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Indépendances Africaines, L’acquis Et L’inertie

Cette année, dix-sept pays africains fêtent le soixantième anniversaire de leur indépendance, dont quatorze anciennes colonies françaises. Nous avons choisi de donner la parole à de jeunes auteurs de la diaspora et du continent, afin qu’ils nous en parlent soit à travers leur expérience, soit à partir d’œuvres africaines qui les ont marqués. Journaliste, écrivain et chercheur à l’université de Caen, en Normandie, Elgas est né en 1988 à Saint-Louis du Sénégal. Ses recherches portent notamment sur le don en Afrique. Il revient pour nous sur l’héritage de Jacques Foccart, « l’ancien baron noir de la Françafrique. » Elgas est l’auteur de Un Dieu et des Moeurs, paru en 2015, aux éditions Présence africaine. Une série proposée par Christian Eboulé.

On prête à Jacques Foccart, l’ancien baron noir de la Françafrique, cette phrase au seuil des indépendances africaines : « nous partons pour mieux rester ». Prophétie, résignation, arrogance ou vue de l’esprit ? Un peu des quatre sans doute. L’homme qui murmurait à l’oreille de De Gaulle les nouvelles de la colonie, n’excellait pas que dans la répartie : dans le crime, la ruse, le mépris raciste, il avait aussi quelques billes.

Il présidait à ce grand ensemble opaque d’interconnexions héritées des relations coloniales entre une partie de l’Afrique et la France ; une vaste galaxie à laquelle Pierre Péan (1983) d’abord, François-Xavier Verschave (1998) ensuite, donneront des contenus respectivement crapuleux et affairistes, révélant l’étendue d’un problème structurel.

« Mieux rester »

Foccart le savait, dans les divorces bruyants, la prime va à la mansuétude d’apparence. Mieux, la sagesse est parfois une renonciation partielle et une mise stratégique. Des héritiers, l’homme de l’ombre en aura, bienveillants ou malveillants, ils forment cette somme importante d’individus, avec une forte inclination africaine, dans les affaires comme dans les institutions, qui ont de plus en plus quitté la scène des lumières pour œuvrer dans les coulisses, avec des desseins restés invariables.

On ne se risquera pas de les lister, ni d’évaluer cette audace teintée de condescendance du père Foccart, car si le messager fut en tout point condamnable, le message est resté lui téméraire, bilieux jusqu’au malaise. Etablir en effet, en 2020, l’inventaire de la présence française en Afrique, en plein triomphe des moments décoloniaux et de la quête vive de rupture qui n’a jamais été aussi forte, serait à la fois fastidieux et assez peu flatteur pour tous les défenseurs de la souveraineté du continent.

Soixante ans après, les discours ont changé, les structures, évolué, les intentions, aussi, mais la France est restée au cœur du continent, jusqu’à être, avec son statut de réceptacle important de la Diaspora, la scène des enjeux majeurs du continent. Sinon, sa capitale même, en termes de poids, de résonnance, de laboratoire des luttes.

Si elle perd, selon nombre d’études sérieuses, ses pré carrés bien souvent économiques, mordue par l’appétit des concurrents, chinois par exemple elle se sait jouir, d’une faveur : celle d’investir le lien symbolique, et d’influencer encore les élites dirigeantes. La phrase de Foccart ainsi résonne doublement : plus la France perd des parts de marché, plus elle sème pour demain, les graines de la filiation intellectuelle.

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L’ordre du discours et l’ordre des faits

Dans l’économie, le sport, la culture, le régalien et à travers lui, le militaire ; mais aussi le médiatique, l’artistique, le culturel, partout dans les régions de l’ex-bloc de l’AOF [Afrique occidentale française], la présence est si forte, parfois si invasive – les enseignes françaises étant plus visibles de tout l’aréopage -, que l’opinion publique, instruite et ragaillardie par les activistes et autres militants panafricains, se braque.

Dans plusieurs pays africains, ce qu’on nomme le sentiment « anti-français », [rejet viscéral de ce qui est associé à l’ancienne puissance coloniale] verse de plus en plus dans des expressions radicales, voire haineuses. Mélange de ressentiment colonial, d’exaspération, de sentiment de relégation, de dépossession, disqualification des élites endogènes jugées de mèches, mais aussi, visions bassement conspirationnistes, délirantes, ou encore juste critique d’une hégémonie étouffante, le rejet de la France est une constante jamais démentie.

L’idée ici, n’est ni d’absoudre la France, ni de l’accabler, mais de remonter ce fil des liens ombilicaux, bien souvent minorés pour le confort de la militance ; ce fil avec ses flux et reflux, d’amour, de haine et de malaise, qui frappe bien souvent sinon uniquement, les lettrés formés en France qui, à peu de choses près, gouvernent les pays africains et incarnent la classe dirigeante.

Le président Emmanuel Macron, surfant sur un avantage générationnel et le vent de la nouveauté, paraissait cocher les cases d’un paradigme neuf. Même si la scène de l’amphithéâtre de Ouagadougou [Discours à l’université de Ouagadougou le 27 novembre 2017, NDLR] a pu heurter, la promesse d’un nouvel ordre des échanges, est restée comme le moment burkinabé fondateur.

Elan pareil, à peu de choses près, au grand raout qui a convié le président ghanéen, Nana Akufo-Addo – égérie de l’Afrique qui dit non -, à l’Elysée, dans ce qui semblait être un autre jalon posé sur un nouveau chemin, moins asymétrique, soucieux de faire éclore une nouvelle coopération. Avec ces deux moments, son conseil présidentiel africain (CPA) qui s’efforce de sortir de l’ombre tutélaire de Foccart, la saison Afrique à venir pour 2021, entre autres initiatives, Emmanuel Macron suscite à la fois de l’acrimonie et de l’admiration.

Les ricaneurs auront bien raison de noter, que de De gaulle à Hollande, en passant même par le professeur du discours de Dakar, Nicolas Sarkozy, l’ambition dans le discours a toujours été la même : changer la vision. Tous les locataires de l’Elysée l’ont dit. Un mantra vide ? On fera l’économie de la malveillance. Toujours est-il que le vœu est resté inaltéré.

En termes médiatiques, cela donne : changer la narration. Cette idée est devenue le certificat de naissance de plusieurs médias diasporiques, avec leur dépendance africaine, pour accompagner ladite mue du continent ; après avoir été, du reste et c’est peu de le dire, des acteurs majeurs de la séquences afro-pessimiste, juste vieille d’à peine quinze ans. 

Extension du domaine de la Françafrique

Pourquoi donc si tout paraît changer, épaissit-il dans le ciel africain, toujours plus de demande de départ effectif, mais aussi et surtout toujours une dépréciation du local ? Sans doute parce que – et c’est là une hypothèse – les discours ne désinstallent rien et que le fond reste le même : une part importante des problèmes urgents n’est pas soluble par la querelle intellectuelle, pour brillante ou urgente soit-elle.

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Pour la France, il faut tenir deux bouts : cajoler des alliés historiques, c’est-à-dire des anciennes colonies précieuses pour elle, un gisement de potentialités, mais aussi, se débarrasser de partenaires encombrants qui suscitent, jusque dans son opinion publique, les tirs groupés des extrêmes droites et gauches, avec des intentions différentes. Pour l’Afrique, le dénuement conduit à devoir traiter avec tous les investisseurs, quel que soit leur passif colonial.

Ainsi, au-delà des discours, il y a des deux côtés, des besoins mutuels, qui bien souvent, ne s’embarrassent pas des questions de morale ou d’éthique. Au choix, on appelle ça : la realpolitik, le pragmatisme, le business… A trop s’appesantir sur la nécessité de changer les discours, les faits eux sont restés inchangés. 

Une rapide photographie : la France est fortement présente dans le tissu économique africain ; ses enseignes raflent l’essentiel des marchés ; ses relais diplomatiques sont les seules offres culturelles qui articulent la scène intellectuelle locale, ses institutions recueillent le miel artistique que la jeunesse a à offrir, ses médias sont les références pour la rigueur et la diffusion dans les perceptions.

Ses interventions militaires honnies, quoiqu’intrusives, pallient la faiblesse des armées locales ; son agence de développement finance un nombre important de projets locaux.

Ses réseaux humanitaires [Médecins sans frontières, Action contre la faim, Handicap International, Care France… NDLR] abattent un travail colossal, indispensables, ligne de front contre la pauvreté aigue ; ses offres interculturelles et citoyennes, sur les fronts civils des mouvements jeunes, séduisent les aspirants des élites locales ; la Francophonie élargit le spectre de cette présence qui se veut bienveillante…

Ainsi, quel que soit le bout par lequel on prend les affaires africaines, on retrouve la France quelque part sur le chemin ! En un mot, l’influence passe moins par les relais régaliens et diplomatiques, mais bien plus par des canaux civils. C’est la bascule nouvelle. L’influence et le maintien du lien ne sont plus verticaux mais bien horizontaux, parfois complices, sinon enchâssés.

Et que donc, au vu de ceci, dissocier la France officielle, étatique, de ses relais multiples et protéiformes, c’est se complaire dans la posture critique principielle, car la chose est bien plus complexe et la réalité des imbrications plus ténue : la France est partie pour rester, parce que l’essentiel de ses alliés, y trouve (malgré tout et parfois faute de mieux) son maigre compte et que pour l’heure, avec ses financements, son aide, le bénéfice, quoiqu’inégal, est mutuel.

Elle remplit un vide d’impulsion endogène, que la Chine et d’autres, grapillent aussi savamment. La lutte intellectuelle a peu de fois, dans l’histoire, dompté la lutte économique.

L’immigration, agent de la dépendance

Autre aspect bien plus urgent, c’est l’immigration des cerveaux entre autres, et ce qu’elle dit de la violence symbolique, de nous, de notre départ, de notre fuite, de notre quête. Avec l’aveu implicite d’aller chercher ailleurs ce que nos pays ne nous offrent pas. Comment dire le malaise et l’inconfort ?

La violence symbolique qui a fait que nombre d’auteurs, d’intellectuels africains, ont quitté leur terre, sans le vouloir ardemment, pour aller s’habiller des codes d’un pays qui se trouve être le bourreau de leur estime d’eux-mêmes, et dont, malheur de plus, ils sont devenus captifs de la langue dans laquelle se déploie toute leur activité intellectuelle.

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Tout cela crée une situation intenable. Si cette réalité est présente dans beaucoup de livres post-coloniaux, il reste à voir comment on essaye de juguler ce mal qui ronge car dans l’accusation de traitrise à la cause continentale, cette dimension joue : la France reste le cœur qui fait et défait les idoles intellectuelles du continent.

Les héros africains se jugent, non à leur capacité, à transformer leurs pays positivement, mais à celle de combattre la France ou l’Occident. C’est un curieux et historique problème. Se sentir « sale », traitre à la communauté, est un lourd déshonneur à porter, surtout sur la longueur. Voilà une zone inexplorée par l’indépendance, car elle n’y aura pas fait la rupture tant prônée.

La France est restée le pays formateur des élites, pour le meilleur et le pire. Qu’ils y consentent ou pas, ils prennent un peu de cette identité française car c’est le pays où se façonnent leur esprit et leur gloire. Ce qui les rend suspects, devant des foules de chez eux en quête d’authenticité, souvent exclus des festins.

Créer les ressources de la vraie indépendance

Le parti le plus simple face à cela, est souvent de se soumettre, de se contredire, de monter des équilibres impossibles. C’est un achat de tranquillité et une expiation de la culpabilité. L’élargissement du domaine de la Françafrique que nous prônons ici pour mieux l’appréhender et à terme la vaincre, permet de sortir de la seule vue duelle, pour voir les liens, parfois inavouables, de cette romance à risque.

Nul domaine n’est exempté même si dans celui des idées, il reste un marqueur qui parcourt toutes les discussions depuis des décennies. Il faut assumer sa part française quand on en a l’héritage linguistique et la formation, pour échapper au mensonge à soi. Assumer n’étant pas renier, cela va sans dire. Revient toujours la question centrale, celle de la responsabilité, de nous-mêmes, face à nos problèmes.

De tous les manquements de l’indépendance, celui de ne pas avoir dégagé un huis clos de discussions plurielles, est le plus criant. De cet acquis dans les années 60, nous avons fait une force inerte d’accusation perpétuelle. Des évolutions positives sont notables sur tous les plans sur le continent, il ne faut manquer de le signaler. L’Afrique n’a jamais été condamnée pas plus qu’elle ne sera la panacée du monde.

Les indépendances ne sont pas à juger, car ces choses sont bien plus ardues qu’elles n’y paraissent. Elles furent une étape qui appelle une consolidation perpétuelle. L’équation, et elle est bien universelle, c’est créer les ressources de sa vie, de sa survie, de son indépendance. Hors du registre du discours, ce prérequis, n’a jamais réellement été la boussole des gouvernants. D’où les ruines circulaires et la permanence des débats identitaires qui confisquent la scène continentale.







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