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Khassim, Pourquoi Nous As-tu Donc LÂchÉs ?

Khassim, Pourquoi Nous As-tu Donc LÂchÉs ?

Contrairement à avant-hier lorsque la triste nouvelle a bouleversé totalement ma journée et impacté mon enthousiasme de vivre, aujourd’hui, je m’efforce de ne pas pleurer pour pouvoir rendre hommage à un ami, un frère, un avocat, un « marabout » et un confident disparu : Me Serigne Khassim Touré Madamel.

Finalement, devant le clavier de mon ordinateur, j’ai pris mon courage à deux mains pour plaider, à mon tour, pour celui qui fut mon éternel avocat-défenseur : Me Khassim Touré. Avant de démarrer ce texte, j’avais juré de ne pas pleurer. Malheureusement, le moindre souvenir de « Khass » a fait couler mes larmes. Des larmes que je me suis pourtant efforcé de retenir en me disant intérieurement ceci : « non, tu es un homme et tu ne dois pas pleurer ». Mais mes glandes lacrymales refusaient de m’obéir ! C’est parce que Me Khassim Touré et moi, nous étions trop proches, trop liés l’un à l’autre.

La dernière fois que je l’ai eu au téléphone, c’était le samedi 09 janvier 2021. Je l’avais appelé pour le mettre en rapport avec un ami, voire un père, du nom de Sidibé, un ancien cadre d’Air Afrique. Il était confronté à un sérieux problème : depuis un an, il peinait à faire expulser des locataires mauvais payeurs.

Ce samedi-là, donc, Me Khassim Touré m’avait parlé en ces termes : « Paco-Rabanne (il m’appelait ainsi), je suis malade ! Dis à ton ami que mon cabinet va s’occuper de son dossier. Et dès lundi, qu’il aille voir Me Sadio, un de mes collaborateurs… » m’avaitil rassuré. J’en avais profité pour lui lancer une pique : « Dommage, je voulais te rentre visite comme d’habitude. Mais tu es hors de Dakar, donc tu fais du tapaalé ! Khassim bayil tapaalé et cesse de faire la « justice » buissonnière…».

Malgré sa voix qui était à peine audible, Khass avait répliqué tout de go : « Dégage, baal nalaa (je te pardonne) ! Je n’ai jamais vu un « beuk nek » (chambellan) aussi insolent que toi à l’endroit de son marabout que je suis. Mais le jour de votre procès (Ndlr : Le Témoin contre Alioune Ndoye), Mamadou Oumar Ndiaye saura que je suis malade. Car c’est mon jeune collaborateur Me Guèye qui va plaider à ma place…». En l’entendant parler ce jour-là, je m’étais dit qu’il se payait ma tête comme à son habitude. Hélas, je ne me doutais pas que ce serait là notre dernière conversation téléphonique.

Dans les tribunaux, lorsque le prévenu ou son avocat sont absents, le juge peut décider soit de reporter le procès ou de statuer par défaut. Dieu sait que durant toutes ces longues années de compagnonnage et avec Me Khassim Touré, « Le Témoin » n’a jamais été condamné par défaut ! Ce, grâce à un Maître Touré très sérieux, méthodique et assidu. Un conseil qui veillait méticuleusement sur les dates d’audience et suivait les renvois à n’en plus finir dont il ne manquait pas de nous tenir informés. Il a été absent d’un procès du « Témoin » une seule fois et c’était le jeudi 21 janvier 2021, cela fait donc deux semaines, lors de l’examen de l’affaire « Alioune Ndoye/Le Témoin ». C’est le seul jour où Me Khassim Touré nous a « lâchés ». Et encore, puisqu’il avait envoyé son jeune collaborateur Me Guèye pour nous défendre aux côtés du vétéran Me Cheikh Koureyssi Ba !

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De par son éloquence, sa technicité — donc sa parfaite connaissance du droit — et ses effets de manches, Me Khassim Touré était l’absent le plus présent. Au sortir de la salle, notre dirpub MON n’avait pas manqué d’exprimer son inquiétude en ces termes : « Maintenant, je dois me rendre à l’évidence que notre ami Khassim est vraiment malade. Car, seule la maladie pouvait l’empêcher de venir me défendre… » se désolait-il à propos d’un homme si vivace, si taquin, si jovial, si ouvert, si généreux, si serviable, si mobile…

Et Me Kouressy Ba, l’un de nos avocats, de renchérir : « Vous voyez les vicissitudes de la vie ! Ndeyssan, Khassim avait tellement bien préparé ce procès et voilà qu’il n’a pas pu y prendre part… » regrettait-il. Deux semaines après c’est-à-dire lundi 1e février 2021, l’annonce de sa mort est venue nous confirmer que seul un motif impérieux avait pu empêcher Me Serigne Khassim Touré de venir défendre « Le Témoin » !

Au nom du père, Me Touré se constitue…

De son vivant, El Hadj Cheikh Touré, père de feu Me Khassim Touré, fut un richissime opérateur économique à Guinguinéo. Malgré sa richesse et sa notoriété, il fut pourtant un modeste talibé mouride très proche de tous les Khalifes généraux d’alors. Pour symboliser cette affection et rapprocher les deux familles (Mbacké et Touré), Serigne Abdoul Lakh Mbacké et Serigne Bassirou Mbacké ont chacun donné la main de sa fille à Serigne Cheikh Touré. Ces relations d’allégeance sur fond d’alliance familiale, El Hadj Cheikh Touré les a léguées à son fils ainé Serigne Fallou Touré. Mais aussi à Me Serigne Khassim Touré qui, en sa qualité d’avocat, s’était très tôt autoproclamé détenteur et défenseur de l’honneur et la dignité des Touré.

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A preuve par l’affaire Khalifa Sall dans le cadre de laquelle son frère Mbaye Touré avait été emprisonné. Me Touré avait tout sacrifié pour laver l’affront et l’honneur familial mais aussi défendre son frère, quitte à mettre une croix sur son amitié avec le président Macky Sall. Et aux privilèges que ce dernier, qui lui portait une grande estime, pouvait lui octroyer. Certains disaient même qu’il pouvait faire son entrée dans le gouvernement. Mais qu’importe, « la famille avant le gouvernement » s’était étranglé l’avocat-écrivain. D’où sa constitution au nom de son défunt père El Hadj Cheikh Touré et de la famille.

Sans langue de bois, le digne fils de Guinguinèo avait fait une plaidoirie remarquable pour tenter d’extirper son frère des mains de ses bourreaux « parce que Mbaye Touré et les autres sont des otages politiques dans un procès éminemment politique » avait-il martelé lors du procès Khalifa Sall et consorts. Pendant deux heures d’horloge, Me Khassim Touré avait plongé la salle dans l’émotion et la tristesse au point que beaucoup de larmes avaient coulé ce jour-là. Me Khassim Touré était un avocat de principes et de convictions. Un défenseur acharné des libertés. Il l’a démontré dans plusieurs affaires politico-judiciaires et sociétales qui ont eu à secouer la République ou la société sénégalaise.

Les dossiers de ses clients, il les défendait sans tricher et avec une passion mais aussi une verve telles que l’on aurait cru qu’il était concerné personnellement. Entier, il lui est arrivé de refuser des dossiers qui auraient pu lui rapporter des honoraires de plusieurs millions de francs par amitié pour des gens qu’on lui demandait de traîner devant les tribunaux.

Dix invités pour un…poulet

Khassim Touré était un homme aux qualités sociales et humaines multidimensionnelles. Un seul « défaut » qu’on lui connaissait durant toute sa courte vie, c’est qu’il aimait trop inviter, trop partager avec ses amis, trop se retrouver dans une ambiance familiale et conviviale. Ne vous aventurez surtout pas à appeler Khassim le week-end pour avoir de ses nouvelles. Car, dès que vous l’aviez au téléphone, il s’empressait toujours de vous inviter à venir manger. « « De grâce, viens dîner ce soir à la maison » ne manquait-il pas de dire spontanément. Au finish, il arrivait des soirs où près de dix (10) invités de « fortune » se retrouvaient autour d’un seul et unique petit poulet. Trop d’invités, peu de « gourmandise », ces diners anecdotiques ont toujours plongé ses épouses dans une situation inconfortable. Parce que Monsieur Touré ou le maitre des lieux les mettait toujours devant le fait accompli. Mais l’essentiel pour Khassim, c’était l’ambiance de retrouvailles. Il tenait à ce que chaque weekend, il y ait un « berndé » chez lui ! Khassim aimait recevoir et régaler. D’ailleurs, à chaque grand magal de Touba, sa maison dans la capitale du mouridisme constituait un lieu de convergence de nombreux magistrats, avocats, journalistes, diplomates et autres amis venus commémorer le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba. Un événement annuel au cours duquel le fervent talibé mouride Khassim Touré étalait son immense générosité en dépensant sans compter pour le copieux « berndé ». Grand farceur devant l’éternel, Khassim profitait de ce rendez-vous annuel pour s’autoproclamer « marabout » de ses propres amis. « Depuis ce matin, j’ai constaté que mes deux « beuk nek » Ousmane Chimère Diouf (magistrat) et Momar Diongue (journaliste) ne sont venus à Touba que pour manger, « sauce » rék !

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Non seulement ils ont débarqué sans « adiya », mais encore ils ne jouent plus leur rôle c’est-à-dire organiser la ziarra de mes talibés et se mettre au service de ces derniers, je serai donc obligé de les rapatrier à Dakar…» chambrait-il. Juste pour montrer ô combien l’illustre disparu était humble, taquin et cordial. Un homme d’exception à la vie tout entière consacrée à Serigne Touba et au travail. Toutefois, sa grande particularité était qu’en dépit de son appartenance connue et reconnue à la confrérie mouride, Khassim entretenait aussi des relations empreintes de cordialité avec tous les foyers religieux du pays. Eclectique, il avait des amis dans tous les partis politiques. Un vrai homme du monde !

On retient aussi de Khassim Touré cette autre facette : celle du précieux régulateur social qu’il a toujours été. C’est ainsi grâce à ses bons offices qu’il avait réussi à faire libérer l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall. De même que son frère Mbaye Touré. C’est cette immense figure du Barreau ayant inlassablement porté les valeurs d’humanisme sur terre qui vient de tirer sa révérence. Le cœur lourd, je prie pour le repos éternel de cet homme exceptionnel, unique : Serigne Khassim Touré Madamel ! L’ensemble de la rédaction du « Témoin » se joint à moi pour exprimer sa reconnaissance à l’endroit de celui qui fut notre avocat attitré. A sa famille éplorée, ses confrères, ses amis ainsi que toute communauté mouride, nous présentons nos sincères condoléances. Que la terre de Touba, une ville qu’il a toujours chérie, lui soit légère…







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