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RÉponse Au Faidherbien AutoproclamÉ Ousseynou Nar Gueye

Ousseynou Nar Gueye que je lis souvent m’avait personnellement habitué à de meilleurs textes. Celui qu’il consacre à ceux qu’il appelle « défaidherbeurs » (« Mon Adresse aux défaidherbeurs« ) semble être rédigé à la hâte pour répondre à d’autres auteurs sans s’entourer des gardes-fous et précautions intellectuelles nécessaires. Il tombe dans un total confusionnisme, voire un amalgamisme volontaire trahissant une incompréhension des termes du débat sur la statue de Faidherbe.

M. Gueye peut tout à fait se déclarer « Faidherbien » comme il le fait dans son texte – c’est son droit -, mais il serait bien, dans l’intérêt des lecteurs, que les participants à ce débat, en comprennent tous les tenants avant de se lancer dans de longues diatribes sans réelle valeur heuristique.

Aucun Sénégalais connaissant un tant soit peu l’histoire de son pays ne conteste que Faidherbe et les gouverneurs coloniaux en fassent partie. C’est d’ailleurs ce que beaucoup de débatteurs ont fait savoir dans leurs écrits. En ce qui me concerne, j’écrivais ceci : « Demander le retrait de la statue de Faidherbe, ce n’est ni réclamer la suppression de ce personnage des manuels d’histoire ni exiger qu’il ne soit plus enseigné. Ce qui est dénoncé, c’est sa présence et sa mise en avant dans l’espace public. Ceux qui s’arc-boutent sur l’argument de « l’effacement de l’histoire » confondent enseignement de l’histoire et éléments du patrimoine auxquels on accorde de l’importance et que l’on choisit de conserver dans l’espace public. L’histoire du fait colonial avec ses différents personnages et péripéties est bien enseignée, mais la question du legs à promouvoir interpelle, elle, la notion de patrimoine. On peut bien enseigner une histoire douloureuse sans statufier des bourreaux et sans les inclure dans les héritages à valoriser publiquement et à transmettre à la postérité. »

Ceux qui s’érigent contre la statue de Faidherbe ne sont pas contre la France en tant que peuple et civilisation. Ce combat, il faut le rappeler, est mené en toute intelligence avec des Français, vivant en France, opposés aux statues d’oppresseurs coloniaux. Il est également important de préciser que des Français résidant au Sénégal, ont rencontré il y a quelques jours à Dakar des opposants sénégalais à la statue de Faidherbe pour apporter leur pierre à la lutte. Eux ont bien compris, comme le disait le regretté Sankara, que ceux qui exploitent l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe. C’est donc un débat qui va au-delà de tout racialisme étriqué.

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A-t-on une bonne prise en se plaçant sur le terrain de la langue ? Demander à ceux que M. Gueye appelle les « défaidherbeurs » d’utiliser une autre langue que le français s’ils sont cohérents est-il pertinent ? Ce n’est pas parce des personnes utilisent une langue donnée qu’elles ne doivent pas dénoncer un oppresseur parlant cette langue. Si l’on suit ce type de raisonnement jusqu’au bout, alors on dira qu’un Amilcar Cabral devait se départir de la langue portugaise avant de dénoncer les colonialistes portugais ; qu’un Cheikh Anta Diop devait cesser d’écrire en français et répudier sa femme française avant de dénoncer le colonialisme français ; qu’un germanophile français célèbre, le père Chaillet, ne devait plus étudier l’allemand en devenant un célèbre résistant à l’occupation allemande. Si ce raisonnement prévaut, alors il faut dire également aux penseurs latino-américains Enrique Dussel et le regretté Aníbal Quijano, qu’ils ont commis une grosse erreur en émettant en espagnol, langue européenne, une critique des savoirs eurocentriques et coloniaux hégémoniques.

Qui se pose la question de savoir si les Algériens de l’après-indépendance devaient se départir de la langue française avant de remplacer la statue du tortionnaire colonialiste Bugeaud – maître à penser de Faidherbe – par celle de l’émir Abdel Kader ?  Le fait de parler la langue d’un oppresseur ne délégitime pas la lutte menée contre lui. Au contraire, il la nourrit et la renforce souvent. Nelson Mandela nous dit qu’en prison, la première chose qu’il a comprise c’est la nécessité d’apprendre l’afrikaan, langue des Afrikaners, pour mieux sympathiser avec les gardes, gagner leur confiance, lire les journaux dans cette langue afin de mieux orienter son combat.

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Il faut donc être clair : parler la langue d’un tortionnaire ne rend pas invalide le combat mené contre sa statue.

Pour aller plus loin, même ceux qui militent pour les langues nationales ne disent pas de bouter dehors les langues étrangères européennes. Un Cheikh Anta Diop réfutait même l’exclusivisme qui tendait à éliminer les mots d’origine occidentale qui ont acquis droit de cité dans les langues africaines. C’est parce que Diop savait bien que les langues se forment et évoluent par la création de néologismes mais surtout par emprunt à d’autres langues. Dire que ceux qui dénoncent la statue de Faidherbe doivent trouver un « alphabet dépouillé d’origine allogène et d’effluves coloniales », c’est croire encore au mythe nazi d’une langue pure.

Des auteurs africains écrivant dans des langues africaines continuent d’écrire en français ou en anglais. C’est le cas de Boubacar Boris Diop et de Ngugi wa Thiong’o. Boris Diop nous dit bien d’ailleurs qu’il n’a rien contre quelque langue que ce soit, qu’il écrit plutôt « pour l‘humanité entière, consciemment ou inconsciemment ». Mais écrire pour l’humanité entière ne veut pas dire ignorer son audience première. Boris Diop et Ngugi wa Thiong’o ont l’intention de dire aussi au monde qu’ils ont une langue première : « Notre audience, reprend Boris Diop, c’est le monde entier. Mais pour moi, le concept fondamental, c’est celui de l’audience première. Autrement dit : pour qui écrit-on en premier lieu ? À partir de quel lieu va-t-on atteindre le reste du monde ? »

Utiliser par moment le français ou l’anglais ne délégitime pas chez ces auteurs le combat contre la décolonisation des esprits qu’ils appellent de leurs vœux.

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Faidherbe, à l’instar de beaucoup de gouverneurs français, parlait très souvent le wolof à ses interlocuteurs sénégalais. Cela ne l’a pas empêché pourtant de massacrer des populations qui parlaient cette langue. André Demaison, dans la biographie qu’il a consacrée à Faidherbe en 1932, nous rappelle que ce gouverneur avait bien compris « l’autorité, la touche directe que l’on acquiert sur les âmes et sur les cœurs des indigènes quand on parle leur langue avec dignité. C’est un élément essentiel d’administration que nos fonctionnaires modernes dédaignent généralement, pour le plus grand dommage de leur esprit et de leur commandement. » Parler la langue de l’indigène, c’était avoir une emprise sur lui. Faut-il alors parler wolof comme Faidherbe pour avoir le droit de décrier sa statue ?

Ce débat sur les statues coloniales et, partant sur le patrimoine, est d’une haute importance. Il ne faudrait pas que certains en fassent une arène de simples gesticulations et l’abordent en dilettante. Il est bien vrai que sa nouveauté fait peur. La gestation d’un monde nouveau est toujours douloureuse. Le crépuscule des idoles laisse un goût amer. Ceux qui appréhendent mal le changement sont ceux-là qui sont incapables de voir la promesse qui s’annonce. Ramener la conversation à une question d’usurpation linguistique doit être perçu comme un signe des derniers spasmes d’un monde en voie de disparition, celui où l’on statufie et glorifie des racistes et autres tortionnaires de la colonisation.

Le philosophe et spécialiste des langues africaines Khadim Ndiaye est basé à Montréal au Canada

Le texte d’Ousseynou Nar Guèye dont il est question est à retrouver ici

 







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