Comme par hasard, « la fièvre » du 3e mandat est en train de gagner une partie du corps de notre continent, je veux parler de tous les états qui s’acheminent vers la fin des mandats légaux et constitutionnels des exécutifs au pouvoir depuis bientôt 2 décennies pour certains et plus pour d’autres. Dieu sait qu’ils sont très nombreux ! Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Togo, Tchad, Rwanda, Congo…, la liste est longue.
Les écuries politiques s’agitent, s’affrontent parfois, mais restent encore arc boutées à des convictions qu’elles estiment fortes, même si il n’y a guère longtemps elles avaient théorisé la fin des mandats longue durée, comme étant une des facettes importantes pour la respiration démocratique de nos états, un modus opérandi pour le renouvellement du personnel politique qui, à vrai dire, va de plus en plus subir les contrecoups de la « politique bashing » par son comportement qui a fini de choquer. en regardant ce qui se passe autour de nous dans la sous-région, on se dit qu’on est bien loin du compte.
L’on se demande même si les préoccupations des citoyens ne sont pas reléguées aux calendes grecques, tant les débats publics sont éloignés des interpellations pressantes d’une frange importante de la jeunesse, des femmes urbaines et rurales…., Mais aussi des enjeux importants sur le climat, les perspectives de l’économie pétro-gazière et la révolution digitale.
Et pourtant les interpellations sont assourdissantes ! or, il me semble que, dans une conception répandue de l’idéal démocratique, le personnel politique a une obligation centrale, celle de se concentrer sur sa tâche, pour laquelle il a été porté au pouvoir, et non pas sur le futur, la prochaine échéance électorale, voire le prochain mandat. Hélas, notre réalité est tout autre. Les médias en premier, mais aussi les citoyens et acteurs politiques qui ont pris goût à la réalité des alternances successives au pouvoir, et qui rêvent de se constituer en alternative au(x) pouvoir(s) en place, semblent tous être, volontairement ou involontairement, dans une vaste conspiration contre l’idéal démocratique.
En effet, la politique est toujours perçue comme une lutte concurrentielle pour le pouvoir, comme le disait Max Weber. Soit ! Parce qu’on situe l’essence des partis politiques à cette seule aune, par conséquent on ne peut leur demander de faire totalement l’impasse sur l’objectif de l’élection. Pour autant, la dernière année de mandat pose la question du temps en politique et de la durée des mandats présidentiels. Les avis sont partagés, car pour certains ils sont trop longs, pour d’autres c’est trop court. Il n’y a pas à vrai dire de réponse tranchée sur le délai, si l’on sait que la démocratie est une question de cycle, rythmé par des alternances au pouvoir, mais aussi de continuité de l’état.
La psychose des lendemains en dehors du pouvoir hante certains gouvernants, faute de mécanismes permettant de leur assurer une autre vie hors du pouvoir en toute quiétude. Mais, le temps de gouverner peut-il se permettre de voir gaspillé tout un énième mandat à préparer le prochain ou la suite ? non, le prétexte du mythe du père fondateur de la nation est bien désuet. Il en est de même des thèses développementalistes, qui considèrent la démocratie comme secondaire face aux multiples et urgentes questions de développement à résoudre. Paul Kagamé, l’actuel président du Rwanda l’a d’ailleurs très bien compris ; lui qui décide de renoncer à se présenter en 2024.
La posture juste se trouve dans le retour à l’idéal démocratique, dans un contexte où la démocratie représentative est malmenée par les soubresauts de mouvements de citoyens dont les interpellations ne manquent pas toujours de pertinence. Il est temps de réfléchir à des mécanismes de garantie de sortie du pouvoir qui d’ailleurs font partie des atours de la démocratie, pour les dirigeants en exercice. C’est me semble –t-il la voie pour doter d’un second souffle nos démocraties qui, quoiqu’on dise, poursuivent leur marche quelque peu erratique avec leur lots de contestations. encore une fois le message du Président Obama lors de son voyage à l’union africaine, me semble particulièrement prémonitoire par les points qu’il soulève en ces termes : « Les progrès démocratiques sont en danger en Afrique quand les dirigeants refusent de quitter le pouvoir à l’issue de leur mandat. J’effectue mon second mandat, c’est un privilège extraordinaire de servir en tant que Président des USA. Je ne peux imaginer un plus grand honneur, de travail plus important. J’adore mon travail !
Sous notre Constitution (celle des USA) je ne peux pas me représenter. Je pense que je suis un bon président, et je pourrais gagner si je me représente. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas ! J’attends avec impatience ma nouvelle vie après la présidence. Je n’aurai plus de contraintes de sécurité, je pourrai me promener, avoir d’autres moyens de servir, revenir en Afrique ! Je ne comprends pas pourquoi les gens veulent rester aussi longtemps au pouvoir, surtout s’ils ont autant d’argent. On entend certains dire que je suis le seul à pouvoir unifier ce pays. Si c’est vrai, ce dirigeant n’a pas su réellement bâtir ce pays.
Regardez Mandela, Madiba et même Georges Washington, ils ont laissé un héritage durable pas seulement sur ce qu’ils ont fait en fonction, mais en quittant leurs fonctions, et en transmettant le pouvoir pacifiquement. La question ne se trouve donc pas dans le bilan du mandat, qui est certes important parce qu’il témoigne des réalisations faites, de ce que l’on a laissé de son passage au pouvoir sur le chemin du développement. Mais c’est dans la transmission du pouvoir et dans les garanties mises en place pour que cette transmission puisse se faire dans la durée, en toute prévisibilité. Le challenge, il est là et pas ailleurs.
Mamadou NDAO
Juriste consultant, expert en communication,
Diplômé des universités de Montpellier1 et Paris 1 Panthéon Sorbonne Liberté 6 Dakar