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Contre L’annulation De La Dette Des Pays Du Tiers Monde

Célèbre avocat et ancien magistrat, Me El Hadj Guissé a eu à occuper différentes fonctions dans le système judiciaire de notre pays. il a aussi exercé de hautes responsabilités sur le plan international. Si nous l’avions perdu de vue, c’est parce qu’il était à la Cour Africaine de Justice à Arusha (Tanzanie). En sa qualité de citoyen sénégalais et de militant africain des droits de l’homme, Me El Hadj Guissé a choisi « Le Témoin » pour faire son « réquisitoire » ou plaidoyer juridique et économique pour l’annulation de la dette des pays du tiers monde. Document…

Depuis près d’un demi-siècle, les pays en développement sont confrontés à de graves problèmes économiques, politiques et sociaux qui menacent dangereusement l’existence de leurs populations et par conséquent, empêchent la réalisation ou la protection des droits humains de l’individu. Ces problèmes et cette situation d’ensemble sont engendrés par la dette et le service qu’elle leur fait supporter.

Ainsi la dette est devenue non seulement un moyen de pousser ces pays dans l’extrême pauvreté, mais également un moyen de domination et d’exploitation que nous croyions disparu avec la colonisation. Pire elle a permis de passer d’une colonisation publique à une colonisation privée, j’allais dire un retour à l’esclavage tel que nous l’avons connu au XIVème siècle. La dette empêche tout développement humain durable, toute stabilité politique et toute sécurité. La dette, ce fléau du XXIème siècle, a bien entendu un impact négatif sur les droits de l’homme, qu’ils soient communautaires ou individuels. Par ses conséquences négatives, la dette des populations du tiers monde demeure une entrave incontournable au développement économique et social. Elle est à l’origine de l’extrême pauvreté dans laquelle se débattent des milliards d’individus. Rappelons que 20% de la population mondiale détiennent et jouissent des richesses du monde alors que 80% croupissent dans la misère, la faim et la maladie et y sont maintenus par une gestion négative de la dette et un déséquilibre chronique de l’économie mondiale.

HISTORIQUE

L’histoire de la dette du tiers monde est celle d’une formidable ponction opérée par la finance internationale sur les peuples les plus démunis. Une ponction programmée pour être indéfinie, grâce à un mécanisme infernal de reproduction de la dette à une échelle de plus en plus vaste, mécanisme que l’on ne pourra briser que par l’annulation de la dette. La dette doit être examinée historiquement, tout en faisant ressortir ses aspects juridiques, notamment son fondement au sens du droit international positif, qui considère déjà qu’elle est illégitime. La dette des pays en développement résulte en partie de la prise en charge indue des dettes des Etats colonisateurs imposée par ceux-ci aux jeunes états au moment de leur accession à la souveraineté internationale.

En effet, dès 1960, la dette publique extérieure de ces pays atteignait 59 milliards de dollars des Etats-Unis. Grevée d’un taux d’intérêt de 14% unilatéralement fixé, cette dette a rapidement augmenté. Les nouveaux débiteurs, avant même d’avoir le temps d’organiser et de démarrer leur économie, portaient déjà le lourd fardeau de la dette. Pour exemple, la commission Lester Pearson avait estimé qu’en 1977 déjà, la dette, c’est-à-dire le remboursement annuel du principal et le paiement des intérêts, dépassait à lui seul le montant brut des nouveaux prêts dans une proportion de 20% en Afrique et 30% en Amérique Latine.

En d’autres termes, le nouveaux prêts qu’un état en développement estime devoir contracter pour réaliser son développement ne pouvaient être affectés à cet usage et ne suffisaient même pas à faire face au simple service de la dette antérieure. L’état en développement devra dorénavant s’endetter régulièrement non pour investir mais pour rembourser le service de la dette. Cette situation est le résultat de l’application d’un droit internationale injuste. L’ordre juridique créé par l’ancienne société internationale avait l’apparence de la neutralité ou de l’indifférence mais aboutissait en réalité à une non-intervention du droit permettant aux forts d’écraser les faibles. Il s’agissait d’un droit permissif dans les faits. C’était un droit colonial institutionnalisé à la conférence de Berlin de 1885 sur le Congo. Ce droit de conquête reconnait la validité des traités inégaux fondamentalement léonins que les colonisateurs signaient avec les autochtones pour finalement accaparer la totalité de leurs biens mobiliers et immobiliers.

Les Etats européens projetaient ainsi sur le plan mondial leur puissance. Le droit international de l’époque était un droit octroyé, élaboré et appliqué par eux et pour eux. Bismarck, déclarait en 1878 au nom du Congrès de Berlin que « l’Europe a seule le droit de sanctionner l’indépendance ; elle doit donc se demander sous quelle condition elle prendra cette importante décision ». En somme, l’Europe seule était habilitée à établir l’acte de naissance d’un état. Â cette époque d’égocentrisme européen triomphant, le bien commun de l’Europe était identifié au bien commun de l’humanité. Aux fins de l’application du droit international européen, les populations du monde étaient classées en civilisées, demi-civilisées et non civilisées ou encore selon Lorimer, en civilisées, barbares et sauvages. Le droit de l’époque n’était appliqué que pour protéger les états européens.

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En 1780, Jeremy Bentham précisait dans ses principes, qu’il était plus judicieux d’appeler « droit international l’ensemble des normes qui régissaient à l’époque les relations officielles entre les Etats européens ». Il est clair que ce droit n’avait d’international que le nom. L’Europe conquérante du XIXème siècle pouvait ainsi se forger une légitimité pour asservir et piller le tiers monde décrété non civilisé. C’est dans le cadre de ce droit international que la colonisation s’est réalisée en une application systématique de la loi du plus fort contre les faibles. C’est le droit également qui a permis l’esclavage, dont le paroxysme a été l’élaboration du code noir qui institutionnalisait la catégorie des sous-hommes qu’étaient les Noirs et qui, après l’abolition de l’esclavage, a abouti à la colonisation, qui était très peu différente quant à son application.

NAISSANCE ET AGGRAVATION DE LA DETTE

Les puissances coloniales, au moment où elles avaient en main la destinée des peuples coloniaux, ont contracté à leur nom des dettes dont le passif a été directement imputé aux Etats devenus indépendants. Cette transmission automatique de la dette a été critiquée par plusieurs auteurs qui ont soutenu que la succession au passif de l’Etat prédécesseur mérite d’être analysée et solutionnée en droit et non imposée. La solution de la non-succession apparaît comme la conséquence logique du respect de la souveraineté de l’Etat successeur, qui, n’étant pas le débiteur originaire, n’a pas à exécuter des obligations auxquelles il n’a pas consenti. Au niveau de la jurisprudence internationale, les partisans de cette solution négative citent volontiers la sentence rendue le 18 avril 1925 par l’arbitre suisse Eugène Borel dans l’affaire de la répartition de la dette ottomane entre la syrie, le Liban et l’Iraq détachés de l’empire le lendemain de la première Guerre mondiale.

D’après un passage significatif de cette décision, « il n’est pas possible malgré les précédents déjà existants de dire que la puissance cessionnaire du territoire est de plein droit tenue d’une part correspondante de la dette publique de l’Etat dont il faisait partie jusqu’alors. ». L’Etat successeur est un état tiers par rapport à tous les traités conclus par l’Etat prédécesseur. Le droit des traités, notamment la règle fondamentale de la relativité des traités, dicte cette solution de principe dont la doctrine ne peut que reconnaitre le bien fondé. L’acceptation d’une succession ne se présumant pas, c’est au créancier d’établir que l’ensemble des conditions de nature à lui permettre de réclamer paiement à l’héritier est réuni. La manifestation de la volonté d’accepter une succession ne résulte pas clairement de ce que la successible a été désigné comme héritier.

La puissance coloniale n’avait donc pas qualité pour désigner unilatéralement le pays colonisé comme étant héritier de son passif, fût-ce par un écrit ou compris dans un ensemble de faits juridiques constatés. La déclaration d’indépendance ne peut à elle seule constituer un support juridique pouvant transmettre le passif de la succession de l’Etat prédécesseur. Un être humain simplement conçu ne peut être débiteur, il ne peut à la limite qu’être créancier, précise le droit successoral. Les états anciennement colonisés, avant même de naître, c’est-à-dire avant d’accéder à la souveraineté internationale, avaient déjà des dettes dont le remboursement leur à été immédiatement exigé. Pour mieux gérer cette dette, les pays nantis ont créé deux structures en dehors du fonds monétaire international (Fmi) et de la banque mondiale. Il s’agit du Club de Paris et du Club de Londres.

LE CLUB DE PARIS

Il se réunit toujours à Paris et s’occupe de la dette publique. Il s’agit du groupement d’Etats créanciers spécialisés dans la normalisation des défauts de paiement des pays en développement, créé en 1956 autour de la crise avec l’Egypte. Les liens entre le Club de Paris et le Fmi sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le Fmi dans les réunions confidentielles du club de Paris, le Fmi joue un rôle clef dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomique pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié de Fmi et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en développement.

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LE CLUB DE LONDRES

Il réunit les banques privées qui détiennent des créances sur les états et les entreprises du tiers monde. Pendant les années 70, les banques de dépôt étaient devenues la principale source de crédit des pays en difficulté. Dès la fin de la décennie, ces dernières allouaient déjà plus de 50% du total des crédits accordés, tous prêteurs confondus. Au moment de la crise de la dette, en 1982 le Club de Londres eut donc intérêt à travailler avec le Fmi afin de gérer cette crise. Ces groupes de banque de dépôt se rencontrent pour coordonner les rééchelonnements de la dette des pays emprunteurs. On qualifie plus précisément ces groupes de « commissions consultatives ». Ces rencontres, à la différence du Club de Paris, qui se réunit toujours à Paris) ont lieu à New York, Londres, Paris, francfort ou ailleurs selon les préférences des pays et des banques. Les commissions consultatives, formées dans les années 80, ont toujours conseillé aux pays débiteurs d’adopter immédiatement une politique de stabilisation et de demander le soutien du fMI avant de solliciter un rééchelonnement ou une requête d’argent frais auprès des banques de dépôt Ce n’est qu’en de très rares occasions que les commissions consultatives donnent suite à un projet sans l’aval du fMI, si les banques de ces pays, mènent une politique adéquate.

TAUX D’INTÉRÊT DE LA DETTE

Cette dette d’un montant de 59 milliards de dollars en 1959 avait été affectée d’un taux de remboursement de 14% unilatéralement fixé par les institutions financières internationales au profit bien entendu des puissances d’argent également puissances coloniales. Ce taux a été considéré par beaucoup comme étant un taux usuraire. selon la loi, est prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit. Le taux appliqué à la dette des Etats du tiers monde était et reste exagérément usuraire si l’on tient compte de cette disposition légale.

En droit pénale, l’usure est un délit répréhensible tant sur le plan de la répression que celui de la réparation. Ce taux, qui plus tard a été diminué de moitié, est resté usuraire et a été unilatéralement décidé par les états du Nord. L’infraction pénale ne peut en aucun cas légitimer l’acquisition par réalisation. Ainsi, en droit et en logique, toute acquisition qui résulte de la commission d’un délit est nulle et de nul effet. Les juridictions nationales sont toutes imprégnées de cette notion. Cela reviendrait à dire que tous les intérêts que les pays débiteurs ont eus à payer sont de pleins droits nuls et doivent être restitués. L’article 1235 du Code civil français nous rappelle que « tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition ».

L’aggravation de la dette est due en très grande partie à l’application de ce taux d’intérêt qui, eu égard aux dispositions légales, demeure une source illégale d’acquisition. La loi précise par ailleurs que lorsqu’un prêt conventionnel est usuraire, les perceptions excessives sont imputées de plein droit sur les intérêts normaux alors échus et éventuellement le principal.

CONTESTATION JURIDIQUE DE LA DETTE

La contestation économique d’un droit des puissances nanties s’est réalisée progressivement grâce à la décolonisation. Le professeur Louis Henkin a bien résumé la position des états du tiers monde : « Le droit international ne peut survivre au déclin de la domination européenne et ne peut gouverner une communauté des nations dont la majorité des membres ne sont pas européens, ne participent pas au développement du droit et dont les intérêts sont différents de ceux des autres nations. s’adressant à la sixième session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, en sa qualité de Président de la sixième Conférence au sommet des pays non alignés, le chef de l’Etat algérien a déclaré sur ce point : « L’examen des problèmes de la dette actuelle des pays en développement est hautement souhaitable. C’est examen devait envisager l’annulation de la dette dans un grand nombre de cas et dans d’autres sa récapitulation avec les meilleures conditions en matière de délai. Les principales conséquences de telles pratiques sont une multiplication et une aggravation des difficultés rencontrées par les pays en développement.

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Les principales victimes sont, bien entendu, les couches sociales démunies, dont les moyens de subsistance diminuent ; rien ne semble stopper l’évolution de ces populations vers une pauvreté absolue. Tout porte à croire que la perpétuation de la dette des pays en développement résulte d’une volonté politique délibérée dont l’unique objectif est d’anéantir tout effort tendant à l’amélioration économique et sociale de ces pays et de leurs populations. Il est certain que les déséquilibres financiers internationaux vont frapper de plein fouet les économies déjà fragilisées des pays en développement ; ces déséquilibres s’aggraveront aussi longtemps que les structures de l’économie mondiale seront placées sous le signe de l’échange inégal. Par ailleurs, tout porte à croire que le maintien en l’état de la dette permettra de faire de celle-ci un levier formidable pour mettre les pays en développement à genoux, tout en fournissant à leurs classes dirigeantes les moyens de se mettre à l’abri et être les partisans « j’allais dire les artisans » d’une politique économique catastrophique pour la grande majorité des populations pauvres du globe. Le procédé par lequel la dette est actuellement gérée va permettre en outre aux sociétés transnationales de briser toute velléité des pays débiteurs d’affirmer leur souveraineté et de définir leur propre voie de développement.

En raison du rôle qu’elle joue de nos jours, la dette est un fantastique instrument de domination que les sociétés transnationales manient dangereusement contre les pays en développement. Il faut mentionner ici l’échec des institutions monétaires de Bretton Woods qui ont failli à leur mission première consistant notamment à créer et maintenir entre les différents acteurs de la vie économique internationale l’équilibre dans l’intérêt supérieur de l’humanité. Cet échec, conjugué avec l’action des sociétés transnationales et l’égoïsme des états développés, a conduit à la création de deux pratiques néfastes et destructrices que sont les programmes d’ajustement structurel et, plus récemment, la dévaluation des monnaies des pays en développement. C’est dans ces conditions qu’intervient la mondialisation de l’économie, qui, au-delà de la négation qu’elle constitue pour les pauvres, est une source de déséquilibre constituant un obstacle incontournable pour la création d’un ordre économique et social mondial.

Rappelons que l’annulation de la dette des pays colonisés avait été évoquée à New Delhi, lors de la deuxième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. M. Louis Nègre, ministre des finances du Mali, à la 58ème séance plénière, disait que beaucoup de ces pays auraient pu légitimement contester la validité juridique des dettes contractées du chef des puissances étrangères, et il ajoutait que par-delà le juridisme et la formation du bon droit, nous voudrions simplement réclamer des pays créanciers développés, comme preuve de leur bonne volonté sur ce sujet, qu’ils décrètent l’annulation pure et simple de toutes les dettes contractées pendant la période coloniale en fonction d’intérêts qui n’étaient pas fondamentalement les leurs et dont le service leur incombe injustement.

UN PIEGE DANGEREUX : LE MORATOIRE

Le moratoire consiste à différer le payement du principal et des intérêts. Durant le temps de la suspension, les intérêts continuent de s’accumuler .et d’augmenter la dette. Le moratoire va simplement contribuer à augmenter la dette et renforcer la mainmise des Etats créanciers sur l’économie des pays en développement.

CONCLUSION

Aux termes des informations que nous mettons à votre disposition, nous vous invitons à partager notre préoccupation et d’exiger l’annulation pure et simple de la dette des pays en développement et la restitution de ce qui a été indument perçu et ce sera justice ; nous exigeons la réforme des institutions monétaires internationales et la présence des Etats en développement au niveau de leurs organes de direction de gestion et contrôle.







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