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L’Œil Du Cyclone, La Suppression Des Villes ?

A ce sujet, de prime abord et d’emblée, nous relevons que nos barons de la République ne jouent pas la même musique, ni ne dansent le même tango.

Voyons plutôt

A tout seigneur tout honneur. Invité de l’émission Grand Jury du Dimanche de la R.F.M, baryton à la bouche, M. Oumar Guèye, Ministre des Collectivités locales et de la Décentralisation, a ouvert le concert, flûtant que « la ville n’a plus sa raison d’être ». Car, voilà que l’Acte III de la Décentralisation a converti les communes d’arrondissement en communes de plein exercice et, au demeurant, exclu la Ville des « Collectivités locales de la République qui (sont) le Département et la Commune (Article 1er) ». « Il faut respecter ce principe des deux ordres ». « Dura lex sed lex ». On doit s’exécuter ; circulez, il n’y a rien à voir. Cependant, selon lui, la Ville, « forme d’intercommunalité, qualifiée de forcée et de non-conforme au principe de la libre administration des collectivités territoriales », en raison de la violation de la procédure appropriée, pourtant, seul vecteur de sa naissance légale, est tout de même, l’essence « d’une mutualisation des compétences présentant une certaine homogénéité (Art.167 al. 1) ».

Un peu plus tard, piqué par on ne sait quel moucheron, haut sur ses bottes, devant l’Assemblée nationale, en sa séance du 28 Décembre 2020, dédiée à l’examen du projet de loi portant loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable, le Ministre des Collectivités locales et de la Décentralisation a enchéri, disant que « l’existence de la Ville, entité regroupant des Communes d’arrondissement, est très récente, parce que datant de 1996 ». Seulement vingt quatre (24) ans d’âge, et, malgré tout, il faut l’euthanasier. Pour rappel, la décision de supprimer une ville ne peut être prise que sous le phare intrépide, draconien et éclairant de l’article 2 de la loi 2013-10 du 28 Décembre 2013, portant Code général des Collectivités locales : (celles-ci) ne sont créées, supprimées, scindées, fusionnées que dans les conditions prévues par le présent Code ». De surcroît, pour cela, l’article 74 fixe des exigences, ni inaliénables ni inaltérables : primo, « la constatation, pendant quatre (4) années consécutives, d’un déséquilibre de ses finances, ayant rendu impossible son fonctionnement normal ; secundo, l’avis (favorable) de la Cour suprême et, tertio, l’intervention d’un décret de dissolution.

Passons à la moulinette la matérialité de l’incrimination. Quelle (s) des cinq villes créées par le décret n°2014-830 du 30 Juin 2014, devant passer sous l’échafaud, a (ont) été frappée (s) par un tel désastre, ses comptes administratifs ayant fait foi devant la Cour des comptes, juridiction compétente. A ce sujet, le dossier est vide, pour l’instant. Alors, sur quel fondement vouloir trucider ce type de collectivité locale ? « Le droit est l’art du bien et du juste », d’après un adage latin ». En l’absence, n’y aurait-il pas des non-dits ?.

D’autres personnes et, pas des moindres, ont rallié et soutenu péremptoirement cette guillotine annoncée des villes.

D’abord, au premier rang des hommes de la Décentralisation, deux acteurs, de l’heure, emboitent le pas au Ministre, chacun y allant avec ferveur et force conviction. Il s’agit – de voix plus ou moins autorisées – c’est selon – ; d’une part, de M. Aliou Sall, Maire de la Ville de Guédiawaye, Président de l’Association des Maires du Sénégal et, d’autre part, de M. Adama Diouf, Président du Conseil départemental de Kaffrine et Président de l’Association des Départements du Sénégal.

Le premier s’est évertué à convaincre, claironnant : « il y a nécessité d’appliquer cette réforme (la suppression ?), conformément au Code général des Collectivités disposant que « la ville existe bel et bien comme collectivité locale, mais c’est une collectivité subjuguée, c’està-dire qu’elle peut ne pas exister ».

Le second tambourine, qu’entre 1972 et 2012, la politique de décentralisation a fait atteindre des avancées administratives et institutionnelles incontestables. Cependant, il met le doigt sur quelques entraves rencontrées sur le chemin.

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– la faiblesse du cadre institutionnel de la décentralisation ;- une gouvernance (marquée) par une multitude d’acteurs (ayant) des préoccupations parfois différentes ; – l’inefficacité des interventions de beaucoup d’acteurs, accentuée par l’insuffisance des moyens et des mécanismes de financement du développement régional.

Au sommet de la pyramide, le Professeur Ismaila Madior Fall, Ministre d’Etat, Conseiller du Chef de l’Etat et ancien Président du Comité de Pilotage de l’Acte III de la Décentralisation. Dans une interview accordée à l’Observateur du 29 Décembre 2020, il solfie pour préciser ou, plutôt, remettre les choses à l’endroit : « le Président de la République n’a jamais parlé de suppression des villes… ».

Au sujet de la réforme du statut des villes, il essaie de rassurer : « le Président … privilégiera la concertation avec les acteurs pour arrêter ce qu’il y a de mieux pour le pays ».

Là, un choc. Un des plus proches collaborateurs du Chef de l’Etat, membre de la commission « Décentralisation et territorialisation des politiques publiques » du Dialogue national, a confié à l’Observateur, qu’en dépit du refus de l’opposition, « le Pouvoir n’a pas abandonné son projet et tient à corriger cette injustice territoriale ». D’un autre côté, le journal la Source A du 30 Décembre 2020 rapporte : « depuis Octobre 2019, l’Etat avait préparé son coup » ; « les conclusions des experts en décentralisation avaient été interdites de publication par l’Etat (qui) avait pris la décision de les appliquer ». N’est-ce pas dire qu’il n’y aura pas de concertations avec quiconque et que les carottes sont déjà cuites. Nous le pensons vraiment.

Et le Ministre-conseiller, M. Fall, de tenter une antithèse. « Il s’agit, après … l’évaluation de la phase I de l’Acte III, de mettre en œuvre la suite de cette grande réforme pour avoir des territoires viables et porteurs de développement, de réaliser les innovations prévues dans ce cadre et, éventuellement, de corriger les incohérences territoriales là où c’est possible ».

Plus spécifiquement, concernant « le statut des villes de la région de Dakar (Pikine, Guédiawaye, Dakar, Rufisque) et de Thiès ou de toutes les villes atteignant un certain seuil de population, (figure au tableau de la réforme), leur réorganisation dans le sens d’une meilleure viabilité ».

Le Professeur Fall précise : « aujourd’hui, il y a lieu (en veillant à y avoir des communes plus viables), de doter (Dakar) d’un statut qui permet une gouvernance municipale apaisée, quelle que soit la couleur politique du maire ». Permettez-nous une parenthèse : à propos de l’aménagement de la Place de l’Indépendance, on se souvient encore du bras de fer ayant opposé le Ministre de la Ville, M. Diène Farba Sarr, donc l’Etat, à M. Khalifa Ababacar Sall, édile de Dakar, « Ville vivante et vibrante » (dixit, Charles De Gaulle – Place Protet – 26 Août 1958).

Assurément, cette façon d’envisager le statut futur de cette métropole singe, fortement et profondément, l’idéologie ayant été à la base du statut de la ville de Paris, sous le sceau de la loi du 28 Pluviôse An VIII. En effet, siège des pouvoirs publics, Paris devait être dans les mains du gouvernement ; vision confortée au cours du temps par sa propension à être le foyer des révolutions.

Sous le chapiteau des considérations rappelées ci-dessus, la Ville de Paris avait été soustraite du droit municipal commun de l’époque. Certes, comme les autres communes, elle avait un conseil municipal élu qui élisait son président, mais, point de maire dont les attributions classiques étaient partagées entre deux autorités : le Préfet de la Seine et le Préfet de Police.

Aussi, est-il loisible de craindre un coup fourré, une manœuvre de politique politicienne, qui, ultérieurement, pourrait :

– emprunter cette voie pour mettre une croix sur la Ville de Dakar ;

– ou ressusciter le projet de nomination du Maire de Dakar, par décret. L’une ou l’autre de ces formules aurait le même effet ; à savoir, couper l’herbe au pied à un quelconque opposant politique qui briguerait les fonctions d’édile de la capitale, face à un candidat du pouvoir. .

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La deuxième avait été agitée, il y a quelques mois, mais, comme une étoile filante, elle s’était volatilisée, parce qu’assaillie, violemment et de tous côtés.

Toutefois, rien n’indique qu’elle a été abandonnée pour de bon. La vigilance s’impose ; le phœnix peut renaître de ses cendres.

Pour le reste des cinq (5) villes promues à la disparition, selon que le territoire de la ville et celui du département coïncident (Cas 1) ou pas (Cas 2), deux horizons semblent être ouverts, par couple, ci-après : – pour les villes comme Pikine et Guédiawaye, il y a lieu, soit, de garder la ville comme collectivité locale, soit, de transformer le conseil (municipal) de la ville en conseil départemental ;

– pour les villes de Rufisque et de Thiès, on peut, ou, améliorer leur statut par une clarification des rapports entre la Ville et les communes (d’arrondissement) la constituant, ou supprimer celles-ci, en laissant subsister la Ville, comme seule et unique collectivité locale.

De plus, l’article 28 du Code général des Collectivités locales prévoit : « A titre dérogatoire, les attributions dévolues au conseil départemental peuvent, le cas échéant, être exercées par la ville (en cas de superposition géographique de son périmètre et de l’assise territoriale) du département ».

On en déduit que trois (3) statuts s’offrent, encore, à Rufisque, collectivité locale :

– être ville ;

– être département ;

– être ville, investie, en plus, des compétences d’un département, collectivité locale.

Sous ce rapport, le département peut périr et, retrouver, à l’instar de la région, son caractère de circonscription administrative, plus familier à la population. Ce faisant, le Professeur Fall a pu s’ouvrir une brèche qui ne serait pas sans arrière-pensée de sa part, lui, citoyen de la ville de Mame Coumba Lamba qu’il ambitionnerait, selon la rumeur, de diriger. Mais, incidemment, – un bon point à lui -, il reconnait que la Ville, communauté locale, peut, tout en conservant parallèlement son territoire, survivre à côté d’une autre, ville ou département. Conflit d’intérêt ? Cà le parait.

Or, donc, pour le Ministre-conseiller, l’idée d’un bon voisinage, Ville-commune, appartient au domaine du possible. A nos yeux, ce n’est ni aberrant ni déconsolidant. Alors, pourquoi pas. Nous la partageons sans équivoque et pleinement. Plus, nous sommes contre la disparition de la ville, collectivité locale. Cette posture est, de plus en plus, celle de beaucoup de citoyens et de personnalités de ce pays, dont nos cousins, par « us et coutumes », M. Abdoulaye Mactar Diop, Grand Serigne de Dakar et M Pape Diop, ancien Président de l’Assemblée nationale et ancien Maire de Dakar etc..

La réalité des choses et les controverses agitées appellent l’Etat à éviter un coup de force, à, d’une part, ignorer ces plus laudateurs qu’analystes, oiseaux de mauvaises augures, pour qui le vin est tiré, il faut le boire, même s’il est frelaté, et, d’autre part, à lever le pied et à ouvrir un débat (citoyen) et « inclusif », comme pronostiqué, plus haut, par M. Ismaila Madior Fall.

Nous y voilà.

Réformer l’Acte III de la décentralisation, oui. Mais, il faut le faire en profondeur, car tel l’exigent, les incohérences et les insuffisances indéniables, diverses et multiples le décolorant. Qu’il nous soit permis de ne pas insister sur ce plan ; bien des acteurs directs de la question l’ont brillamment fait.

A notre humble avis, l’Etat doit oser tourner casaque sur plusieurs points, principalement, par la mise hors circuit de la communalisation universelle. Car, en vérité, pour notre pays, cinq cent cinquante deux (552) communes, c’est bien trop. Il faut réduire la pléthore « à sa plus simple expression », sans regarder dans le rétroviseur ; surtout que, nombre parmi elles, sont nées avec une tare congénitale grave et, fatalement létale, à court terme. Quand, du fait de la faiblesse des moyens, le personnel transféré ne peut être payé, que les écoles élémentaires ne sont pas prises en charge ou le sont, peu ou prou, il convient de rétropédaler ou de changer fondamentalement.

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Oser innover largement. Mais, il faut des préalables. C’est par exemple :

– définir des critères pour le choix objectif de lieux dits, éligibles au grade de ville ou de commune d’arrondissement : volume démographique, infrastructures, potentialités, force et place dans l’économie locale, régionale, voire, nationale ; puis, sur cette base, créer, sans visée politique politicienne, des villes et des communes d’arrondissement, là où cela s’impose vraiment ;

– transférer, aux villes et aux communes d’arrondissement, des compétences non équivoques, conciliables et non antagonistes ou sources de conflits. Nous ne sommes pas praticien ou philosophe de la décentralisation.

Et, donc, sans prétention, aucune, nous tentons de dresser un petit catalogue de points à ausculter :

– la fiscalité locale à améliorer ou asseoir, en renfort des ressources reçues de l’Etat, au prorata des compétences transférées ;

– l’opportunité de la mise en place d’une législation de la fonction publique locale ; – la formation des élus et des acteurs de la décentralisation ;

– la division claire et précise, entre l’État et les collectivités locales, des compétences à exercer, chacun pour sa part ;

– la meilleure articulation des dimensions politique, administrative et financière de la décentralisation.

C’est le lieu de laisser un viatique aux réformateurs prochains de la décentralisation.

A priori, politique de décentralisation et politique d’aménagement du territoire ne semblent pas, à bien des égards, antinomiques. Nulle primauté à l’une ou l’autre. Plutôt, la quête d’une convergence et d’une connivence des deux, pour un plus grand développement économique, culturel et social du pays.

Géminées avec doigté et intelligence, clarté et pertinence, elles contribueront, certainement, à briser les cassis jonchant la route vers la concrétisation d’objectifs afférents aux territoires, comme :

– l’augmentation de leurs moyens d’action ;

– l’accroissement de leur potentiel ;

– l’avènement de leur développement durable et inclusif ;

– l’effacement durable des disparités économiques et sociales ;

– le montage et l’exécution des véritables projets.

Le mot de la fin.

« Pays de la Téranga », hier et aujourd’hui, et « Pays du Dialogue », comme presque ancré dans les esprits d’ailleurs, le Sénégal est en passe de perdre ce dernier label. C’est qu’ici, on désillusionne, ardemment, au regard du vécu.

– le poste de Premier Ministre a été supprimé, sans annonce de Monsieur le Président de la République, sortant, lors de la campagne électorale de Février 2019, ni débat inclusif ou concertation avec, à tout le moins, la société civile et les partis politiques légalement constitués ;

– de nos jours, on parle, de plus en plus, d’un renversement de la décision, du fait des effets négatifs, comme ceux soulignés dans notre article « Chronique d’une mort annoncée : la suppression du poste de Premier Ministre » (- In Dakar Times n°598 du 29 Avril 2019) ;

– concernant le projet de suppression des villes, il ressortirait des propositions faites par les seuls spécialistes de la décentralisation, choisis, au reste, par le pouvoir (Cf. Source A du 20-12-2020). Il faut s’affranchir de la doctrine, crève-cœur, voulant, qu’avec une victoire à 58 %, « Affaire « bii, mann la », mais aussi, de la jurisprudence constante qu’elle a inspirée et tendant à se pérenniser : « dogal bii maako moon ».

Au pouvoir de gouverner et à l’opposition de faire front.

C’est par un appel à Monsieur le Président de la République que nous terminons notre propos du jour. Revenons sous l’arbre à palabres, chaque fois que nécessaire. C’est impératif de notre temps. Le contexte politique, économique, social et sécuritaire le justifie amplement. Ici, on s’agite ; là, on cogite ; là-bas, on rumine sa colère, le poing fermé.







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