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Au Secours Du Ferlo Et De L’elevage

Depuis deux semaines que le gouvernement a commencé à prendre des mesures pour lutter contre le COVID 19, le monde rural se meurt, surtout la zone sylvopastorale. « L’heure est grave », avait si bien dit le président de la République lors de son adresse à la nation pour annoncer l’Etat d’urgence. Quelques jours auparavant, il avait déjà pris des mesures de fermeture des classes et d’interdiction de regroupement.

Depuis les premières mesures, beaucoup de spécialistes avaient, à juste raison, fait des réflexions sur les interrelations entre la pandémie et d’autres dimensions (biodiversité, changement climatique, développement durable, éducation pour la santé, etc.). Bien des réflexions sur la relation entre COVID 19 et l’économie ont aussi permis de faire des diagnostics – pronostics ainsi que des projections sur les indicateurs macroéconomiques (productivité, échanges et croissance). Aujourd’hui, tous sont d’accord que la récession sera le facteur commun pour toutes les nations du monde. Mais au-delà, qu’en est-il de l’économie réelle dans nos pays et dans nos campagnes ? Il est difficile de répondre à cette question sur l’économie réelle. Néanmoins, quelques entretiens informels dans la zone sylvopastorale du Sénégal nous permet de comprendre que « l’heure est grave ».

Toutes les personnes interviewées sont unanimes : « Les sous-préfets ont interdit les marchés hebdomadaires. C’est catastrophique pour nous. Les éleveurs du ferlo vivent au jour le jour à travers ces marchés. Chaque semaine, ils parviennent à déstocker des petits ruminants par ci ou de la volaille par là pour s’approvisionner en denrée (riz, sucre, huile). Mais avec la fermeture brusque des marchés hebdomadaires, on nous pris au dépourvu »

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Bien sûr, nous ne doutons pas que le gouvernement et ses partenaires sont conscients du poids de toute décision. Malgré certaines pressions, le confinement n’a pas encore été opté pour mieux endiguer le virus. La nature informelle de l’économie sénégalaise y est pour beaucoup. Mais, comment prendre en compte le monde rural dont l’économie repose sur les marchés hebdomadaires ? L’Etat doit réfléchir. Nous savons que des structures habilitées sont en train de travailler sur des stratégies pour atténuer les impacts négatifs de la crise. Justement, nous pensons que l’une des stratégies, comme d’habitude,  va reposer sur la distribution de kits alimentaires aux pauvres sur la base de données de l’ANSD ou du programme des bourses familiales. C’est difficile de le dire mais l’Etat doit aller au-delà, en tout cas dans le ferlo.  De la même façon qu’on prend en compte dans la décision, le commerçant ou le vendeur à la sauvette des marchés de Thiaroye, Colobane, Petersen, etc. ou des marchands ambulants, il faut prendre en compte l’éleveur de Loumbel laana, de Wendo dioyi, de Ganinayel. De même, le ménage Widou thiengoly a les mêmes droits que ceux de Yoff, Keur Massar, etc. Tous les chefs de famille sondés dénoncent le fait de ne pouvoir vendre un animal pour nourrir leur famille alors qu’on permet aux commerçants des villes, où la maladie est identifiée, de se nourrir. Deux poids deux mesures.

Pour une fois, il ne s’agit pas d’identifier et de distribuer des kits aux pauvres ;  la fermeture des marchés hebdomadaires affecte de fait les éleveurs riches. Les enquêtes de la gendarmerie pourraient aider à mieux comprendre la situation. Les spécialistes devraient ensuite trouver des stratégies d’intervention plus inclusives, sans favoriser la circulation du virus.

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En optant pour le non confinement, l’Etat prendrait sans doute en compte la nature informelle de notre économie. Sans trop subir le couvre-feu, l’éleveur du ferlo qu’il soit riche ou pauvre est confiné de fait s’il ne peut aller, vendre ou acheter au marché hebdomadaire. Nous lançons un appel solennel aux autorités pour la prise en compte de ce fait dans ses stratégies. Les sous-préfets doivent agir intelligemment sur le terrain.

Au- delà, l’arrêt des marchés hebdomadaires de bétail vont dans le moyen terme affecter la consommation de protéines animales dans les centres urbains et conséquemment des maladies alimentaires vont survenir. Rapidement, la spéculation va s’installer rendant les prix inaccessibles pour le salarié moyen et plus tard, les stocks vont s’épuiser et la viande sera introuvable en ville. C’est la sécurité alimentaire à travers l’accessibilité, la stabilité et la disponibilité qui est en jeu. Déjà, les communautés mettent en place des stratégies de solidarité communautaire pour permettre à tous de manger. Les autorités doivent étudier ces stratégies pour mieux agir et non rester dans des approches dirigistes e distribution de kits alimentaires.

Pour finir, le fonctionnement des forages pastoraux est aussi un enjeu. Si l’éleveur ne parvient pas à vendre, il ne pourra sûrement pas payer les frais d’abreuvement au forage. Le gestionnaire du forage ne pourra plus acheter du carburant et réparer les motopompes. Gare à l’arrêt des forages pastoraux. Les troupeaux ainsi que l’économie d’élevage sont menacés surtout qu’avec le couvre-feu la transhumance entre région est interdite de fait.

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Amadou Ndiaye est Professeur à l’UGB, Docteur vétérinaire- environnementaliste, Docteur en Socio économie rurale







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