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Des Murs D’incomprehension Aux FenÊtres De Connexion Bienveillantes

Cet article nous rappelle nos fragilités et mentionne quelques pistes de dépassement dont la plupart sont en lien avec la pensée systémique. Nous sommes sujets à l’erreur, aux illusions, à l’aveuglement et aux carences de toutes sortes. Ces insuffisances constituent le ciment des murs d’incompréhension qui s’érigent entre nous. Les quatre toxines (mépris, blâme, attitude défensive et dérobade) constituent les types de briques de ces murs.  Une bonne compréhension de la configuration de ces murs devrait nous pousser vers l’humilité et la compassion. Celles-ci atteignent un bon niveau de perfection (pas la fine pointe), lorsqu’elles sont accompagnées par l’intégrité et l’assertivité. Nous pouvons également ouvrir des fenêtres qui nous permettent de dépasser (ou surmonter) ces murs. Elles ont pour noms : la courtoisie, l’autodiscipline et surtout la conscience d’une connexion élargie et bienveillante avec tous les habitants de la Terre.

Murs d’incompréhension

Quels sont les niveaux de ces murs d’incompréhension ? Dit autrement, quels sont ces éléments qui entretiennent et nourrissent l’incompréhension ? Sans prétendre à l’exhaustivité, nous en avons dénombré cinq que nous nommons RIFED :

– la (R)elativité du bien et du mal, des vertus et des vices,

– l’(I)nconscience de nos propres défauts et l’ «hyperconscience» de ceux des autres,

– la (F)orce des idées qui peuvent nous posséder,

– l’(E)cologie de l’action (pour utiliser un concept d’Edgar Morin),

– le (D)ilemme entre nos devoirs moraux.

R : relativité des vertus et des vices

Dans la sagesse populaire, un individu, doté de raison, sait parfaitement distinguer le bien du mal ou l’acte vertueux du comportement vicieux. Nombreux sont les penseurs qui réfutent cette thèse. Il y a une certaine relativité des vertus et des vices illustrée par cet exemple dont parle Aristote : pour un lâche, le courageux peut être perçu comme un téméraire ; pour un téméraire, ce même courageux peut être perçu comme un lâche. Cette relativité découle des différences de perceptions.

Pascal, le grand dialecticien, dit qu’il ne peut concevoir une vertu sans son complément (ou vertu opposée). A les examiner de près, on voit bien que vice et vertu sont complètement mêlés. Les penseurs systémiques confirment qu’on ne peut concevoir le vice sans la vertu. L’un, poussé au loin, produit l’autre. Quand l’un des termes s’actualise, l’autre se potentialise. La seule chose possible est de réduire, mais pas d’éliminer totalement l’un ou l’autre.

I : inconscience de nos défauts et «hyperconscience» de ceux des autres

Comme le dit l’adage : «Il voit la paille dans l’œil du voisin, mais pas la poutre dans le sien ». L’œil ne peut se voir. En général, nous sommes très objectifs vis-à-vis des autres et «hypersubjectifs» vis- à-vis de nous-mêmes. Nous sommes très détachés et utilisons toutes nos ressources pour observer, interpréter les actes des autres, mais nous sommes parfaitement indulgents vis-à-vis de nous-mêmes ; nous nous cajolons.

Qu’est-ce qu’une querelle ? Elle ressemble à un jeu d’acteurs qui entrent dans un cycle vicieux où chacun explique avec netteté le tort qu’il a subi, et qui justifie son comportement. La séquence commence toujours par ce que l’autre a fait. La personne est un centre de référence ultime qui connaît le bien et le mal. Elle voit parfaitement le tort qu’elle a subi, mais ignore royalement ou sous-évalue ce qu’elle a commis. Et comme les actes/paroles entrent régulièrement dans des cycles, nos actions peuvent être à la source de ceux-ci. Dans tous les cas, elles participent à l’entretien de ces cycles.

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Sans nul doute, la tendance inverse existe. C’est le cas des personnes qui estiment qu’elles ont plus de défauts qu’elles en ont réellement. Leur acuité perceptive leur permet également de déceler les qualités des autres tout en sous-estimant les leurs.

F : Force des idées

Les idées nous possèdent autant que nous les possédons. La bonne illustration est celle de l’histoire de Bouki-l’hyène, qui avait menti en annonçant aux animaux qu’il y avait de la viande à un endroit précis de la brousse. Sitôt dit, les animaux s’enfuirent en direction de l’endroit indiqué par Bouki. Au bout d’un certain temps, ce dernier pensa que c’était vrai, et lui-même suivit la troupe. Lorsque les idées nous possèdent, nous devenons leurs prisonniers incapables de prendre du recul. Nous devenons des doctrinaires, des personnes fanatiques, des dogmatiques. Nous pensons détenir une vérité universelle et nous écartons de notre champ de conscience toute idée pouvant la remettre en cause.

Cela pose la question de l’illusion qui nous permet de supporter la difficile réalité, mais qui peut également nous aveugler complètement. Ce qui nous éclaire peut également nous aveugler. Les idées sont comme des virus. Lorsqu’elles nous pénètrent, elles ont souvent la force de réduire l’anxiété, de nous mettre en harmonie avec une certaine identité ou de nous préserver psychologiquement, mais elles peuvent également créer des impairs qui ont pour noms : l’aveuglement, l’hallucination, l’erreur, la bonne mauvaise foi, l’oubli sélectif etc.

E: Écologie de l’action

La corrélation n’est pas toujours parfaite entre une intention et son impact ou son résultat. Une intention peut aboutir au pire résultat, confirmant l’adage selon lequel «l’enfer est pavé de bonnes intentions». L’intention de nuire (ou d’écarter du pouvoir) également peut entraîner un effet contraire. Abdou Diouf, l’ancien président de la République, avait placé Ousmane Tanor Dieng à la tête du parti socialiste, le positionnant ainsi comme son dauphin. Cela a contribué aux différents déboires enregistrés par ce parti, y compris la défaite aux élections de 2000, remportées par Abdoulaye Wade. Ce dernier, s’est séparé de son ancien président de l’assemblée nationale, ouvrant ainsi, contre ses intentions, un boulevard à Macky Sall qui devint son challenger et son tombeur aux élections de 2012. L’ancien président du conseil, Mamadou Dia, avait à cœur la construction d’un État de droit arrimé aux valeurs républicaines et l’émergence économique du Sénégal. Très mal comprises, les actions posées dans ce sens (manquant peut-être de pédagogie) ont provoqué son éviction du pouvoir.

Toute action prise dans le jeu des interactions/rétroactions échappe aux intentions de son auteur. L’on n’est jamais sûr de la parfaite harmonie entre l’intention et le résultat de l’action.

Au niveau de l’interaction humaine, nous maîtrisons nos intentions, mais nous n’avons aucune prise sur l’impact chez le destinataire. L’action est donc un pari qui nécessite explications et pédagogie.

Même à supposer que nous ayons la possibilité de bien définir le bien, d’être objectif et de résister à la force des idées qui peuvent nous posséder, nos intentions ne sont pas toujours perçues comme telles.

D: Dilemme à propos de nos devoirs

A supposer que notre acteur soit conscient de tous les niveaux d’incompréhension évoqués plus haut, il en reste un qui a son importance. Comment régler le problème des contradictions entre ses différents devoirs ? On en dénombre plusieurs : devoirs égocentriques liés à sa préservation, devoirs génocentriques relatifs à sa famille, son clan, devoirs sociocentriques couvrant le champ complet de la société et nos devoirs envers tous les êtres vivants de cette planète et les générations à venir.

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Les vices de népotisme et de corruption sont exacerbés dans nos sociétés par le lien étroit qu’ils entretiennent avec la vertu de réciprocité chère à notre système de valeur traditionnel. Nous avons tendance à sacrifier nos devoirs sociocentriques (fondées sur les valeurs républicaines) au profit de nos devoirs géocentriques.

Conscients de ces dérives qui montrent nos fragilités, nous devons faire des efforts pour ouvrir des fenêtres en nous appuyant sur l’humilité (woyof), la compassion (laabir), l’intégrité (ngor) et l’assertivité (fulla ak fayda).

Humilité et compassion sont deux vertus importantes, reconnues généralement   pour contribuer largement à l’harmonie de toute société. Nous devons être indulgents vis-vis des autres (compassion) et accepter que la première personne qui peut être victime de ces insuffisances c’est d’abord nous-mêmes (humilité). Elles ont comme compléments naturels : l’intégrité et l’assertivité.

Fenêtres de connexions élargies et bienveillantes

L’humilité et la compassion sont-elles des vertus absolument bonnes ?

De mon point de vue : Non.

– l’humilité qui pousse la personne à accepter l’asservissement ou l’assujettissement n’est pas bonne ; idem pour celle qui anesthésie la personne et étouffe son potentiel de développement ou la possibilité d’accès à ses ressources ; la bonne humilité est accompagnée par l’assertivité ;

– l’humilité, poussée à un certain niveau, nous introduit dans une vie en prose, sans sel, sans poésie. Le meilleur humour consistant à rigoler (beaucoup de nous-mêmes et un peu des autres) lorsque nous devenons narcissiques, mégalomanes ou paranoïaques etc. L’action inventive et la créativité ont besoin de passion, d’ego surdimensionné ;

– la compassion pose problème lorsqu’elle ressemble à de la condescendance ;

– la compassion ne doit pas rimer avec l’apathie, l’anarchie ou le lasser-allez ; l’intégrité (dans sa dimension courageuse) lui apporte un complément.

Munis de tous ces éléments (compréhension de la fragilité humaine, humilité, compassion, assertivité et intégrité), nous pouvons facilement ouvrir des fenêtres qui vont nous habituer à la bonne action et ainsi surmonter les murs d’incompréhension. Je les nomme CAC :

(C)ourtoisie et respect,

(A)utodiscipline ou autoéthique,

(C)onnexion élargie ou reliance planétaire (au sens d’Edgar Morin).

C: Courtoisie et respect

Comme tout est cycle dans les interactions humaines, nous devons exiger de nous-mêmes le respect de nos semblables. En cela, nous devons nous appuyer sur la règle de platine plus puissante que la règle d’or : « ne jamais faire à l’autre ce qu’il ne souhaite pas qu’on lui fasse » « faire à l’autre ce qu’il souhaite qu’on lui fasse ». La courtoisie poussée jusqu’au respect est un apprentissage qui demande de l’écoute et de la compréhension. Ces trois instances forment un trio magique inséparable car on respecte mieux ce que l’on comprend et l’on comprend mieux après avoir écouté. Cette écoute doit mettre le focus sur les émotions et les besoins de l’autre.

A : Autodiscipline ou «auto-éthique»

Étant d’emblée un être soumis à l’erreur et aux aveuglements, la vigilance vis-à-vis de nous-mêmes peut nous aider à surmonter ces murs. Le premier réflexe est de changer de paradigme : apprendre à être plus objectif vis-à-vis de soi et plus subjectif vis-à-vis des autres. Comment puis-je faire pour être «hypersubjectif» vis-à-vis des autres et «hyperobjectif» vis-à-vis de moi-même ?

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Il y a une difficulté, l’idée n’est pas de se sentir coupable systématiquement, ni de prendre tout sur soi. Mais la bonne démarche est de prendre sa juste part de responsabilité et de mettre l’accent sur cela. Quelle est ma part d’action qui contribue à entretenir le phénomène ? Comment puis-je agir dessus pour rompre le cycle vicieux ?

Comment puis-je concrètement changer ce paradigme ? C’est là qu’intervient cette autodiscipline :

  • auto-examen et auto-observation permanents, en surveillant son corps et le champ émotionnel résultant des différentes interactions que nous avons avec le monde extérieur ;
  • invitation au feedback, autocritique et réflexe d’apprentissage permanent,
  • «hypervigilance» sur les défauts qui nous gênent (ils peuvent être des projections de nos propres défauts), et ceux des nôtres (parents, génération, peuples etc.) qui existent probablement en nous à l’état latent ou potentialisé ;
  • conscients de tout ce qui a été évoqué plus haut, nous devons traquer les 4 toxines (mépris, blâme, attitude défensive et dérobade) qui constituent les types de briques que l’on retrouve dans les murs d’incompréhension ; elles s’emboîtent les unes dans les autres (mépris, blâme ou critique déclenchent la dérobade ou l’attitude défensive et vice versa) ; nous devons leur mener une lutte lucide et intelligente en cassant les boucles dans lesquelles elles s’insèrent; cela requiert une bonne capacité de communication ;
  • refuser toute forme de grossièreté, de rejet, d’exclusion ou d’humiliation ;
  • ériger l’intégrité en principe sur lequel se fondent nos pratiques de tous les jours ; à ce niveau, chacun doit mener le combat contre lui-même.

C : Connexion élargie et bienveillante ou «reliance» planétaire

Se relier à tous les êtres vivants de la planète Terre, voilà le type de connexion qui contribuera à l’harmonie générale. Il est facile à dire, mais difficile à mettre en pratique, car cela exige de notre part qu’on se départisse de tous les « centrismes » sectaires et élargir nos responsabilités et nos devoirs à l’égard de tous les autres habitants de la planète Terre. Cette première disposition est notre axe horizontal. Sur l’axe vertical, nous devons également développer les mêmes responsabilités et obligations vis-à-vis des générations futures.

Faire tomber les murs d’incompréhension en ouvrant des fenêtres de connexion élargies et bienveillantes, tel est le propos de cet article. Contrairement à la vision populaire, nous avons du mal à distinguer le bien et le mal. Nous sommes objectifs vis-à-vis des autres et «hypersubjectifs» vis-à-vis de nous-mêmes. Nous possédons des idées qui peuvent nous posséder. Nous subissons les contrecoups de l’écologie de l’action ; nous n’avons aucune certitude sur la cohérence entre nos intentions et les résultats de nos actions. Mépris et blâme suscitent attitude défensive et dérobade. Nous pouvons également nous retrouver dans des dilemmes à propos des devoirs moraux. Trois fenêtres peuvent cependant nous aider à surmonter ces difficultés. Elles s’appuient d’abord sur l’humilité, la compassion, l’assertivité et l’intégrité et ont comme noms : le respect, la courtoisie, l’ «auto-éthique» et la connexion élargie avec tous les êtres humains (axe horizontal), en prenant en compte également les générations futures (axe vertical).







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