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Les Sinistrés De La Ville

Les Sinistrés De La Ville

Voilà qu’il vente à nouveau…, les lourds et sombres nuages chargés d’eau diffusent de rares brindilles de soleil. Le vent devient de plus en plus frais…

Les feuilles des arbres, bercées par le sifflement de l’air frais en provenance du lointain Bundu, accompagnent la montée du crépuscule. Le sulfureux tonnerre tel un tam-tam d’alerte somme les derniers errants à regagner un hypothétique abri.

Tandis que l’aigrette blanche prend la direction des derniers baobabs de l’Ouest, le coassement des crapauds, qui invoquent Anzar et Fanguols maîtres des eaux et de la pluie, se fait entendre dans les rues de la capitale. Ces nuages nous viennent de l’Est, l’orage de trop, c’est le message des forces de la nature aux sorciers-aménagistes qui ont osé lotir et vendre sans viabilisation des zones inondables.

Les enfants ne courront pas torse nu chantant gaiement sous les fines gouttes d’eau du ciel comme jadis nous aimions faire au village de grand-mère. Inquiets et angoissés, ils s’affairent à luter les embarcations de fortune pour aider leurs parents à sauver les quelques meubles dont les pieds sont immergés depuis des jours.

Prions, prions fort : qu’il ne tombe aucune goutte d’eau sur cette terre déjà saturée et ivre de frustrations. Trempés jusqu’au cou, nous sommes les derniers sinistrés à patauger dans ces eaux verdâtres et puantes. Voisins et amis ont déserté tristement, malgré eux, leurs demeures bâties après tant d’années de durs la­beurs, de privations et de sacrifices.

Pendant que nos oncles, grands cultivateurs, s’adonnent au «baounane», rituel de la pluie, pour un hivernage abondant et paisible, nous, nous invoquons Marga Tiathie Ndour pour qu’aucun nuage ne traverse le ciel. Serions-nous devenus malveillants parce que nous habitons des villes ? Non ! C’est juste que nous avons le malheur d’habiter des zones inondables. Des cités non-aménagées.

Il ne nous reste plus qu’à troquer nos permis de conduire contre des licences de navigation et à faire appel à Noé, maître des intempéries, qu’il vienne nous guider dans les méandres de nos quartiers-marigots et intercéder en notre faveur afin que s’arrête le déluge. Notre seul péché, c’est d’avoir voulu habiter contre vents et marées dans la grande capitale.

Aux chérubins qui demandent pourquoi ce cataclysme, il faudra répondre honnêtement, pas de fatalisme, le ciel n’y est pour rien. Ayons le courage de leur dire que nos gouvernants ont mis les charrues avant les bœufs. Nous avons voulu jouer à cache-cache avec la force et la patience des marigots. Des promoteurs immobiliers aigrefins ont abusé de notre naïveté et de notre excès d’ambition. Nous voilà aujourd’hui dans les eaux, nos maisons et véhicules endommagés.

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Des ingénieurs sans ingéniosité nous ont installés ici. Sont-ils d’anciens tricheurs des grandes écoles ? Ont-ils bénéficié de la complaisance de leurs maîtres pour obtenir leurs diplômes ? Ou ont-ils seulement eu peur du prince, jusqu’à craindre de lui dire la vérité ? Ils ont construit des habitats et laissé construire, laissé faire, avant même d’aménager voiries et routes. Comment ont-ils fait pour échapper aux «méticuleux» contrôleurs des services de l’Etat ?

Ils auraient dû faire appel à Dial Diop le Grand Serigne, à ces Jaraaf et Ndeye dji rew pour qu’ils les guident dans leur recherche de logis à Ndakarou. Jadis, ces ingénieurs étaient plus compétents et plus efficaces…

Ont-ils oublié d’invoquer leur grand et bon maître Hiram Abiff de Nephthali, de faire appel à tous ces ingénieurs égyptiens, de l’ère pharaonique, auxquels ils prêtent allégeance avant le démarrage de tous grands travaux? Même le colon n’a pas fait habiter ses sujets dans des marigots, il n’a pas non plus laissé aménager au cœur des rivières et des lacs.

Préparons nos radeaux de fortune et fermons lâchement les yeux sur nos enfants qui, à défaut de pouvoir profiter de piscines des villas résidentielles, se contentent de batifoler dans les eaux verdâtres alimentées en partie par les fosses septiques, au péril de leur santé déjà compromise.

Pourquoi continuer la mascarade en accueillant des politiciens véreux, aux vaines promesses d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en acceptant les miettes de sucre et de riz qu’ils nous donnent à lécher.

Gardez votre sucre, votre riz, huile et vos virements d’argent. Ce dont nous avons besoin c’est de la considération et du respect. Le spectacle politique a assez duré. A quoi peuvent bien servir quelques centaines de milliers de francs de la devise néocoloniale, tirées de la caisse du pauvre désabusé contribuable face à de si grandes pertes, face à ce désastre écologique et humanitaire ? Nos habitations sont sinistrées, mais nos âmes sont éclairées. Ne pensez-vous pas que les salaires des multiples conseillers pourraient servir à reloger les plus vulnérables ? Cette fois, il n’est pas question d’être parqués tel du bétail perdu dans des salles de classe ou des tentes de fortune.

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Dites à vos télévisions et à vos chaînes de propagande d’arrêter de diffuser les images de jeunes innocents sans formation et des populations malheureusement assujetties à des politiciens dont le salut n’est dû qu’à leur docilité ! Comment se rabaisser et mendier du secours et son pain quotidien à ses propres fossoyeurs ?

Honorables élus du Peuple, issus du Peuple, n’affamez pas votre Peuple pour mieux le conduire à la mauvaise vallée de pâturage des dinosaures du Sahara ! Ne l’enfoncez pas davantage dans l’obscurantisme et la dépendance pour mieux le presser avec l’aide de mauvais guides-caméléons, éternels amis de l’élu du temps présent !

Aux ingénieurs-bricoleurs ainsi que leurs patrons politiciens, qu’ils soient maires, directeurs, ministres, députés ou présidents, on dira : gardez-vous de profiter du malheur des populations en détresse pour engloutir d’autres milliards ! Voici qu’après avoir rongé la chair du Peuple jusqu’à l’os, vous ourdissez le plan de lui briser les os pour vous délecter de sa moelle.

Elus d’aujourd’hui, simples citoyens de demain, ne vendez pas de cantonnements, ne vous partagez pas les réserves foncières d’un aéroport, ne profanez pas de cimetières, ne déclassifiez pas de forêts sacrées, lieu d’habitation des esprits, pour les morceler et les brader. Pour jeter de la poudre aux yeux et justifier la forfaiture, on attribue une petite parcelle à l’hôpital qui ne le sera que de nom, une autre petite parcelle à l’école qui produira des contre-performances et une autre pour le lieu de culte afin d’éblouir le croyant. La part du lion reviendra à l’entourage du prince.

Aux maires «mangeurs de sable» et à leurs acolytes fonctionnaires des domaines, dites-leur qu’ils s’en repaîtront à satiété lorsqu’ils se retrouveront seuls dans leur dernière demeure obscure et étroite !

Le fameux Président faiseur de pluies, autoproclamé leader le plus diplômé du continent, de­vrait reprendre son hélicoptère, loupe de bradage du foncier pour constater ses dégâts, puisque l’Eternel lui a donné longue vie. L’oiseau Diakhaye ne prendra pas son envol, il patauge et appelle au secours.

Très chers frères et sœurs, pourquoi faire prospérer le vieux complexe colonial qui tentait de faire croire à nos pères que seuls les habitants des communes choyées par l’occupant-assimilateur étaient des citoyens de la métropole ? Pourquoi dans un pays, tout doit être concentré dans une seule ville. Pourquoi vouloir coûte que coûte habiter la capitale ou la grande ville ? Ceux qui viennent pour des études, des formations ou pour du travail ne repartent plus jamais ; pis, ils font venir les vieux parents et toute la famille dont certains d’entre eux passeront leur temps à dormir, à critiquer l’action du gouvernement sans aucun engagement, à encombrer les rues de la cité.

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Loin des bailleurs sangsues, loin de la peur d’être agressé sur son chemin, loin des éternels délestages et coupures d’eau, nous irons construire chez nous, chez notre père, chez grand-mère. Nous ferons la fierté de la famille, à l’abri des risques, des surprises et des déceptions de la démolition. Nous travaillerons pour y édifier d’excellents établissements scolaires, de très bonnes structures hospitalières, des centres de loisirs, de bonnes infrastructures structurées autour d’un bon plan d’aménagement et un assainissement prenant en compte les aspects du changement climatique. Loin des gigantesques dépôts de gaz, des lignes de haute tension, nous respirerons l’air pur des poumons verts. Nous ne passerons plus des heures sur les autoroutes du Golgotha pour regagner nos maisons, brûlant des tonnes de fuel pour arriver à la maison éreinté, stressé et déverser notre colère sur enfants, mari, femme… Contrairement à leur ville fantôme, ce sera là les prémisses de la nouvelle-ville africaine.

Aucun habitant ne va obstruer la voie publique, le temps d’une cérémonie familiale ou religieuse. Les populations veilleront à la salubrité, à l’environnement, à la bonne image de la cité, à un meilleur cadre de vie, bien loin des immondices sur la voirie. Au nom de la survie, plus jamais l’image d’un jeune flâneur, sans emploi, ni formation, victime d’une société négligente et coupable d’assister au vol des regards des fosses septiques.

Nos enfants vivront le petit Eden à l’abri des mauvaises influences de «l’école de la rue». Ils ne souffriront pas de l’absence négligente des parents. Dans ce havre de paix, la politique sera entre les mains des meilleurs d’entre nous. Juste pour «relifter» l’image repoussante de ceux qui ne tiennent pas parole, au profit des citoyens forgés dans l’esprit de dignité et de respect de la chose publique.

Chers enfants de Mère Kama, des Peuples à l’image des grands dragons d’Asie et des grands aigles d’Afrique travaillent, se réalisent et progressent. Le temps, plutôt ennemi qu’ami, s’écoule inexorablement. Pourquoi donc vouloir continuer à vivre et se complaire dans la polémique et le bricolage ?

Marcel MONTEIL

marcelmonteil@gmail.com

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