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Défendez L’indéfendable Si Vous Voulez, Mais Respectez Nos Paysans, M. Ndiaye!

Défendez l’indéfendable si vous voulez, mais respectez nos paysans, M. Ndiaye!

J’ai été outré de lire, dans le “Temoin” No 1338 du 17 au 20 juillet 2020, un éditorial de Mamadou Oumar Ndiaye (MON) intitulé  “Il faut laisser exploiter ces immenses étendues de terres qui dorment”. Quelle outrecuidance! Quelle ignorance des réalités paysannes et quel manque de respect! Je ne puis manquer de réagir à cet article tellement j’ai été choqué par la faiblesse de l’analyse et l’impertinence de cet éditorialiste qui, à l’image de pas mal de nos soi-disant patrons de presse, fait comme s’il écrivait sur commande ou pour défendre un bienfaiteur ou un ami.
 
Je tiens, avant d’aller plus loin, à préciser que je ne suis ni paysan, ni fils de paysan. Seulement j’ai eu, de par mon travail, à côtoyer ces braves personnes pendant plus d’une vingtaine d’années et à mesurer leur ardeur au travail et leur dignité face aux affres de la vie. Je ne saurais accepter qu’un monsieur qui s’est fait sous l’ombre de politiciens ou affairistes puisse leur manquer de respect, sous prétexte de défendre quelqu’un qui, avec la complicité des Autorités de ce pays, s’est approprié pour son compte personnel les ressources foncières des populations de Ndingler et de Djilakh.
 
M. Ndiaye, en traitant nos paysans de fainéants et en qualifiant Senghor de visionnaire pour avoir, à travers la loi 64-46 du 17 juin 1964, reversé la quasi-totalité des terres paysannes dans le domaine dit national (ce qui n’était pas loin d’une escroquerie foncière!), fait montre d’une ignorance des réalités du monde rural. Ces “immenses étendues de terre’ dont parle ce journaliste ne sont nullement en dormance. Elles font effectivement l’objet d’exploitation et de mise en valeur permanentes. Ce n’est pas parce que des terres sont  laissées en friche ou en régénération qu’elles ne sont pas exploitées. Les zones de terroir et pionnière ne sont pas uniquement des zones agricoles ; elles intègrent des zones de pâturage, des voies de passage, des sources d’énergie… La destination de ces terres est multiple. Elles répondent aux besoins alimentaires, économiques, sanitaires, sociales et de loisirs pour les populations. Loin d’être des fainéants, les paysans conscients de ce que leur rapportent ces ressources foncières, ont toujours su rationaliser la gestion de celles-ci et entretenir avec elles des relations affectives ou a la limite sacrées.
 
S’armant d’un argumentaire superficiel et tendancieux, Monsieur Ndiaye semble accuser les paysans d’être incapables de nourrir le Sénégal. Si incapacité il y a, elle devrait être recherchée du côté de l’Etat qui n’a pas été en mesure de développer notre agriculture et notre élevage en se basant sur le savoir rural et les valeurs paysannes. En décidant que toutes les terres non immatriculées seraient reversées dans le domaine national (qui n’existe qu’au Sénégal par ailleurs!), Senghor était dans une logique de nationalisation des terres paysannes. Une telle démarche pouvait se comprendre si par la suite, l’Etat était en mesure d’investir dans des aménagements structurants et moderniser radicalement notre agriculture, sans déposséder les paysans. Tel n’a pas été le cas sauf un peu dans la vallée du fleuve Sénégal et un tout petit peu dans le Gouloumbou avec les terres neuves. Les paysans de la vallée qui ont bénéficié d’aménagements, d’investissements et d’appui technique de la part de la SAED ont montré leur capacité a transformer l’agriculture et à se projeter dans la modernité comme des agro-businessmen/women. Combien sont-ils ceux qui aménagent des centaines d’hectares, prennent des crédits bancaires à hauteur de milliards de francs CFA et investissent dans la production et la transformation rizicoles? Ils sont des centaines dans la vallée maintenant. Peut-on les qualifier de fainéants ou de partisans du moindre effort? Non MON ! Les fainéants, c’est cette élite qui vit de magouilles politiciennes, de détournements de deniers publics, de corruption, de manœuvres frauduleuses pour gagner beaucoup sans suffisamment travailler! Vos amis du monde politique, de la presse occupant l’espace public dans le seul dessein d’user de leur influence pour faire partie du partage des ressources organisé par ceux-là même qui ont pris des lois pour dépouiller le monde rural de ses biens vitaux.
 
La vision de Senghor n’était pas de déposséder des paysans pour enrichir des privés, mais de créer les conditions d’un développement économique et social harmonieux, respectueux d’un équilibre social et écologique. C’est cette “élite” prévaricatrice qui, par le biais de réformes et de pratiques juridiques malsaines et antirépublicaines, cherche des voies et moyens malhonnêtes pour s’attribuer les terres paysannes fragilisées par la loi sur le domaine national. Si on restait dans l’esprit de cette loi d’ailleurs, l’Etat n’aurait jamais eu le pouvoir juridique de déclassifier une terre du domaine national, pour l’immatriculer au nom de particuliers au détriment des autochtones.
 
Monsieur Ndiaye, c’est avec l’avènement de votre premier mentor (Le Président Abdoulaye Wade que vous avez servi a travers le journal “Sopi”) que le glissement est opéré pour privatiser la terre des paysans. En principe et légalement, l’Etat n’est pas le maître incontesté des terres du domaine national. Aux termes des articles 2 et 3 de la LDN (loi sur le domaine national, ndlr), “ l’Etat détient (il n’en est pas propriétaire) les terres du domaine national… celles-ci ne peuvent être immatriculées qu’au nom de l’Etat ». Il n’est point cas de particuliers fussent-ils de gros investisseurs. C’est en fait, pour contourner ces dispositions pertinentes de la LDN, que le régime libéral de Wade avait introduit la loi 06/ 2011 portant transformation des permis d’habiter ou titres similaires en titres fonciers.
 
Dans le cas particulier de cette zone qui inclut Ndingler, toujours sous prétexte de développement économique, l’Etat avait adopté une loi 2007-16 du 19 février 2007 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Zone Économique Spéciale (ZES) d’une superficie de 10000 ha entre Diamniadio et Mbour. Celle-ci avait anticipé la possibilité de dépouiller les populations de leurs terres et de les octroyer à des “investisseurs” au nom d’une prétendue exploitation modernisée de notre zone rurale. Avec le capitalisme sauvage qui s’installe à pas de géants dans notre sphère productive, allié à des services fonciers corrompus, le système de dépossession et d’accaparement est en marche depuis belle lurette. Seuls les paysans semblent surpris par ce qui se passe. Les populations de Ndingler et Djilakh ne pouvaient imaginer que les terres sur lesquelles elles vivent et cultivent ne leurs appartiennent pas. Le régime libéral (de Wade à Macky) avait fini de tisser sa toile dans sa stratégie d’appauvrissement du plus grand nombre. Les aménagements du régime socialistes sont les seuls qui, en attendant d’autres manœuvres à venir, préservent les intérêts des paysans et des générations futures. Babacar Ngom (propriétaire de la Sedima, l’entreprise qui revendique le propriété de 220 ha à Ndingler, ndlr) et ses supporters n’en ont cure! Pour eux, seul le profit compte! Gare aux pauvres!
 
L’Etat se met maintenant à déclassifier les terres du domaine national pour les octroyer comme titre foncier à des amis issus de l’élite prévaricatrice qui ne vous est pas étrangère. C’est cette élite que vous défendez, non le Sénégal. La Sedima ne pouvait-t-elle pas mettre en valeur des terres sans les transformer en titre foncier individuel? L’intention ici n’est pas que productrice, mais c’est de l’appropriation et de l’accaparement pur et simple. D’ailleurs la délibération qui est à la base de l’octroi de ce titre par les services de l’Etat est illégale. De par sa délibération attribuant 300 ha de terre a M. Ngom, le  conseil rural de Sindia a outrepassé ses pouvoirs. Il a donné plus qu’il n’en avait en attribuant à celui-ci des terres qui appartiennent a une autre collectivité territoriale (Ndiaganiao). Cette seule irrégularité devrait suffire à faire annuler la délibération et tous les autres actes générés par la suite, y compris le décret attribuant le titre foncier à la Sedima ou au sieur Ngom (on ne sait même pas à qui, tellement il y a une confusion entre la société et son propriétaire). Ce dernier n’a ni la légalité, ni la légitimité de son côté, contrairement à ce qu’il prétend avec votre soutien. Il n’est pas originaire de cette contrée et ne dispose d’aucun droit coutumier sur ces terres. Celles-ci reviennent légitimement aux populations que vous méprisez dans votre éditorial.
 
Sur le plan économique, ce n’est pas en dépossédant les ruraux de leur sources de vie et de revenus en les substituant  par un investissement privé quel que soit son pouvoir financier, sa nationalité ou sa proximité avec le régime, qu’on fait du développement. Cette dépossession prive une masse critique de jeunes et de femmes de possibilités d’emploi, de droit de propriété, facteur d’investissement et de production et les pousse vers l’exode rural et l’émigration. Donner les terres à un privé qui vient les transformer en ouvriers agricoles est une exploitation non pas de nos ressources foncières, mais un asservissement des hommes et femmes qui vivaient de ces biens. On appelle cela une politique d’appauvrissement qui est aux antipodes du développement.
 
Au Sénégal, nous ne voulons pas de ce développement sauvage ou 80% des ressources sont détenues par 10% de la population. Le modèle de la vallée du fleuve Sénégal est le seul qui vaille pour un pays comme le Sénégal ou le taux de pauvreté en milieu rural avoisine les 70%. Ce modèle a su transformer de pauvres paysans en véritables entrepreneurs agricoles. Voilà ce qu’il nous faut et non l’appauvrissement des ruraux par une élite corrompue et prévaricatrice soutenue par des journalistes-laudateurs.
 
Messieurs les experts en tout, arrêtez de vouloir défendre l’indéfendable. Babacar Ngom ne fait pas du développement en s’attribuant sur le dos des populations, un titre foncier de 300 ha à son profit personnel et celui de sa progéniture. Il aurait pu (et doit pouvoir le faire maintenant) s’entendre avec les populations locales sur un modus operandi qui respecte la possession foncière de ces dernières en lui laissant l’usufruit sur le domaine convoité. Malheureusement l’ambition était ailleurs; c’est l’accaparement foncier pur et simple! L’agitation de membres du gouvernement ou de l’administration prouve à quel point l’Etat a failli dans ce dossier à sa mission de protection des populations vulnérables contre le pouvoir de l’argent. Cette agitation dans la médiation cache mal la responsabilité pleine et entière de ce gouvernement qui a violé un droit sacré de ses populations. Ce cas de Ndingler n’est rien d’autre que la manifestation d’un conflit qui sera de plus en plus ouvert et dramatique entre une certaine élite gouvernante et le peuple! Si comme on le dit dans les facultés de droit « entre le fort et le faible, c’est la force qui opprime et c’est la loi qui libère », au Sénégal c’est tout le contraire; la loi est transformée en force oppressive contre les plus vulnérables. 
 
Monsieur MON, ce mépris que vous manifestez aux paysans me fait penser à celui que le colon vouait à nos ancêtres; que certains blancs ont sur les noirs; que certains noirs “assimilés” ont sur les Africains qui ont su préserver une partie de leur identité authentique. Vous avez le complexe du colonisé sans le savoir. Faites votre propre introspection et ressaisissez-vous! L’opportunisme n’a jamais triomphé dans la durée! Wa Salam!
 
Samba BARRY
Citoyen engagé
75, Cité Keur Damel, Dakar
 
 

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