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Le RÉgime De Faidherbe Et La Mise En Valeur Des Ressources De La Colonie

Le RÉgime De Faidherbe Et La Mise En Valeur Des Ressources De La Colonie

 

 

 

Analyser le processus de la colonisation et celui de la présence française dans la colonie du Sénégal, tel était l’objectif d’une contribution du Professeur Abdoulaye Bathily présentée à l’Université de Paris 7 Jussieu, en 1974. Dans le sillage des deux dernières éditions où il a été question du rôle et de l’œuvre de Faidherbe, des stratégies militaire et diplomatique de la France métropolitaine, Sud Quotidien propose à ses lecteurs dans son édition du jour, le dernier jet de cette contribution majeure pour apporter au débat en cours et mettre en perspective par l’histoire, le rôle du gouverneur Louis Faidherbe dans cette séquence de l’histoire du Sénégal.

C’est sous le régime de Faidherbe que la reconversion économique de la colonie fut achevée. Cette reconversion est symbolisée par la création de la Banque du Sénégal dès 1855. La gomme constituait encore l’essentiel des exportations mais son déclin était rendu irréversible moins à cause de la concurrence de la gomme du Kordofan que de l’usage de plus en plus généralisée de produits de substitution par l’industrie métropolitaine. Au contraire de la gomme, l’arachide qui venait d’être haussée au rang de culture d’exportation connut une expansion considérable.

Au cours de la période faidherbienne, la production doubla (3 000 à 6 000 tonnes). Faidherbe voulut même encourager un Français, le marquis de Rays, à construire une usine de fabrication d’huile d’arachide. Mais le conseil d’administration de la colonie, dominé par les négociants et armateurs rejeta cette décision sous le prétexte que “l’exportation de l’huile serait la ruine de la colonie”. En effet, la transformation de l’arachide sur place aurait entrainé une diminution de 70 % des tonnages transportés ce qui aurait paralysé la navigation.

Pour accroître les revenus de l’administration, l’impôt per capita fut institué dans les territoires annexés. Dans le Haut-Fleuve où la culture de l’arachide était moins développée, des paysans se trouvèrent dans l’obligation d’émigrer en Gambie et au Sénégal occidental pour vendre leur force de travail comme ouvriers agricoles saisonniers (navetan), d’autres s’engagèrent comme matelots sur la flottille fluviale et surtout la marine marchande qui se développa par suite de l’aménagement des rades de Saint-Louis Rufisque et K.aolack et de la construction du port de Dakar par Pinet-Laprade (1857). Cette émigration prit une dimension plus considérable, que l’administration décida dès les années 1860, de faire payer les impots en espèce par les populations. Nous touchons ici, aux racines du problème de la main- d’œuvre immigrée sénégalaise en France.

Faidherbe lutta pour la suppression de l’esclavage et envoya même une lettre de démission au Ministre pour protester contre la décision d’envoyer une cargaison d’esclaves (“ engagés à temps”) aux Antilles. Cette attitude était sans doute dictée par des convictions humanitaires mais elle pouvait tout aussi bien obéir aux principes capitalistes de la “liberté du travail” dont Faidherbe avait jugé l’- efficacité par la réorganisation du système de conscription des tirailleurs comme indiqué plus haut.

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La doctrine économique nouvelle était qu’en face de l’impossibilité d’une mise en valeur du Sénégal, par une colonie de peuplement européen comme en Algérie, il fallait faire développer les ressources par les habitants eux-mêmes sous la direction de l’administralion. D’où la nécessité de conserver sur place une main-d’œuvre libre que l’on inciterait à la culture de l’arachide et autres produits exigés par l’économie métropolitaine. Cependant ce principe de la liberté du travailleur ne pouvait pas être pleinement appliqué dans la colonie comme en métropole. L’insuffisance des ressources de l’appareil d’Etat colonial et l’hypertrophie relative de son instrument de répression amenèrent la bureaucratie coloniale à avoir recours systématiquement aux solutions de contrainte.

 Ainsi, aux lois sur l’esclavage furent substitués des textes légalisant la corvée et le travail forcé, frappant les populations des régions conquises. Les règles qui régissent le système capitaliste à la métropole sont inefficientes dans une colonie. Non seulement à cause du phénomène de dépendance économique, centre périphérie, mais surtout en raison de la nécessité vitale pour le système colonial dans son ensemble de se défendre à tout moment contre l’opposition tantôt sourde, tantôt explosive du peuple dominé. Pour ce faire le capitalisme est obligé d’enfreindre sa propre légalité par conséquent, l’économie et les superstructures juridico-institutionnelles qu’il introduit dans la colonie ne peuvent être bâties à son exacte image mais en sont la caricature. Sous ce rapport, la bourgeoisie dont le slogan était “Liberté, Egalité, Fraternité “ au temps de Faidherbe, n”hésite pas à appliquer au Sénégal des lois établissant la distinction entre “sujets” et “citoyens français”. Défense était faite aux “sujets” de quitter sans autorisation, les territoires sous protectorat où ils habitaient. Ils n’avaient pas de droits politiques dans le cadre du système colonial. Le Commandant de cercle introduit par Faidherbe devint le maitre Jacques, ayant droit de regard jusque dans les conflits privés.

RELATIONS D EFAIDHERBE AVEC LA BOURGEOISIE COLONIALE

 Dans leur tentative d’interprétation de l’expansion coloniale française en Afrique occidentale, certains historiens dont le plus en vue est aujourd’hui Kanya-Forstner voient dans les réalisations du régime faidherbien l’œuvre personnelle du gouverneur Celui-ci est présenté comme un individu hors-série et initiateur d’un “ impéria1isme militaire” qui, contrairement à la thèse de Lénine aurait été à l’origine de la conquête. Nous ne pouvons discuter ici de cette question théorique fondamentale qui a suscité et suscite encore des débats passionnés dont les motivations de classe sont évidentes. Faisons simplement quelques remarques pour éclairer notre sujet. Il est certain que la forte personnalité de Faidherbe, sa persévérance non moins que son intelligence politique et militaire et son profond patriotisme ont joué un rôle très important dans l’- expansion coloniale, Cependant, certains de ses prédécesseurs comme André Brüe, plusieurs fois directeur de la Compagnie du Sénégal (1697-1720) et que Berlioux qualifiait de “père de l’A.O.F”, à l’instar de Faidherbe tout comme les gouverneurs Schmaltz, baron Roger et Bouet-Willaumez avaient une vision également grandiose des intérêts de la France au Sénégal et possédaient de remarquables qualités personnelles. Que Faidherbe ait réussi dans une tâche où ils avaient échoué relève donc des données autres que celle s’attachant à leur individualité propre. Nous avons déjà mentionné que Faidherbe fut le premier à avoir gouverné sans interruption pendant une longue période (sept ans).

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Mettant à profit sa propre expérience et celle de ses devanciers ainsi que la disposition générale des esprits en faveur de l’application des plans de colonisation dressés avant lui, il acquit une autorité considérable voire une large autonomie de décision qui manquaient à ses prédécesseurs. Mais surtout il renforça sa position par les liens solides d’amitié qu’il entretenait avec les membres les plus influents de la bourgeoisie coloniale comme le gros négociant Hilaire Maurel, cofondateur de Maurel et Prom. Maurel était signataire de la pétition rédigée par les négociants de Saint-Louis en 1854 et qui demandait la réorganisation économique de la colonie et un séjour prolongé des gouverneurs. C’est lui qui intervint auprès de son ami, le ministre de la Marine, Ducos, pour la nomination de Faidherbe, comme précédemment mentionné.

Le gouverneur entretint également de bonnes relations personnelles avec les membres du Conseil d’Administration de la colonie qui jouait pratiquement le rôle d’organe de décision politique et dont les membres les plus influents étaient les négociants et les gros traitants. Certes ces relations ne furent pas toujours sans difficultés. L’on a vu comment les négociants bloquèrent la proposition de Faidherbe pour l’installation d’huileries à la colonie. Ce sont eux encore qui, en 1860, obligèrent Faidherbe à signer le traité mettant fin aux hostilités contre El Haj Umar et délimitant les possessions respectives de la France et du conquérant toucouleur. Craignant que la poursuite de la guerre ne nuisit aux opérations commerciales, ils optèrent pour “une politique de paix et de bonne volonté fondée sur l’intérêt mutuel” , contre la volonté de conquête territoriale des militaires Mais chaque fois que les transactions semblaient menacées par des groupes locaux, le commerce n’hésita pas à avoir recours aux troupes pour défendre ce qu’il considérait comme son droit.

Répondant à l’appel des commerçants de Saint-Louis dont les affaires étaient menacées de ruine dans le Haut-Fleuve à la suite du blocus des comptoirs de la région par les partisans d’EI Haj Umar regroupés à Gemu, Faidherbe sur pied une expédition qui détruisit le village (octobre 1859) . Les conflits surgis au sein de l’appareil d’Etat colonial entre le groupe économique et le groupe politico-militaire ont été presque toujours résolus en dernière instance au bénéfice des intérêts immédiats ou lointains de la bourgeoisie coloniale. Sans rejeter complètement le rôle des motivations personnelles (désir de gloire) ou les autres déterminants psychologiques que l’on peut déceler derrière l’action d’individus comme Faidherbe et d’autres chefs militaires, les faits démontrent amplement que la colonisation a été fondamentalement l’œuvre de la bourgeoisie coloniale.

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Les relations entre cette dernière et le gouvernement de la colonie ont été décrites en termes clairs par Faidherbe lui-même : “Il en est ainsi chaque fois qu’une mesure prise dans le but d’obtenir des résultats avantageux pour l’avenir, trouble momentanément sur un point les opérations commerciales. Les commerçants voient surtout leur intérêt du moment; qu’ils fassent fortune en quelques années au Sénégal pour rentrer alors en France, il n’en faut généralement pas davantage pour les contenter. Le gouvernement doit lui, se préoccuper de l’avenir de la colonie. Dans un moment où toutes les puissances de l’Europe jetaient leur dévolu sur l’Afrique, comme un nouvel et immense marché d’exploiter, il ne fallait pas que la France, qui avait l’avance sur elles toutes, dans cette partie du monde, se laissât distancer par ses rivales “.

En conclusion, rappelons ces quelques idées essentielles : confronté aux tâches de la conquête, Faidherbe trouva dans l’étude des sociétés sénégalaises, les instruments de sa politique. Utilisant tour à tour, la force brutale, la ruse politique, l’intoxication idéologique dans ses relations avec les Africains, il réussit à imposer le système colonial au bénéfice de la bourgeoisie coloniale. Les caractéristiques fondamentales du sous-développement sénégalais étaient apparues dès cette période. Aux anciennes barrières sociales, son régime en ajouta de nouvelles et approfondit les conflits au sein des peuples et des Etats. 11 est donc erroné de le présenter comme le bâtisseur de l’unité nationale sénégalaise dont le contenu social et la nature politique ne peuvent d’ailleurs être correctement définis que par rapport à la réalité de la contradiction antagonique existant entre les intérêts de la bourgeoisie coloniale (et néo-coloniale) et son allié local d’une part, et d’autre part les aspirations du peuple sénégalais à une indépendance réelle. Les masses sénégalaises, à supposer qu’elles aient besoin de héros, ne peuvent choisir en tout état de cause, Faidherbe. La conception d’un Sénégal indépendant, en dehors de la tutelle française était totalement étrangère à la vision du monde et l’idéal faidherbiens.

Que les idéologues du néocolonialisme glorifient l’œuvre de Faidherbe pour se concilier l’impérialisme, cela est conforme à leurs options de classe. Cependant, par un traitement dialectique, les militants politiques peuvent et doivent étudier l’œuvre faidherbienne comme toute autre pour contribuer à sa démystification mais surtout pour acquérir une connaissance scientifique des lois du développement social sans laquelle la théorie et la praxis révolutionnaire ne seraient comme disait Lénine que “charlatanisme.







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