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Un Ensauvagement Qui N’augure Rien De Bon

Dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, à l’université Cheikh Anta Diop, un petit accident de scooter entre deux étudiants appartenant à des associations rivales dégénère. La rumeur fait cas de blessures pour l’une des parties qui appelle sa communauté à la rescousse. Et ça part en vrille. Dans ce temple du savoir où l’on est censé se référer à la loi des hommes et non à celle de la jungle, la castagne généralisée entre étudiants laisse place à une expédition punitive aux relents de vendetta. Alors que certains cercles ont très tôt fait d’y voir un conflit ethnique entre Sérères et Diolas, il reste que si « Ndefleng » renvoie à la communauté sérère, « Kekendo », mot d’origine mandingue, se réfère plutôt à la communauté éponyme. C’est dire la légèreté matinée de précipitation de telles considérations. Ce que certains étudiants témoins des faits contestent d’ailleurs, y décelant au contraire des rivalités entre gangs, tout en s’étonnant que les autorités en charge de la sécurisation de l’espace universitaire ne mettent point de l’ordre à un tel état de fait, donnant plutôt l’impression de s’en accommoder.

En tout état de cause, ces événements viennent s’adjoindre à un ensemble de signaux révélateurs d’un délitement de plus en plus mortifère du tissu social sénégalais. A l’instar de cette insécurité qui empoisonne l’espace public, à coups de vols à la tire, d’agressions physiques à coups de coupe-coupe, la plupart du temps opérés par des individus à bord de motos. Ces fameuses motos sans immatriculation, grillant les feux rouges et autres interdictions, au nez et à la barbe de la police de la circulation qui laisse faire. A l’instar des commerces, essenceries, bâtiments publics, violemment vandalisés ces dernières semaines, lorsqu’ils ne sont pas simplement réduits en cendres avec la hargne d’une désespérance qui, sous l’emprise de la bête immonde, a expulsé de son champ toute rationalité.

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Point de discernement, puisque dans un total aveuglement, on fait dans l’amalgame, oubliant que toute responsabilité incombe au premier chef à l’auteur ou aux auteurs. Non point à la famille, encore moins à la communauté. Aussi, ce qu’il vient de se passer à l’Université Cheikh Anta Diop sonne-t-il comme une sérieuse alerte que ne sauraient dissoudre les effusions de fraternité post-conflits dont on a été gratifié. Bien au contraire, il rend compte de l’exacerbation du délitement social qui a cours depuis plusieurs années, s’approfondissant au fil des gouvernances avec des piques éruptives. A n’en pas douter, sur ce plan, le Sénégal indépendant éprouve des difficultés à opérer une rupture qualitative. Travail, honnêteté, probité, justice, demeurent des valeurs-repères qui continuent à être malmenées. Toutefois, cela n’est pas sans conséquence car au bout du compte, fragilisant les digues et facilitant du même coup l’infiltration des eaux fangeuses de la corruption des esprits. Assurément, la pratique politique qui a cours depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté nationale et internationale en est un exemple illustratif. Déjà on peut relever qu’il y avait sous le régime du président Léopold Sédar Senghor un parti-pris politicien affligeant, qui faisait équivaloir carte du parti avec promotion, insoumission avec marginalisation et surveillance policière.

D’éminents cadres, compétents et patriotes ont ainsi été victimes de cet ostracisme d’Etat. Une situation dont le décryptage s’est soldé par le fait qu’un certain nombre de personnes ont fini par dévêtir la politique de son sacerdoce d’engagement, de don de soi, pour en faire un moyen rapide et performant d’enrichissement. En atteste le nombre incalculable de partis politiques et celui effarant de la transhumance au gré de la vitalité des zones de paissance. Et ça démissionne, ça change de conviction suivant le sens du vent, au grand dam des intérêts de la nation dont on réclame tout en s’en fichant royalement. Et cela s’est perpétué sous les régimes qui ont suivi, même si la forme en était quelque peu atténuée. Aussi n’y a- t-il pas à s’étonner que la perception qu’on a de la politique, de la justice, de la réussite sociale, puisse se résumer en un mot : instrumentalisation. Cette propension à pervertir une situation, à la tordre pour la réduire à son service propre en est une des caractéristiques majeures. Et forcément cela suscite de la défiance chez les administrés. Cependant rien de nouveau sous « le Soleil des indépendances » de Ahmadou Kourouma, car depuis ces temps-là, les différentes réformes sont faites fondamentalement en vue de renforcer le parti au pouvoir et ses principaux dirigeants.

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Après une parenthèse qui a permis l’élaboration d’un code électoral consensuel consacrant l’intérêt général on a assisté à un recul démocratique avec le retour en force du calcul partisan pour jouir des avantages que confère la proximité avec le pouvoir au lieu de se servir du pouvoir en se mettant au service de la communauté. Et cela se voit dans la constitution plusieurs fois taillée sur mesure ou prêtant sciemment le flanc à une interprétation plurivoque. Il est donc plus que jamais venu le temps de se libérer des incantations et des déclamations. Celles et ceux qui nous dirigent, de même que les personnes qui en nourrissent la prétention, doivent par conséquent se soucier de montrer que le Sénégal est au-dessus de tout. Ce qui veut dire veiller au bien-être des populations, renforcer les règles qui s’imposent à tous, veiller à la cohésion nationale, au vivre ensemble. C’est la seule façon de renouer la confiance, d’ajuster les dérèglements au risque de basculer dans la catastrophe. En définitive, cet ensauvagement qui s’étale de manière criante n’augure rien de bon sinon qu’il pointe le doigt sur l’urgence qu’il y a à se ressaisir, en mettant l’éthique au cœur de nos pratiques.







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