Que retenir de la « Cleaning day » ou la Journée nationale de nettoiement lancée le président de la République Macky Sall ? D’abord, il nous plait de saluer cette initiative du chef de l’Etat procédant de sa volonté politique de débarrasser Dakar ainsi que les villes de l’intérieur de notre pays de leurs dépôts sauvages et autres ordures qui jonchent leurs rues et trottoirs.
L’initiative d’une telle journée de « Set-setal » est aussi salutaire au vu des nuées de papiers et de tasses en plastique qui échouent dans les caniveaux. Si ce ne sont pas les mégots de cigarettes et sachets d’eau qui tapissent les trottoirs. Malgré la mise en place d’une Unité de coordination de la gestion des déchets solides (Ucg) ayant mission de rendre la capitale propre, Dakar est sale. Vraiment sale, mal «siwilisée » ! Le constat est d’autant plus qu’amer qu’il intervient 60 ans après l’indépendance de notre pays. Soixante ans après que les « Toubabs » de France nous aient quitté officiellement après nous avoir légués des notions d’hygiène et de propreté. C’est-à-dire appris à être propres !
La preuve par l’actuel Service national d’Hygiène, qui est l’un des plus vieux corps de la République puisqu’ayant été créé à l’époque de l’Afrique Occidentale française (Aof). Et si la France-mère nous a légués le Service national d’hygiène après l’avoir spécialement créé pour nous, c’était assurément pour que nous prenions soin de nous, nous « indigènes ». C’est aussi ce qui expliquait la création de la première décharge publique (1950) implantée dans la banlieue dakaroise, notamment à Yeumbeul. Puis il y en a eu une autre après l’indépendance, à Yarakh, près de l’ancienne Sotiba.
La décharge de Yeumbeul, ouverte bien avant Mbeubeuss (1968) et communément appelée « Mbalitou-toubab » avait été créée par les soldats français du camp de la Marine abritant les stations de radio-télécommunications des forces françaises du Cap-Vert. Dans ce lot d’ordures, les canettes de bière et les mégots de cigarettes « Gauloises » que les bidasses français jetaient dans les avenues William Ponty et de Gambetta. Aujourd’hui, dans les mêmes artères, ce qui jonche majoritairement le décor, ce sont des tasses de café « Touba », des épluchures de « khaal » (pastèque) et autres « mboussou ndokh ».
A cet égard, les colons français avaient compris très tôt et tenu à faire comprendre à nos ancêtres que l’hygiène et la propreté constituent une branche très importante de la médecine à travers la prévention des maladies dans le but de favoriser la santé et le bien-être des populations. A l’époque, lorsque nous étions enfants, on se souvient de la peur bleue que ces agents du Service d’hygiène inspiraient à nos braves mamans. Lesquelles se dépêchaient de nettoyer les cours et les devantures des maisons, mais aussi de récurer les canaris afin qu’aucune saleté ou larve n’y traîne.
Hélas, le Service d’Hygiène est devenu le corps paramilitaire le plus « marginalisé » par les gouvernements post-indépendance alors qu’en matière de salubrité, il devait être la pierre angulaire de la mise en œuvre des politiques et programmes de lutte contre l’insalubrité publique. Les choses n’ont d’ailleurs pas changé sous le magistère du président Macky Sall puisque Abdou Karim Fofana, l’actuel responsable du secteur, est plus ministre de l’Urbanisme et Logement que de l’Hygiène publique. Sauf quand il s’agit de mener des opérations de déguerpissement des rues de Dakar. Et même dans ces cas, il se présente aux commandes des Caterpillar de l’Urbanisme. Pas avec des outils pour nettoyer les écuries d’Augias de la capitale !
Toujours est-il que l’opération « Coup de balai » ou « Grand ménage » menée par le Président Macky Sall, le temps d’un week-end, a eu le mérite de transformer toutes les institutions (ministères, gouvernances, préfectures et mairies) en services d’hygiène. Sans se faire prier, certains ministres, gouverneurs et préfets épaulés par des responsables politiques de la mouvance présidentielle (Benno) ont fait preuve de zèle et de prosélytisme au point de détourner le « Cleaning day » de son objectif premier c’est-à-dire pousser les citoyens à s’enraciner dans la culture de l’hygiène et de la propreté. Et nettoyer leur propre environnement. Ce, à l’exception de nos frères et compatriotes Diolas considérés comme l’ethnie la plus propre et la plus hygiénique du Sénégal comme l’attestent les belles rues de Ziguinchor et les magnifiques plages du Cap Skirring. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la majorité des maîtres d’hôtel et cuisiniers du Palais sous les régimes des présidents Senghor, Diouf, Wade et Macky sont originaires du Sud.
Tape à l’œil
Il est vrai qu’en matière de décentralisation d’événements comme la « Journée nationale de nettoiement », les gouverneurs, préfets et sous-préfets jouent un très important rôle de relais entre l’Administration centrale (Dakar) et les localités de l’intérieur du pays afin de veiller au respect de l’exécution des lois et autres programmes à l’image du « Setsetal ». Mais ce qui est déplorable, c’est le folklore politique et l’aspect festif dans lesquels ils ont lancé le premier coup de balai dans leurs circonscriptions respectives. Par exemple, les autorités politiques et administratives de Thiès ont plus cherché à taper dans l’œil du président de la République qu’à nettoyer les avenues, rues et places publiques de la capitale du Rail ! Car le gouverneur Mouhamadou Moustapha Ndao, le préfet Fodé Fall et le maire Talla Sylla se sont distingués à leur manière pour tenter de donner corps et âme à la « Cleaning day » de Sa Majesté Macky II. Comme pour dire que chaque mouvement de brouette ou coup de pelle effectué par le président Macky Sall depuis son jardin public de Mermoz (Dakar) où il n’y avait pratiquement rien à nettoyer, avait sa réplique à la Place de France (Thiès) pour être applaudi par les militants thiessois.
Pire, les responsables l’Unité de coordination et de gestion des déchets solides (Ucg) se sont approvisionnés en matériels (brouettes, pelles, balais) auprès des quincailleries grossistes des rues Galandou Diouf et Tolbiac pour soutenir et instrumentaliser la journée « Sénégal zéro déchet ». Pendant ce temps, nombreux sont les citoyens n’appartenant à aucune obédience politique qui se sont terrés chez eux en fustigeant ce qu’ils qualifient de « Set-setal » politique. Tous les observateurs vous le diront, aussi bien à Thiès qu’à Saint-Louis, Kaolack et Fatick, certains ministres et responsables politiques à popularité réduite ont essayé de compenser leur handicap par un activisme débordant.
Pour y parvenir, ils se sont armés de pelles le temps d’une prise d’images par les caméras de télévisions pour faire du bluff et du buzz, et le tour était joué ! Pendant ce temps, les journaliers agents de l’Ucg n’ont pas encore perçu leur salaire du mois de décembre 2019. Et paradoxalement, leur situation sociale se détériore au moment où le président de la République procédait au lancement de la « Cleaning day » alors qu’ils sont censés rendre Dakar propre.
En criant à l’antinomie, certains agents de l’Ucg ont profité de la présence de Mme Marieme Faye Sall sur le théâtre des opérations de… « Set-sétal » pour dénoncer le non-paiement de leurs salaires. « Oui, mes collègues et moi avons rencontré la Première dame à Mermoz pour qu’elle soit notre émissaire auprès du président de la République. Car on a du mal à comprendre comment le chef de l’Etat peut-il lancer une journée de propreté alors que les agents censés balayer les rues ne sont pas encore payés. Faute de salaires, nous n’avons même pas célébré les fêtes de fin d’année » nous révèle en pleurnichant un technicien de surface de l’Ucg.
Une belle initiative du Président !
Malgré le tintamarre médiatique et l’instrumentalisation politique autour de cette journée, il faut quand même magnifier et saluer l’initiative du président Macky Sall dans sa volonté de désengorger la ville de Dakar et la rendre propre. Et le succès pouvait être plus éclatant, l’œuvre plus valorisante si la journée avait connu une forte mobilisation citoyenne. Une mobilisation spontanée allant de l’action individuelle d’abord, ensuite collective, puis organisationnelle voire institutionnelle sous l’égide du ministère l’Urbanisme et l’Hygiène publique obligeant le Président de la république à descendre sur le terrain pour la pérennisation. Comme ce fut le cas dans les années 90 du temps des opérations « Set-setal » nées sous l’impulsion des quêtes financières et des animations folkloriques (foural) des associations sportives et culturelles (Asc) de quartiers évoluant au sein du mouvement navetanes.
A cette époque-là, sur l’ensemble du territoire national, les jeunes des Asc s’étaient levés spontanément pour nettoyer et embellir leurs quartiers. Cet engagement civique sur fond de mobilisation citoyenne sans précédent avait poussé le président Abdou Diouf à soutenir l’action de ces jeunes par le biais du ministre de la Jeunesse et des Sports, Abdoulaye Makhtar Diop. Un ministre très populaire à l’époque au point d’être surnommé « Makhou-foural » puisqu’il sillonnait nuitamment les quartiers du Sénégal pour y présider des « foural » ou bals populaires.
Seulement en initiant une telle journée dans le but de faire Dakar une ville propre, vivante et accueillante, une ville ordonnée surtout, le président Macky Sall avait dû oublier que les Sénégalais que nous sommes n’ont aucune culture de la propreté et de l’hygiène. Il vrai qu’en lançant les « Cleaning days », il a plusieurs fois répété que l’embellissement, la décoration, le désengorgement et la propreté d’une ville sont l’affaire de tous ! En écoutant attentivement le président de la République, il est désormais impérieux pour chaque Sénégalais de s’approprier la propreté, le désengorgement et l’embellissement des jardins publics pour une révolution du cadre de vie. Des messages en boucle qu’il a souhaité faire passer à travers l’événement. Mais autant multiplier les campagnes du genre : lavez-vous, nettoyez-vous, aménagez-vous, désengorgez-vous et « propretez-vous », il en restera toujours quelque chose ! Ne vous offusquez surtout pas, c’est la triste réalité.
A l’école de la propreté et de l’hygiène…
Dans certains pays comme le Rwanda, le Japon, l’Australie, le Kenya, la Chine, les Etats-Unis, la France, l’Angleterre etc. la propreté et l’hygiène ne se décrètent pas ! Elles font pratiquement partie des us et coutumes. D’autres pays les ont intégrées dans l’éducation de base pour les inculquer aux enfants dès le bas âge. C’est pour cela qu’il existe certaines villes comme Kigali, Sydney, Tokyo et Nairobi où l’on vit dans le respect absolu de la propreté et de l’hygiène. Et rien que le fait de se racler la gorge dans un restaurant peut vous conduire vers la peine de…mort. Alors qu’en pleine ville de Sandaga (Dakar), l’urineur sauvage épinglé ne trouve rien de mieux à faire que de s’en prendre aux empêcheurs d’uriner en public histoire de les sommer à circuler ! C’est aux citoyens de cette capitale nommée Dakar que le président Macky Sall veut imposer chaque mois la culture ou l’apprentissage de la propreté et de l’hygiène publique. Une vaste perspective assurément !