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Etrange Metamorphose (3)

« Il y avait là, par malheur, un petit animalcule en bonnet carré… » ( Voltaire, « micromégas »)

J’ai beaucoup réfléchi au « cas » de cousin baye doudou et en un moment donné je me suis même demandé si ce n’était pas la peur du coronavirus qui lui avait un peu fêlé le timbre, le faisant basculer dans une sorte de crise mystique proche de la schizophrénie…mais les fréquentes visites que je lui ai rendues, et continue de lui rendre, m’ont convaincu du contraire « couse », m’a-t-il dit un jour, comme s’il avait lu dans mes pensées, « …je ne suis pas fou dé ! Tu sais, les vrais fous sont ceux qui nient l’existence de dieu, et j’espère que tu n’en fais pas partie ! Mais cousin, tu te rends compte ! Comment un homme sain d’esprit peut-il ne pas croire en dieu et aux prophètes qu’il nous a envoyés, han ?!… » Pris de court, n’ayant pas d’argument à lui opposer ni de réponse à lui donner, j’ai préféré éluder la question et nous avons parlé d’autre chose… bien entendu lorsque je passe chez lui, baye doudou me tient toujours un sermon lénifiant, mais quand même cohérent, sur la nécessité pour chacun de se consacrer à la religion, seul moyen d’assurer le salut de notre âme ici-bas et dans l’au-delà. Selon lui. Selon lui c’est, par les temps qui courent, une nécessité plus que jamais cruciale. Je l’écoute toujours avec une attention polie et en aucune façon n’essaie de le contredire car je sais que cela ne servirait à rien, sinon peut-être seulement à créer un mur d’airain entre nous.

En effet, j’ai bien compris que mon cousin, engoncé dans ses habits neufs de dévot est absolument certain de détenir le monopole de la vérité. N’ayant pas cette prétention, je suis donc conscient que c’est à moi qu’il revient de faire l’effort d’être tolérant afin de sauvegarder notre relation à laquelle je tiens par-dessus tout. Evidemment son prêchi-prêcha n’a pas plus d’effet sur moi qu’une sonate de Mozart sur un masque dogon et ses belles paroles ne font guère mieux que tomber dans l’oreille d’un sourd.

Néanmoins, comme je l’ai dit, je reste poli et j’écoute avec curiosité et le même intérêt qu’un enfant porterait à des contes de fées les anecdotes imprégnées de merveilleux que me raconte baye doudou dont les talents de conteur ne cessent de m’étonner. par exemple j’ai écouté sans me lasser une seconde le récit du rêve qu’il a fait la veille de sa rupture définitive d’avec ce qu’il appelle à présent « les turpitudes de la vie ».

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Cette nuit-là, me dit-il, il avait vu en rêve notre grand’mère Adja Ndèye sokhna K…, la mère de nos deux mamans qui sont en fait des sœurs jumelles. Elle lui était apparue toute de blanc vêtue, souriante et nimbée d’un halo de lumière.

Dans l’une de ses mains elle tenait un grand livre sur la couverture duquel étaient gravés des caractères arabes, tandis que de l’autre, elle lui faisait signe de la suivre. Mais juste à ce moment, une voix céleste avait retenti et notre grand’mère avait disparu comme par enchantement. Alors lui, baye doudou, s’était réveillé en sursaut, inondé de sueur et le cœur battant à tout rompre. Ce rêve singulier l’avait hanté toute la journée du lendemain et le soir même il s’était empressé d’aller faire un tour au « guétapan », histoire de décompresser et de se détendre un peu autour d’un verre avec ses habituels compagnons de beuverie. Quelle ne fut alors passa surprise en arrivant sur les lieux, de constater que les portes et les fenêtres du bar étaient hermétiquement closes. Sur la porte d’entrée principale était accroché un écriteau où l’on pouvait lire les mots suivants :

« Fermé pour cause de coronavirus »

Etonné et déçu, baye doudou avait alors rebroussé chemin et était rentré chez lui où il s’était enfermé dans sa chambre pour écouter la radio. C’est à ce moment qu’il apprit la nouvelle de la mort du célèbre musicien camerounais Manu Dibango de qui il était un fervent admirateur et dont il avait toujours aimé fredonner la fameux « Soul Makossa ».

Un déclic s’était alors produit dans le cerveau de mon « couse » qui avait senti comme un éclair traverser son esprit ! Le reste se passe de commentaire et je crois qu’il n’est pas besoin d’être mage ou sorcier pour deviner la suite. Mes conversations avec baye doudou ont maintenant une autre tournure, mais j’ai quand même réussi à m’y habituer en m’adaptant à la nouvelle donne. Parfois je suis passablement ahuri, ou même irrité, par ses propos et je l’écoute avec une sorte de fascination mêlée de scepticisme.

La dernière fois que je lui ai rendu visite, il a longuement disserté sur le sujet du coronavirus, arguant que ce redoutable petit animalcule n’est en réalité rien d’autre qu’une manifestation de la Toute- puissance divine, un avertissement adressé aux hommes afin qu’ils se repentent de leurs innombrables péchés et méfaits et qu’ils implorent le pardon de leur créateur. Il a particulièrement insisté sur la nécessité d’éduquer notre peuple qui, selon lui, souffre de trois grands maux : l’inconscience, l’indiscipline et l’ignorance. « Encore faudrait-il que les dirigeants de ce pays soient eux-mêmes des modèles de patriotismes, de compétence et d’honnêteté, que nos maigres ressources naturelles soient gérées avec parcimonie et que nous cessions de nous endetter pour enrichir une minorité. Le mensonge, la corruption, le faux, l’enrichissement illicite qui sont la gangrène de ce pays doivent être combattus avec la dernière énergie et punis avec la plus extrême sévérité » a martelé avec véhémence cousin baye doudou dont le bégaiement naturel s’est légèrement accentué. Il avait l’air d’un tribun et parlait d’un ton passionné dans ce langage châtié, et peut être même un peu recherché, des instituteurs de la vieille école. Quand il a eu fini sa diatribe vengeresse je n’ai pas pu m’empêcher de sourire, quelque peu amusé par sa fougue.

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Mais au fond j’étais en parfait accord avec lui, et même d’avis que l’on devrait couper la tête à tous ceux qui commettent des crimes économiques ! Baye doudou m’a fait aussi remarquer, ce que je sais déjà, que le coronavirus n’épargne personne, qu’il frappe à l’aveuglette, sans distinction de race, de sexe, de religion ou de statut social et qu’en dépit de leurs moyens colossaux, de leur science avancée, de leur technologie sophistiquée, les pays les plus développés de la planète n’arrivent pas encore à le circonscrire et sont pris de panique face à son inexorable expansion. « C’est un mal que dieu a infligé à l’humanité et dont lui seul saura l’en délivrer » a-t-il conclu d’une voix vibrante d’exaltation. Les propos que m’a tenus mon cousin ce jour-là m’ont plongé dans un abîme de perplexité et je ne savais vraiment plus quoi penser de lui.

Même si je continue de nourrir une réelle amitié et une sincère affection à son endroit, je ne cesse de me poser un tas de questions au sujet du spectaculaire changement de cap de cousin baye doudou. Mon scepticisme est d’autant plus grand que, depuis que je le connais, baye doudou n’a jamais manifesté le moindre signe de religiosité en ma présence. Lui et moi n’avons d’ailleurs jamais discuté des choses de la foi et je ne l’ai jamais vu faire la prière chez lui ni à la mosquée, sauf à l’occasion des fêtes de la Korité et de la Tabaski. Cela, me semblait-il, plus par conformisme social que par piété véritable. C’est ce côté apparemment libertin voire iconoclaste qui m’a toujours plu chez baye doudou. C’était aussi la pomme de discorde entre lui et Marianne qui est, elle, d’une piété exemplaire, tout comme leur fille mimi d’ailleurs. Pour moi qui suis depuis longtemps agnostique et libre penseur, il allait de soi que cousin baye doudou le fût également. Eh bien, non ! … je me suis planté sur toute la ligne comme le prouve le brusque virage qu’il vient d’opérer et qui crée en moi une sorte de malaise, un bizarre et diffus sentiment de trahison. De tout ce qui vient d’être relaté j’ai déduit qu’en réalité, dans les profondeurs du subconscient de mon cousin, dans les replis les plus secrets de sa psyché, ont toujours subsisté des croyances solidement ancrées et pour ainsi dire, indéracinables. Il aura suffi d’un rêve nocturne associé à deux faits accidentels pour les faire ressurgir de la manière la plus imprévisible et leur redonner toute leur force primitive, leur puissance originelle.

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En un tournemain, elles ont radicalement transformée l’existence de cet homme et changé sa vision du monde de fond en comble. « nit dafa lëndëm »* proclame un adage bien de chez nous : la stupéfiante pirouette de mon cousin semble en confirmer la véracité.

Tel un lointain avatar de Janus, il avait deux visages dont je ne connaissais en fait que l’une des faces et dont l’autre vient de se révéler à moi !… ce matin encore, devant ma tasse de café fumant, j’ai longuement réfléchi à l’étrange métamorphose de baye doudou. Un trait d’humour m’a alors traversé l’esprit, me suggérant que pour ce qui le concerne, il serait peut-être plus indiqué d’employer ce mot de mon invention « coronamorphose » !

Ce drôle de néologisme m’a fait sourire et, dans mon for intérieur, je me suis dit que décidément les mystères de l’esprit humain sont aussi impénétrables que les voies du seigneur ! L’histoire de mon cousin baye doudou en est, me semble-t-il, la plus parfaite illustration. Mais n’est-elle pas aussi la preuve que le coronavirus ne provoque pas que des hécatombes et qu’il est peut-être même à l’origine de certains singuliers … « miracles » ?

Hypocrite lecteur mon semblable, mon frère, je te laisse le soin de répondre à cette délicate question !

* « l’homme est un être obscur »

 FIN

Saint-Louis-du-Sénégal, Juin 2020







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