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Penser La Ville Africaine À L’Ère De La Covid-19

«La structure spatio-sociale et architecturale de la ville peut, de plus, être appréhendée comme un « actant » qui, au regard de cette « structure sociale objectivée », agit comme un acteur au sein de la configuration sociale». (Linde, 1972 ; Frey, 2009).

«Changer la ville, changer la vie» : tel était le slogan de Roland Castro, promoteur d’une urbanisation humanisée et éco-environnementale dans les années présidentielles Mitterrand. Aujourd’hui, la question qui se pose dans toutes les villes africaines, c’est comment agir sur la métamorphose urbaine pour mieux asseoir une culture de la prévention des épidémies en s’appuyant sur l’architecture africaine et la dynamique sociale des villes. L’architecture de la ville de Conakry (Guinée), héritée de la colonisation avec un système d’assainissement vétuste, fait de cette capitale une zone endémique de choléra. Il en est de même pour la plupart des villes africaines. Il nous faut changer de narration et éviter de reproduire le même modèle d’urbanisation avec des tours et des villes en béton, et une vision marchande sans souci de la dimension sociale de l’urbanisation basée sur les valeurs africaines. Nous sommes à présent dans des villes avec des facteurs de propagation de virus multiformes, parce que ouvertes au monde.

L’Afrique est-elle en train de confirmer que la ville reste un facteur par essence de propagation de la Covid-19 ? La forte prévalence hospitalière du coronavirus dans les capitales africaines est un indicateur révélateur de cette assertion (Juillet 2020, Yaoundé 8438 cas, Abidjan 13526 cas, Accra 15706 cas, Kinshasa 7321 cas, Nairobi 7744 cas, Conakry 5501 cas,  et  Dakar 7713 cas).

J’avais fait un article  dans SenePlus en Mars 2020 dont le titre assez évocateur «Dakar : un volcan actif». La ville est le lieu de convergence de toutes les transactions humaines, sociales, politiques, économiques, et le lieu de prédilection de la promiscuité, des tensions et des violences multiformes. La violence urbaine prend des formes de toiles sur un espace de vie pour la ré-appropriation, et de contrôle des transactions humaines pour l’accès aux ressources. La ville du fait de son attraction et de sa laideur sémiologique perd pied avec une pression démographique portée par l’exode rural massif post-ajustement structurel et post-dévaluation du franc CFA. Les quartiers et les secteurs urbains sont qualifiés de « scènes intrinsèques » au cœur desquelles s’ébauchent le processus de transformation sociale et les modifications des styles de vie et des milieux (Dangschat, 1996).La pauvreté s’affiche dans l’indifférence totale, peuplée de mendiants, d’enfants dans la rue et de la rue, de mères vulnérables, d’handicapés, de marchands ambulants, survivant sur des chaussées encombrées par des chaussures, des mangues selon les saisons, des gargotes et des cafés Touba itinérants. Tout se bouscule sous les ponts devenus de sauvages ou anarchiques marchés où tout se vend et s’achète sans aucune considération des gestes barrières.  Les rues se transforment en espace marchand au détriment de l’espace résidentiel, la circulation routière fait éclore le marchand ambulant, le pauvre en milieu urbain avec des stratégies de connivence avec les embouteillages et les feux rouges. Les quartiers résidentiels se transforment en espace commercial avec des calèches remplies de poissons, des tailleurs, des cordonniers, des vendeurs de tissus, tous ambulants ainsi aussi que des vendeurs de jouets, étant tous possiblement vecteurs de propagation du virus ambiant. L’hivernage aide sa diffusion avec les inondations et les canaux à ciel ouvert pour déverser les eaux usées vers la mer. Partout en Afrique, c’est le même scénario avec le chaos de la démographie galopante, l’absence de plan d’aménagement du territoire et de plan d’urbanisation inclusif avec les acteurs urbains  et la désertion des villages par tous les jeunes en quête de bien être  et des atours de la ville. La colonisation avait structuré les villes avec les vecteurs de sa pérennisation  Pouvoir, Religion, Marchés et Hôpital (Medina et Plateau). De Dakar à Conakry en passant par Abidjan, Brazzaville, Nairobi, Abuja, Kampala, Johannesburg etc., toutes les capitales bouillonnent aujourd’hui de vitalité, de jeunesse, de résilience où l’économie de la survie l’emporte sur l’économie de la vie. Au nom de la lutte contre la Covid-19, le semblant de limitation de la mobilité urbaine pour ne pas dire la mascarade du confinement religieux, économique, social et politique a provoqué des stratégies de résistances multiformes et dimensionnelles pour la survie que le couvre feu n’a pas pu contenir sauf dans des pays comme le Rwanda et l’Ethiopie. 

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L’avènement du coronavirus est un révélateur de la vulnérabilité et de la fragilité des villes avec le concert de l’immobilisme imposé en milieu urbain avec des mégalopoles vidées. Partout à Paris, Bruxelles, New York, Berlin, Johannesburg, Nairobi Kigali, toutes les villes se sont confinées pour limiter la vitesse de propagation du virus, toutes les machines économiques de la mondialisation ont été mises à l’arrêt avec de nouvelles formes de solidarité virtuelle. Un phénomène qui a renseigné sur les limites du modèle de la mondialisation où la croissance économique est le seul baromètre du développement. Et automatiquement les prévisions se sont enchainées pour prédire la récession économique, l’hécatombe en Afrique et les stratégies de résilience et de relance. La croissance urbaine est observable en Afrique à hauteur de 95 %, ce qui fait de la ville un champ de propagation par excellence de la Covid-19. On parlait de résilience et de relèvement dans les situations qui précédaient les crises humanitaires en ciblant les capacités des populations à survivre aux chocs physiques, économiques et psychologiques. Durant tous ces mois, les mosquées, les églises et les marchés comme espace de convivialité ont été aphones, combinées avec le couvre-feu. Les militaires et les policiers se sont emparés des rues et des quartiers déserts parce que confinés. Tout se jouait à l’intérieur des maisons ou abris ou des toiles de vie…Là se sont tissés, sous formes de violence basées sur le genre, les rixes familiaux, les silences et les évitements dans la promiscuité, les traumatismes multiformes et la privation de la mobilité. Beaucoup de personnes surtout certains  jeunes sans emplois habitués de Grand-Place s’enfermaient dans les maisons en passant des nuits blanches sous la contraintes du double flux. D’autres jeunes se délectaient en course poursuite avec les forces de l’ordre comme un jeu avec le pouvoir et une forme de résistance pernicieuse. Les plus nantis pouvaient se permettre de faire des jeux en famille, de faire des commandes de repas  avec  livraison à domicile, de regarder des films sur Netflix ou de participer à des soirées en direct et les poster sur Instagram. Jamais les prêcheurs en chômage involontaire n’avaient autant utilisé des médias sociaux pour toucher leur auditoire virtuel avec les messes du carême chrétien ou les prédicateurs musulmans par de grandes conférences religieuses durant le ramadan.  

Quatre à cinq mois après, la folie humaine est en phase d’emballement en milieu urbain avec des populations en extase après la sortie du confinement pour ne pas dire celle de prison.  

La problématique de la mauvaise urbanisation des villes africaines.

La problématique des villes africaines et leur structuration en termes d’espace dynamique de vie, de socialisation, d’économie urbaine et de culture de survie par opposition au village revêtent une importance particulière dans un contexte de gonflement démographique. Le marché, la mobilité urbaine, les espaces de cultes, l’éducation, le logement, le travail, la santé, lien social à travers les Dahiras, les groupes de prière, les grains à Bamako et l’hyper connectivité sociale et marchande sont des vecteurs puissants de la propagation du Coronavirus. La ville africaine a perdu son âme avec une concentration des infrastructures de mobilité et des interactions plus intenses et plus rapprochées qu’ailleurs en milieu rural. La promiscuité sociale, la cohabitation des comportements urbains et ruraux, la «villagisation» des villes, les problèmes environnementaux (pollution, inondations, salification des eaux du fleuve, érosion côtière) et sociaux (accès à l’eau, électricité, emplois, 60% de la population urbaine d’Afrique vit dans des bidonvilles). Le mode d’habitation ou les lotissements post-colonisation avec les SICAP, HLM, Medina, bidonvilles et les lotissements du domaine national avec les quartiers lebous sans plan d’aménagement du territoire fait de Dakar un cocktail détonnant de la propagation de la pandémie. Dakar comptabilise a elle seule 7713 sur 10391 cas positifs ce qui représente 74,26%. La carte sanitaire de Dakar face à la pandémie nous renseigne que Dakar compte 10 districts sanitaires, 13 établissements publics de santé, 22 centres de santé, 152 postes de santé, 37 cases de santé, 27 cliniques, 692 cabinets médicaux et 172 médecins selon les rapports du ministère de la Santé et de l’action sociale. Ces données rapportées à la population totale de Dakar (3 429 371 h) posent problème quant à notre capacité de prise en charge et de prévention de la pandémie du Covid-19.

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Les capitales africaines ont reproduit le même schéma spatial binaire entre la ville et les banlieues-dortoirs avec une ségrégation dans l’accès aux services sociaux de base. La propagation du virus ne se fait pas de la même manière selon l’espace géographique et les facteurs d’exposition aux risques (inondations, difficultés d’accès à l’eau, à l’hygiène, cadre de vie, plateau techniques limités au niveau des services de santé). La distribution spatiale fait l’objet de discrimination en fonction de ces accès et accentue la dichotomie coloniale entre le plateau et la Médina notamment entre le centre et la périphérie, le centre-ville et la banlieue. La ville africaine est conçue comme une ville marchande et grouillante où le mode de vie rural et urbain est transfiguré et redéfini sans âme. Elle reproduit la banlieue qui est composée aussi d’un centre-ville commerçant qui se confond avec la périphérie dortoir. La ville se transforme à notre insu en ville-souk, avec les cantines autour des mosquées, des églises, sur les boulevards, les trottoirs, les carrefours, autour des écoles (une grande marque de la place a construit son magazin dans l’espace d’une école), où même l’auto-pont se couvre d’étals de chaussures et un mini marché. La ville nous parle et nous sur-expose à la pandémie de la Covid-19. L’acte 3 de la décentralisation a ouvert des vannes pour la collecte effrénée des taxes municipales et la transformation des communes en marché permanent, qui pour le commerce, qui pour les spéculations foncières. 

Répartition de la population dans une ville/mouvements de populations et transformation des quartiers.

Au Sénégal près de 74 % de la population urbaine se retrouve dans les villes de Saint-Louis, Thiès, Ziguinchor et de Dakar, selon le rapport de l’enquête sur la situation économique et sociale de l’ANSD 2016.

La région de Dakar qui représente la plus faible superficie du Sénégal (547 km², soit 0,3%), concentre à elle seule le quart de la population du Sénégal (3 330 694, soit 23%) avec une densité de 6089 h au km², et  plus d’un Sénégalais sur cinq résidait à Dakar en 2015. Ainsi ‘le Sénégal enregistre un taux d’urbanisation supérieur à la moyenne observée en Afrique subsaharienne (40 %), relève la Banque mondiale dans un de ses rapports. La proportion de citadins a quasiment doublé ces dernières décennies – de 23 % dans les années 1960, elle est passée à 43 % en 2013 – et devrait s’établir à 60 % à l’horizon 2030. Plus de neuf Sénégalais sur dix résident en milieu urbain dans la région de Dakar (taux d’urbanisation de 96%). Ce taux est aussi non négligeable dans les régions de Thiès (50%), Ziguinchor (47%) et Saint-Louis (47%). Les villes sont à la fois des villes de brassage, de maturation de la résilience et de transit pour beaucoup de jeunes qui peuplent les quartiers par défaut d’emplois et de compétences de vie. Ainsi Dakar, Pikine, Guediawaye, Keur Massar, Mbao et Rufisque comptent 6828 cas positifs, ce qui représente 69,63% des cas enregistrés au Sénégal.

Cohabitation entre différentes populations /Phénomènes de ségrégation.

Depuis la sécheresse de 1968 à 1973, souvent appelée «grande sécheresse» qui avait concerné 16 pays du Sahel et avait provoqué une vague excessive d’exode rural et des inégalités sociales et géographiques. La redistribution spatiale s’est opérée avec une forte pression démographique sur les villes plus particulièrement en la région de Dakar. Les ethnies les plus représentées sont les lébous considérées comme les premières populations autochtones de la presqu’île du Cap Vert, il s’ensuit les wolofs, les mandingues, les diola, les sérères, les halpulars. Avec les crises multiformes dans la sous-région, Dakar est devenu un hub pour plusieurs populations de la CEDEAO. Ce brassage fait de Dakar une ville métisse en termes de culture et de cohabitation entre les terroirs.

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La ségrégation se trouve ainsi au niveau des types d’habitat et l’accès aux services urbains (eau, assainissement, électricité, éclairage public, commodités urbaines, transport, etc. ) Les quartiers résidentiels, les quartiers spontanés, les quartiers traditionnels et les banlieues proches et lointaines constituent l’espace urbain avec une modularité des transports urbains vecteur de circulation des virus.

Transports et mobilité

La pandémie du coronavirus a révélé la fragilité de la mobilité urbaine et du mode de transport comme vecteur de transmission du virus. La vétusté du mode de transport public est une donnée fondamentale dans les villes africaines où de vieux véhicules polluant, des cars rapides et des clandos arpentent les rues de Dakar, tout comme des pousse-pousse, des boda boda et des matatus à Nairobi, des zemidian au Bénin, des kekenapep à Maiduguri, des Rakchas à Abeché. Toute chose étant égale par ailleurs, le temps de l’Afrique est devenu le temps du «développement inégal et combiné», le temps du mimétisme urbain sans disposer des moyens appropriés pour prévenir et préparer des pandémies qui seront très courantes dans le monde entier avec la destruction des écosystèmes. Le parc automobile se concentre essentiellement à Dakar avec 73,6% des véhicules du parc automobile national, viennent ensuite successivement, les régions de Thiès (7,8%), de Diourbel (4,5%), de Louga (2,9%) et de Kaolack (2,8%) selon le rapport  sur la  réforme des transports urbains à Dakar : bilan et perspectives, après quinze ans d’activités – Alioune Thiam, Directeur général, CETUD. Les voitures âgées de 16 ans et plus comptent pour 56,5% du parc automobile. La mobilité urbaine et les dynamiques de populations dans les villes constituent une menace pour la prévention de la propagation de la pandémie de la Covid-19. Le secteur du transport emploie plus de 200 000 personnes sans compter toute la dynamique des transactions autour du secteur du transport. Les gares routières comme Petersen reçoivent en moyenne plus de 60 000 personnes par jour sans aucun dispositif de gestes barrières, ni même dans les cars rapides / Ndiaga Ndiaye ni dans les taxis clandos. Il en est de même pour les  gares routières du camp Lat Dior, Colobane, Guediawaye, Pikine, Rufisque, Keur Massar et les garages clandos, bien des espaces publics favorisant la propagation de la covid-19 dans la région de Dakar.

Au vue de l’évolution de la pandémie de la covid-19 dans les centres urbains notamment Dakar, Touba et Thiès, n’est-il pas temps de rompre avec le pilotage à vue de la gestion des épidémies en mettant en place des centres de dépistage volontaire et gratuit dans les villes les plus touchées à l’instar de ce qui s’est fait dans le cadre de la lutte contre le sida ?

La surpopulation des capitales africaines, la promiscuité dans l’habitat, les mouvements intenses des populations, la floraison de marchés y compris des marchés ruraux avec les loumas et les marchés du vendredi, l’encombrement des quartiers et des rues, le pauvre assainissement font obligation de respecter la distanciation sociale et physique par les gestes barrières. La vague de déplacement des populations de l’épicentre de la Covid-19 du fait de la Tabaski va élargir la base de propagation de la pandémie dans les centres urbains et dans les villages et affaiblir d’avantage la prévention et la prise en charge des cas positifs.  Aujourd’hui la ville africaine doit être repensée à partir d’un mode d’habitat structuré autour de l’imaginaire social et les acquis du patrimoine architectural et non pas poursuivre le rêve de notre défunt président Senghor qui voulait que Dakar soit comme Paris à l’an 2000. Diamnadio aurait pu s’inspirer de l’architecture d’une ville africaine au lieu de reproduire un champ de béton armé.







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