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Le Chauffeur De Taxi Qui Tousse

Mercredi 05 février 2020. Ce matin, j’ai rendez-vous à 9 heures, entre Ouest-Foire et Yoff, pas loin du siège de l’APR. Je sors de chez moi à 8 heures. Moins de deux minutes plus tard, me voilà au bord de la route. Au total, j’ai hélé cinq taxis. Le premier et le quatrième étaient formels. Ils n’ont pas voulu me prendre à moins de 2000 F CFA. Le deuxième et le troisième n’ont pas pris le temps de négocier. Ils ne veulent pas aller à Yoff. Ils craignent les embouteillages. Je n’avais jamais auparavant, à ce moment de la journée, pris un taxi pour le même trajet. Je pensais que le coût du transport ne pouvait pas dépasser 1500 F CFA. Je me suis peut-être trompé. Et lorsqu’un cinquième taxi arrive, je décide de revoir à la hausse le prix.

– Je vais à Yoff, au siège de l’APR. 2000 F CFA !

Pour montrer au chauffeur de taxi que je serai intransigeant, que ce n’est pas la peine de discutailler, je fais deux pas en arrière. C’est un coup tactique que j’observe souvent. Une expression de fermeté pour montrer que je n’ai ni le temps, ni l’intention de revenir sur le prix. Le chauffeur me jauge, de haut en bas. Son regard se pose avec insistance sur mes lunettes et mes chaussures empoussiérées. Cela a duré quelques secondes. Puis il fixe son prix à 3000 F CFA. Je répète énergiquement : 2000 F CFA !, et reste impassible. Il abdique et me fait signe de la main. Je peux monter. Comme d’habitude, je m’installe devant. Le chauffeur doit avoir entre quarante et cinquante ans. Sa tête est dégarnie. Il porte une montre dorée, qui reflète les lumières du soleil naissant. Il a une mine pressée et antipathique. Comme un insatisfait qui fait les choses par nécessité. La course ne lui plaît pas et il tient manifestement à le montrer, en ayant une attitude inamicale.

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Le taxi est propre. Une décoration est attachée sur le rétroviseur intérieur. Je peux y lire le verset du Trône. La radio est allumée. Elle diffuse le journal du matin de la RFM, présentée par El Hadj Assane Gueye. Nous restons plusieurs minutes sans dire un seul mot, à part les salutations en rentrant dans la voiture. Un bouchon bloque la circulation juste en face du restaurant La Calebasse. Le chauffeur saisit cette occasion pour m’adresser la parole. Il râle. Sa voix est singulière. On dirait qu’il retient son souffle en parlant. Il m’explique qu’il est devenu difficile de conduire à Dakar. Qu’il y a des embouteillages partout. Cela est intenable. Je lui réponds que c’est normal. Dakar est une petite ville, et tout le monde veut avoir sa voiture individuelle. En plus de l’absence de planification au niveau central. La mobilité des citoyens va croître dans les années qui viennent, et les embouteillages vont empirer. Plus grave encore, la pollution automobile aura un impact dévastateur sur la santé. Nous sommes tous un peu responsables. Il acquiesce et me dit qu’il a tout le temps mal à la gorge. Qu’il tousse beaucoup. Je lui demande son nom. Il s’appelle Gora. C’est un waalo-waalo. Il est originaire du nord, vers Mpal.

Mesurons-nous assez la situation désastreuse de Dakar ? La pollution est un danger brûlant. Et il semble que rien n’est fait pour dire stop. Peu de volonté politique. Déficit de conscience citoyenne pour changer le cours des choses. Or, ce n’est pas seulement la mobilité qui est en jeu. Le cadre de vie, dans son ensemble, est complètement dégradé. Cela a des dangereuses répercussions sur la santé, notamment les affections respiratoires. Sur les équilibres sociaux aussi. Nous persistons tous à entretenir un paradigme destructeur de notre environnement. Cela s’observe dans le fait que chacun aspire à avoir sa propre voiture. C’est devenu un objectif universel, qui est la conséquence d’un comportement mimétique, mais aussi d’un processus de survie. Sans véhicule personnel, il est très difficile de se déplacer à Dakar. Le transport public est défaillant. Les taxis coûtent chers. Ceux qui ont les moyens n’ont pas d’autres choix. Seulement, ce recours généralisé et frénétique à la voiture individuelle est, d’une certaine manière, une absurdité. Ce n’est pas tenable sur la durée. Il porte des contradictions insurmontables. Dakar est déjà saturée, et devient irrespirable avec des pics de pollution élevés. Si chaque citoyen, qui en a les moyens, possède un automobile, la capitale du Sénégal sera invivable. Et puis, comment les générations futures vont faire pour respirer ?

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L’avenir de nos enfants est gravement compromis. Il faut impérativement changer de cap. Nous avons à régler une question urgente. Quels peuvent être les espaces d’intervention ? On dirait qu’il y a peu de place pour une politique intelligente. Partout ailleurs, le débat public met en relief les risques d’un effondrement civilisationnel causé par l’activité humaine. Sauf en Afrique. Qui se préoccupe vraiment, sur le continent, d’une probable sixième extinction de l’espèce ? Peu de personnes. D’ailleurs, ils sont inaudibles. Au moment où la crise de l’environnement est devenue un problème majeur qui affecte déjà nos pays, une question de vie ou de mort. Plus grave encore, aucune décision radicale n’est prise par les autorités publiques pour informer les populations et les inciter à une logique de socialisation écologique. Or, il faut agir, dès à présent, sur les éléments structuraux, pour favoriser une nouvelle culture quotidienne plus respectueuse de l’environnement. Cela passe nécessairement par des réformes éducationnelles à la base. L’Etat, à travers l’école de la République, doit “fabriquer des citoyens” qui comprennent que le monde est en danger, à cause de l’activité humaine. Ensuite, il s’agit, pour les autorités publiques de mettre en place des politiques éco-responsables. Mais surtout, les citoyens ont leur part : ils doivent prendre conscience que certains de leurs choix mènent à des impasses. Il faut espérer une prise de conscience rapide. De tout cela nous avons discuté, avec Gora. Et à la fin, je lui ai donné ses 3000 F CFA.

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