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Dette Et Visions Africaines

Dette Et Visions Africaines

«La dette divise l’Afrique» ! Tel est l’intitulé d’un article de Jeune Afrique, repris le 24 avril 2020 par le journal Sud-quotidien. Ce titre aux atours quelque peu racoleurs ne laisse pas indifférent. Comment le serait-il ?

Il met en scène l’actuel ministre de l’Economie et des finances du Bénin, M. Romuald Wadagni, qui s’est invité, sans doute à bon droit, dans le débat sur le traitement à faire de la dette africaine sous l’angle de la pandémie du Covid-19.

Ce débat est salutaire, il est même souhaitable, mais pour être utile, il doit être assujetti à l’exigence de rigueur, de responsabilité et de cohérence. Quelle que puisse être la singularité du moment, nul ne peut faire l’impasse sur la nécessité d’un choc des idées au sein de l’élite africaine sur la définition des termes d’un avenir commun. S’il faut en convenir, ce débat, pour être audible, n’a pas besoin d’une tonalité disruptive.

Dans la forme, le ministre Wadagni, au moment où l’Afrique adopte une position salutaire de mise en commun des ressources et des énergies pour penser et mettre en œuvre une solution africaine, préfère demander la validation de ses vues par le Fmi, ignorant les espaces d’échanges offerts par l’Uemoa, la Cedeao et même l’Union africaine.

Il est légitime de se demander pourquoi le Bénin et son ministre préfèrent la tribune de JA et l’écoute du Fmi aux truffes de l’Uemoa, de la Cedeao et de l’Ua pour approfondir les réponses de l’Afrique à une crise sans précédent, que tous les experts prédisent comme la plus grave de son histoire postcoloniale.

Je me méfie beaucoup de toutes les mouches qui volent et que l’on prend pour des idées nouvelles.

S’il est prouvé que Mon­sieur Wadagni s’est prononcé avec l’assentiment de son Président, on peut déduire par lien de causalité, l’illustration d’une démarche politique officiellement assu­mée en cohérence avec les propos du Président Talon en novembre 2019, an­nonçant comme par effraction, à la place du Président Alassane Ouattara, président en exercice du Conseil des chefs d’Etat de l’Uemoa, la décision des chefs d’Etat de cette organisation, de retirer une part des réserves de change de l’union dans les livres du Trésor français.

Dans le fond, la tribune de M. Wadagni attaque une partie de l’initiative des dirigeants du Fmi et de la Banque mondiale qui ont demandé au G7, au G20, au Comité monétaire et financier international des Gouverneurs du Fmi et au Comité conjoint des Gouverneurs de la Bm et du Fmi pour le transfert net de ressources aux pays en développement, le moratoire sur la dette pour les pays Ida, pendant une période limitée en 2020 (1er mai à fin 2020 avec possibilité d’une éventuelle prolongation). Paradoxalement, une bonne partie de son argumentaire appelle ces mêmes instances à la rescousse pour trouver des mécanismes alternatifs d’aide à l’Afrique.

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Le ministre invoque, pour justifier son désaccord avec l’annulation de la dette, l’effet de mémoire pour l’accès futur des pays africains à d’autres financements des créanciers affectés par cette annulation, citant l’effet qu’aurait produit l’annulation des dettes dans le cadre de l’initiative Ppte (Pays pauvres très endettés) et de l’Iadm (Initiative pour l’annulation de la dette multilatérale) au début des années 2000. Il ignore, peut-être à dessein, i) que beaucoup de pays bénéficiaires des Ppte et de l’Iadm ont bien eu accès ultérieurement aux marchés des capitaux (au moins deux pays membres de l’Uemoa, dont le Bénin est membre ont levé des ressources sur les marchés de capitaux), ii) un principe économique de base qui a conduit le législateur américain, et peut-être d’autres législateurs, à définir deux types de défaut ou faillites (bankruptcy) : la faillite / liquidation et la faillite qui protège une partie des actifs permettant à l’entité défaillante de se restructurer.

Ce débat n’est pas neuf. Il a mobilisé beaucoup d’expertises et de réflexions à des moments phare du processus de développement socio-économique du continent africain. La problématique de la dette ressemble à un serpent de mer, objet de posologies différentes. Trop d’envolées rhétoriques empêchent parfois d’en prendre la bonne mesure. Il faut le regretter.

Autre voix africaine, Mme Louise Mushikiwabo, Secré­taire générale de l’Organi­sation internationale de la Francophonie (Oif) s’est prononcée dans le sens que proposent le G20 et le Club de Paris mais avec deux nuances à savoir, d’une part, l’extension du gel sur le paiement de la dette à tous les pays africains, d’autre part, l’extension de la période jusqu’à la fin de l’année 2021.

Mme Mushikiwabo comme M. Wadagni, reconnaissent la situation extraordinaire que vit l’Afrique avec cette crise, qui a créé des besoins nouveaux et provoqué une baisse de ressources. Tout le débat doit tourner autour de la question de trouver des ressources pour prendre en charge ces besoins nouveaux, préparer l’avenir, tout en continuant d’assumer les besoins existentiels du moment.

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Comme réponse à la crise, le Fmi a triplé l’accès aux ressources de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (Prgt), mobilisé des ressources supplémentaires pour financer cette augmentation et créer le Fonds d’assistance et de riposte aux catastrophes (Ccrt) pour apporter environ US$ 18 milliards aux pays africains en 2020. Le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne, les Pays-Bas, Singapour et la Chine ont contribué au Ccrt et le Japon, la France, le Royaume Uni, le Canada, l’Australie ont promis US$11,7 milliards sur les US$17 milliards recherchés par le Fmi pour la Prgt.

Autre instrument, la ligne de précaution et de liquidité à court terme du Fmi existe pour les pays émer­gents ayant de bons fondamentaux. Le Maroc s’en est prévalu et a tiré US$ 3 milliards le 7 avril dernier.

Dans la panoplie des instruments actuellement dispo­nibles auprès du Fmi figurent également d’autres mécanismes de financement d’urgence pour aider les pays membres à faire face à la crise découlant de la pandémie de Covid-19.

C’est à ce titre que le Sénégal, sous la houlette du ministre des Finances Diallo, vient de bénéficier d’un décaissement de 442 millions de dollars au titre de la Facilité de crédit rapide (147,4 millions de dollars) et de l’Instrument de financement rapide (294,7 millions de dollars), approuvé par le Conseil d’administration du Fonds le 13 avril 2020, pour appuyer le Gouvernement dans ses efforts pour contenir la propagation de la pandémie et en atténuer les impacts économiques et sociaux, en répondant à ses besoins urgents de financement de la balance de paiement.

Comme de façon prémonitoire, dans une interview que j’avais accordée au journal l’Observateur du Groupe Futurs Médias, le mercredi 26 décembre 2012, j’évoquais l’instrument de la ligne de précaution et de liquidité (Lpl) comme un parachute anticrise déployé par le Fmi, un instrument financier apportant des liquidités mobilisables immédiatement en cas de besoin de financement de la balance des paiements, destiné aux pays dont les paramètres économiques fondamentaux sont sains et la politique économique bien conçue, mais qui font face à une vulnérabilité liée à la dégradation de la conjoncture internationale et aux chocs exogènes.

La ligne de précaution préconisée par Wadagni veut s’inspirer du mécanisme européen de stabilité (qui n’a pas empêché la pénible agonie de la Grèce), et demande de concentrer les efforts des Ptf pour un investissement massif pour réduire le gap en infrastructures de base ! Ce mécanisme rachèterait les dettes des pays surendettés ! Cette construction intellectuelle est bien sympathique mais ne répond pas aux besoins d’urgence de Covid-19 !

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Comme les «Pundits» de 2009 qui annonçaient l’hyperinflation qui devait naître des injections massives de liquidités par les banques centrales (notamment la Fed) et qui aujourd’hui n’ont toujours pas reconnu leurs erreurs, les prix étant restés stables dix ans plus tard, le ministre Wadagni récite le catéchisme des conséquences de la faillite, qui ferment l’accès aux marchés et propose des réponses qui reposent sur l’appel à la générosité des partenaires.

Le mérite du Président Sall, c’est d’avoir impulsé la réflexion sur la dette africaine, en en proposant carrément l’annulation, et d’orienter une position, qui aujourd’hui, a trouvé un écho favorable auprès des 13 pays membres de la Cedeao, lors du Sommet extraordinaire tenu le 23 avril 2020, en visioconférence, qui s’est clairement prononcé pour l’annulation totale de la dette africaine en vue de faire face à la pandémie de coronavirus et à ses conséquences sur le plan économique et social.

Que le G20 et le Club de Paris qui regroupe les créanciers publics aient réagi le 15 avril 2020 par une décision alternative de suspension du remboursement du service de la dette des pays les plus pauvres, n’est que légitime contre-proposition venant des groupes de créanciers.

Ces différentes mesures préconisées par les Institutions de Bretton Woods et d’autres «amis» de l’Afrique sont-elles la solution, la voie d’une bonne réponse durable ? Il est permis d’en douter. C’est la question que les Africains, individus comme gouvernants, doivent continuer à se poser. S’opposer les uns aux autres est le meilleur service que les Africains peuvent rendre aux partisans de l’Afrique éternellement infantile et dépendante.

En ces temps obscurs, dominés par une pandémie sans précédent par sa sévérité et par l’ampleur du basculement qu’elle induit, en semblant mettre en cause les fondements de notre civilisation, c’est une opportunité qui s’offre à l’Afrique de consacrer son énergie de définir des perspectives novatrices pour enfin, être «maitresse» de son destin, pour emprunter ce propos à la pensée cartésienne.

Mamadou Diagna NDIAYE

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