.com/accords-post-coloniaux-france/?amp

psane@







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