Adji Sarr-Ousmane Sonko ! Les deux noms qui sont sur toutes les lèvres. Une orpheline de 21 ans contre un homme politique qui occupe une place de choix dans le jeu politique sénégalais : 3e aux élections présidentielles passées, chef de l’opposition sénégalaise depuis le départ du président Idrissa SECK, leader d’un parti politique très coté mais aussi de toute une génération qui veut rompre avec un « système » qu’elle juge dépassé. Bonté divine !
Cette mêlée politico-judiciaire au-delà de l’aspect sous-jacent d’une affaire de viol et de menace de mort dans un salon de massage dakarois pourrait sceller le sort d’un homme politique et se terminer in fine par sa mise en mort. Malheur au vaincu ! Le duel entre le leader du Pastef et le chef de file de Benno Bokk Yakkar semble être à son épilogue ! Mais un seul s’en sortira vivant politiquement ! Ousmane Sonko ou Macky Sall. Le premier ne s’y est d’ailleurs pas trompé en parlant de l’avant-dernière bataille. Certains me demanderont mais qu’est-ce que le président Sall vient faire dans cette affaire strictement privée, qui ne concerne qu’Adji Sarr et Ousmane Sonko. Je leur rétorquerai que je m’en serais tenu à cela si je n’avais pas entendu le Président de la République dire : « J’ai mis certains dossiers (judiciaires) sous mon coude ! » ou, « Si je laisse la justice arrêter certaines personnes le pays va sombrer ! » Et, quand un homme politique, président de l’APR et patron de la coalition Benno Bokk Yakkar, peut demander au « maître des poursuites » de ne pas déclencher la machine judiciaire, pourquoi se priverait-il de lui ordonner, à contrario, de poursuivre un adversaire politique qui s’appellerait Karim Wade, Khalifa Sall, ou alors cerise sur le gâteau, Ousmane Sonko, ce bonhomme qui draine une foule qui fait rêver tout homme politique et qui lui donne tant de tournis ces derniers temps !
La corde est tendue ! Le débat est houleux et chacun essaie de prendre position. Certaines autorités élèvent la voix pour attirer l’attention quant au risque d’escalade qui pourrait secouer le pays. Mais quand on franchit le Rubicon il est difficile de faire marche arrière !
Cette affaire de salon de massage serait à peine une petite tempête dans un verre d’eau s’il concernait certains hommes politiques connus pour leurs frasques et leurs histoires de mœurs. Mais pour Ousmane Sonko cela a une autre saveur. Bien évidemment je respecte la présomption d’innocence de l’ancien haut fonctionnaire et en outre je suis loin d’être un moralisateur.
Au-delà de l’émotion et des incantations, cette histoire a un côté quand même assez grotesque, presque caricatural : une jeune fille qui sème le trouble dans l’espace public et fait trembler tout un pays ! Mais heureusement que pour une fois nous n’en avons pas le monopole ! Le patron du FMI, candidat des socialistes français DSK est tombé menottes aux poings, au propre comme au figuré, sous le charme irrésistible d’une « femme de chambre » ! Bill Clinton n’a pas su résister aux charmes d’une stagiaire à la maison blanche ! On aurait pu dire : encore un mâle au tapis ! Sauf que cette affaire est loin de connaitre son épilogue. Cependant une chose est sûre, ses répercussions seront énormes au plan personnel pour certains mais bien au-delà !
Cette affaire changera à jamais le destin d’Adji Sarr ! Qu’elle ait été violée et menacée ou pas par le leader du Pastef, sa vie ne serait plus jamais la même, le ressac sera si fort, qu’elle en gardera les cicatrices toute sa vie. La jeune masseuse devra désormais vivre avec ce traumatisme de sa vie jetée en pâture à une opinion publique qui semble se délecter de ces fakenews qui sont colportés à longueur de journée par des journalistes peu scrupuleux et, des chasseurs de scoops sensationnels. La pauvre. Vilipendée comme une vulgaire petite chose que même les organisations de femmes n’ont daigné défendre. Alors qu’elle est une orpheline qui sort à peine de l’adolescence ! Mais Adji ne sera pas la seule qui sortirait changée à jamais de ce tsunami qui déferle et qui continue de faire des vagues. On en a même oublié les ravages de la Covid 19 avec son lot de morts ! Le paysage politique (judiciaire ?) sénégalais aussi s’en trouverait fortement changé. Plus rien ne sera plus comme avant !
J’ai dit à un ami, juste à l’éclatement de l’affaire, s’ils (les adversaires d’Ousmane Sonko) ont une once de preuve, ils joueront crânement leur va-tout et rien ne les arrêtera pour : écorner l’image de l’ancien inspecteur des impôts et domaine, détruire le mythe qu’ils n’ont jamais réussi à déconstruire depuis que l’auteur de l’ouvrage « Solutions » a pris son envol politique, voire carrément l’empêcher de se présenter aux futures élections. Comme ils l’ont réussi avec Karim Wade et Khalifa Sall ! On n’a pas besoin d’être un devin pour savoir qu’Ousmane Sonko joue gros dans cette affaire qui, si elle se termine comme le souhaitent ses détracteurs, c’en est fini de sa carrière politique époustouflante ! Qui plus est, le leader de la formation politique Pastef-les patriotes, en plus de s’être toujours singularisé comme un adepte de l’« antisystème », a toujours donné l’image d’un homme qui est très à cheval sur certaines valeurs morales et religieuses, voire celle d’un homme politique qui garde une certaine distance vis-à-vis de certaines mondanités ce qui lui a valu de la part de certains de ses adversaires des sobriquets pleins de cliché :« salafiste » ou « ibadou » ! Aussi lui sera-t-il difficile de se sortir indemne de cette épreuve ! En effet au-delà de la condamnation judiciaire qu’il risque en cas de culpabilité, il y a l’aspect moral à gérer auprès de certains électeurs qui se posent certaines questions !
Mais de l’autre côté, ceux qui sont au pouvoir sont dans une situation très difficile ! Le bouillonnement est perceptible. Entre les violentes manifestations à la cité Keur Gorgui ou à Bignona, les différents communiqués pour interdire la vente d’essence dans des bidons, les appels au calme de certaines autorités religieuses, les prises de position des personnalités comme Boubacar Camara, l’écrivain Boubacar Boris Diop ou le cinéaste Moussa Sène Absa… Le pouvoir est sur une corde raide.
Le Président Sall est dans une situation peu confortable. Il est conscient que ce jeu peut aller très loin si on prend la peine de bien lire la situation actuelle correctement. Une personnalité religieuse très influente lui demande d’éviter que le pays « implose entre ses mains ». Cela a tout son sens dans ce contexte tendu.
Mais en même temps si le président lâche du lest, ça risque de devenir infernal pour lui. Depuis 2012, le président Macky Sall est dans une posture confortable. Bien installé sur son siège douillet, ses alliés bien servis, une bonne partie de la société civile bien domestiquée, certaines belles plumes ayant perdues leur verve…Son « artillerie judiciaire » se charge de terminer le boulot : pilonner en toute légalité les positions de tous ses adversaires. Son rouleau-compresseur n’a épargné aucune institution sur son passage. Il a imposé selon son tempo l’agenda qui lui sied : la traque des biens supposés mal acquis avec l’affaire Karim Wade, modification de la constitution, parrainage, organisation des élections en mode fast-track, affaire Kalifa Sall… Jusqu’à cette affaire dite Ousmane Sonko. Mais si ce dossier se dégonfle, il sera aussi à l’aise qu’un puncheur qui a l’habitude de marcher sur ses adversaires en les ruant de coups et qui se retrouverait obligé de reculer et de se blottir sur les cordes pour esquiver les coups qui pleuvent ! Avouons que cela sera compliqué jusqu’en 2024 !
P.S : La justice aussi joue gros dans cette affaire ! Aura-t-elle le courage d’aller jusqu’au bout en séparant la bonne graine de l’ivraie pour dire le droit rien que le droit ? Osera-t-elle classer le dossier s’il est réellement vide comme d’aucuns le prétendent ? N’essayera-t-elle pas de mettre la pédale douce pour sauver un homme politique s’il est coupable ? Autant de questions. Mais demain il fera jour.
Moustapha Diop