L’agriculture sénégalaise est dominée par les cultures céréalières dont les plus importantes sont : le mil, le sorgho, le riz et le maïs. L’exploitation et l’analyse des données statistiques officielles, permet d’avoir une idée sur la performance de la politique agricole dans ce domaine, de tirer des leçons et d’identifier des pistes de réajustement, pour un essor réel du secteur. 1-Une production du riz qui augmente substantiellement et celle des céréales locales (mil et sorgho) qui stagne et même diminue Le graphique numéro 1 ci-après, met en évidence, l’évolution de la production de maïs, de mil, de riz et de sorgho, de 2010 à 2019 au Sénégal. Il révèle que le mil est la céréale la plus produite au Sénégal. Toutefois, cette production n’a pas augmenté en dix (10) ans. Il y a eu même un décrochage significatif de 2012 à 2018, avec une réduction très importante de 50% en 2015 par rapport à 2010. Graphique 1 : Evolution de la production céréalière de 2010 à 2019 (tonnes par an).
Concernant le riz (pluvial et irrigué), sa production a été multipliée par 2,3 en dix (10) ans, tandis que celle du maïs a augmenté de 48%. Quant au sorgho, il est observé une stagnation de sa production sur la même période, avec une diminution de cette dernière entre 2012 et 2015. Ces données mettent en lumière le choix délibéré du gouvernement de mettre l’accent sur le riz et dans une moindre mesure le maïs, au détriment des céréales locales (mil et sorgho). L’abandon de ces céréales locales s’est opéré à partir de 2012 en faveur de la culture du riz. Il faut remarquer une chute généralisée de la production de toutes les quatre céréales en 2012, mettant ainsi en exergue les effets des changements de politique. 2-Des superficies emblavées en riz qui augmente significativement contrairement à celles des céréales locales qui sont stables et ont même tendance à diminuer La croissance de la production de riz est imputable à une augmentation des superficies emblavées. Les superficies emblavées en riz (pluvial et irrigué) ont plus que doublé entre 2010 et 2019. Elles dépassent celles du maïs (avec une augmentation de 18%) et du sorgho mais de loin inférieures à celles du mil (Graphique 2). Graphique 2 : Evolution des superficies emblavées (hectares par an).
Sur la même période, la superficie cultivée en mil a diminué de 13%. Cette diminution est de 47% entre 2010 et 2015. Le mil en effet, demeure la céréale la plus cultivée au Sénégal. S’agissant du sorgho, la superficie cultivée est restée stable entre 2010 et 2019, hormis une diminution brutale en 2014 de l’ordre de 55%. En fait, les années 2012, 2013, 2014 et 2015 constituent un véritable tournant dans l’abandon des cultures céréalières locales au profit du maïs et du riz. 3-Des rendements très faibles et stagnants, à l’exception de ceux du riz qui diminuent Les rendements pendant ces dix dernières années sont restés incompréhensiblement très faibles pour toutes les quatre cultures, alors que les connaissances et technologies générées par la recherche actuellement disponible, permettent de doubler au moins les rendements de ces cultures. En dix ans les rendements en riz n’ont augmenté que de 2% (Graphique 3). Graphique 3 : Evolution des rendements pendant ces dix dernières années (Kg/ha).
Les gains obtenus en 2013 (29%) ont rapidement été perdus, à partir de 2014. Les niveaux de rendements en mil et sorgho sont restés très faibles, moins d’une tonne par ha (1t/ha) et, n’ont presque pas bougé pendant 10 ans. Ce qui démontre à suffisance l’abandon de ces deux cultures. Toutefois, le maïs a échappé à ce déclin généralisé des rendements avec des gains de production de 24 % entre 2010 et 2019. Il faut dire que les rendements de cette culture restent encore très modestes (moins de deux tonnes par ha) malgré les augmentations constatées. Les écarts entre les rendements potentiels de la recherche et ceux obtenus au niveau des producteurs sont excessivement élevés. Cela met clairement en lumière, l’inefficacité des politiques actuelles de transfert de technologie. Au regard des trois premiers graphiques, il apparait clairement que le Sénégal a, à partir de 2012/2013, choisi de favoriser la culture du riz au détriment de celui du mil et du sorgho. Cette option de privilégier la culture du riz a malheureusement mis l’accent sur une stratégie d’augmentation des superficies emblavées, destructrice de la biodiversité et des ressources pastorales, au détriment d’une agriculture hautement productive consommatrice de peu d’espace.
4-Un objectif d’autosuffisance en riz au-delà de notre portée Considérant les résultats de l’analyse de l’évolution de la production nationale de la culture riz durant les 18 dernières années, et les niveaux de consommation moyenne du riz per capita de 70 kg, 95 kg et 100 kg par an, on peut dire que l’autosuffisance en riz est un objectif inatteignable, si les conditions actuelles de production et de consommation ne changent pas (Graphique 4). En parfaite corrélation avec l’accroissement démographique, la consommation de riz va continuer à augmenter au fil des années. Cela est d’autant plus vrai que le potentiel de production du riz lié aux facteurs rendements et superficies emblavées, n’est pas illimité alors que la population va continuer à croitre. Le gap crée est trop important et impossible à combler par le seul biais d’une augmentation de la production du riz. Graphique 4 : Evolution de la production du riz blanc par rapport aux besoins estimés des populations (tonnes /an).
5-Des importations de riz qui ne diminuent pas Selon les données de Trade Statistics Branch, United Nations Statistics Division,(https://comtrade.un.org/data/), la consommation effective du riz au Sénégal (production plus importation moins exportation), est fortement dépendante des importations( Graphique 5). Malgré les efforts importants consentis pour booster la production locale de riz, les augmentations de production ne sont pas suffisamment importantes, pour combler les demandes croissantes, imputables à l’essor démographique. Le Sénégal est donc obligé d’importer chaque année plus du double de sa production soit près de huit cent mille tonnes (800 000 t), pour satisfaire les besoins en riz de sa population. Cette stratégie n’est pas du tout soutenable du point de vue : üÉconomique (sortie continue et de plus en plus importante de devises) ; üEnvironnemental (destruction massive de la biodiversité et des parcours pour augmenter la production du riz) ; üPolitique (souveraineté alimentaire). Graphique 5: Evolution de la consommation nationale en riz (tonnes/ha).
6-Une politique d’autosuffisance céréalière à revoir Sur la base d’une consommation annuelle de céréales de 185 kg par personne, nous pouvons estimer à trois (3) millions de tonnes les besoins en céréales en 2019 dont deux virgule quatre (2,4) millions de tonnes de production locale, pendant la même année, d’où un gap de l’ordre de six cent mille (600 000) tonnes, qui est équivalent à celui de 2010 (Graphique 6). Ce gap s’est fortement creusé entre 2013 et 2017, pendant le décrochage des céréales locales. Cela justifie donc les importations significatives de riz pendant toutes ces dernières années. Pour éliminer ces gaps et même créer des excédents par rapport aux besoins, il faut une refondation de la politique céréalière actuelle du pays, tant du point de vue stratégique, outils institutionnels qu’approche globale. Tout d’abord, il faut mettre l’accent sur une agriculture durable hautement productive mais consommatrice de peu d’espace et complètement différente de la politique rizicole actuelle, qui favorise l’extension des superficies au détriment de l’augmentation des rendements. Cela passe par au moins le doublement des rendements obtenus actuellement y compris ceux des céréales locales (qui sont excessivement faibles). On peut dire sans se tromper qu’avec une stratégie de transfert de technologie efficace mettant directement en relation les chercheurs et les paysans, dans une dynamique de coproduction de solutions, on peut facilement doubler la production céréalière avec les superficies présentement emblavées. Graphique 6:Evolution de la production et des besoins de céréales.
Ensuite il faut remettre nos céréales locales au centre de la politique agricole. Il apparait clairement qu’à partir de 2012/2013 le Sénégal a choisi de favoriser la culture du riz au détriment du mil et du sorgho dans le cadre d’une politique d’autosuffisance en riz. Malheureusement cette politique n’a non seulement pas atteint les objectifs escomptés, mais elle a eu des conséquences perverses : üUne marginalisation plus grande de nos céréales locales ; üUne accélération de la destruction de la biodiversité et des ressources pastorales pour laisser la place à la culture du riz. Le focus sur l’augmentation des rendements de ces céréales devient donc une priorité pour promouvoir une agriculture durable. Cette promotion doit s’accompagner d’une politique de valorisation des technologies agroalimentaires et de renforcement des chaines de valeur des céréales locales. Cela nécessite une intégration de la recherche agroalimentaire dans la recherche agricole, comme proposée dans l’article que nous avons publié dans sen360, consultable à partir du lienhttps://news.sen360.sn/actualite/recherche-agricole-etagroalimentaire-po… partielle-1448445.html) La transformation de l’agriculture sénégalaise à l’ère de la COVID 19 passe nécessairement par sa digitalisation mettant à la disposition de chaque paysan pris individuellement toutes les connaissances, les informations, outils et solutions dont il a besoin pour renforcer sa technicité, son pouvoir décisionnel et libérer sa créativité et sa liberté d’action. Cette digitalisation de l’agriculture sénégalaise devrait simplifier et rendre plus performant le cadre pour ne pas dire le carcan institutionnel (fonds, agences, sociétés, départements ministériels, Directions, associations/organisations paysannes, etc.) dans lequel les paysans évoluent et essayent d’opérer leur propre mue en se transformant en agro-entrepreneurs et en transformant leurs exploitations agricoles familiales en agro-entreprises. Une implication plus forte d’un secteur privé dynamique permettrait de catalyser ce processus de transformation. L’intervention de l’état devrait être allégée et se limiter à certaines niches stratégiques dont : üLa commercialisation des produits agricoles pour garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, üLa mise en place d’un système de contrôle et de suivi des intrants pour s’assurer de leur bonne qualité et üLa connexion entre les exploitations agricoles et les agro-industries pour renforcer le développement des chaines de valeur locales et faire émerger des agro-entreprises.
Par Amadou Ibra NIANG,
Directeur Général de Afrik Innovations
E-mail : amadou.niang@afrikinnovations.com