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Makhtar Diouf, Un Rebelle À La TÊte Bien Faite

Dans mon micro-univers d’intellectuel insoumis, tel est le titre du dernier ouvrage publié récemment par l’économiste de renom, Makhtar Diouf, édité par NEAS dans sa collection « Essai, monde d’hier, monde de demain ».

Cet intellectuel « libre » et fier de l’être nous invite à la fois à entrer dans son intimité et à revisiter l’essentiel de ses écrits, quatre décennies durant. Une mine d’informations et d’idées. Un vrai trésor.

Avant d’en arriver aux écrits (essais, conférences, articles, correspondance…), l’auteur commence par « quelques éléments d’autobiographie », et dès l’entame de son propos précise :

« Ce texte n’est pas un Mémoire. L’auteur de Mémoire est généralement une personnalité publique, souvent politique (ce que je ne suis pas), qui raconte des événements passés dans lesquels il a été à la fois témoin et acteur…

L’autobiographie se situe à un niveau beaucoup plus modeste… Je me contente ici de présenter quelques séquences de ma vie qui ont jalonné mon parcours intellectuel.

Le ton est donné : nous n’avons affaire ni à un professeur assis sur son piédestal en train de contempler son nombril, encore moins à un politicien soucieux, avant tout, de faire passer ses arguments, d’imposer son point de vue, de « vendre » des projets prêts-à-porter. « L’intellectuel insoumis » n’en sera que plus à l’aise pour traiter de tous les sujets qui intéressent la société, y compris (nous devrions dire : ‘avant tout’)… des sujets politiques. Évidemment, le plus souvent, sous l’éclairage des théories économiques, son domaine de prédilection.

Mais, commençons par le commencement : la vie intime ou la vie tout court de l’enfant de la Médina. Pour le reste, le lecteur sera renvoyé aux écrits de l’auteur qui agrémentent toute la deuxième partie de l’ouvrage.

L’autobiographie

De la Médina à la Gueule-Tapée

« Un royaume d’enfance », comme dirait Senghor, dans ces quartiers populeux (même pour l’époque) de la Médina (anciennement appelé « Alwar ») et de la Gueule-Tapée, abrite cette vie qui commence un 19 mars 1942, dans « la grande maison familiale ». Ceux de la génération de l’auteur (et les moins vieux !), natifs de ces lieux quasi paradisiaques, se souviendront avec beaucoup de nostalgie, des endroits emblématiques de ces quartiers. Le cimetière « Alwar » de Soumbedioune, lieu sacré s’il en est ; la baie éponyme avec ses pirogues multicolores et son marché aux poissons qui ne désemplissait pas de ses femmes aux tenues bigarrées ; les Abattoirs de la Corniche-Ouest où venaient, comme des moutons de Panurge, se faire égorger les gros bœufs après avoir traversé tranquillement tout le quartier ; le dispensaire Polyclinique de l’Avenue Blaise Diagne qui recevait quotidiennement pendant les grandes vacances les courageux – et les moins courageux – candidats à la circoncision ; les soirées de kasak, véritables fêtes populaires et les salles de cinéma « Pax », et « Rio », interdites au garçon, Makhtar, car « notre éducation familiale est stricte » ; le grand canal en chantier qui ira longer le futur Lycée Maurice Delafosse, en construction ; des écoles coraniques à chaque coin de rue, et l’école primaire de la Médina (aujourd’hui école Alassane Ndiaye Allou, l’emblématique instituteur, reporter d’alors, un autre intellectuel de son temps) avec ses directeurs de l’époque, tout aussi exceptionnels : Pape Guèye Fall, Abdou Camara…

Chacun de ces lieux est associé à des souvenirs d’enfance de l’auteur qui se plaît à nous les restituer avec délectation. En même temps, le septuagénaire d’aujourd’hui saisit l’occasion pour nous faire, avec beaucoup d’émotion, des confidences sur ses parents :

« Mon père qui repose au cimetière de Soumbedioune deux ans seulement après ma naissance ; rien sur sa date et son lieu de naissance… 

Ma mère, elle, a quitté ce monde en 1989 à l’âge de 87 ans… »

En 1953 le lycée Van Vollenhoven « considéré à l’époque comme centre d’excellence », ouvre précocement ses portes au brillant élève qui a dû sauter le CE1 dans son cursus primaire. C’est le lieu d’évoquer les amis d’enfance ainsi que les associations de jeunesse. Mais un souvenir lui restera en particulier : le cortège du Général de Gaulle venu, en 1958, nous « donner » l’indépendance :

« Nous sommes des milliers de jeunes debout le long de la baie de Soumbedioune à crier à son passage : ‘Indépendance, Momsarew !’…

L’après-midi je ne vais pas à la Place Protêt… Je n’ai jamais compris pourquoi certains de nos aînés, parce que présents et brandissant des pancartes ont cherché à passer à la postérité comme les revendicateurs exclusifs de l’indépendance, jusqu’à créer un club de « Porteurs de Pancartes ».

Signes précurseurs de l’insoumission…

Les navettes entre Dakar et Paris

Avec la première partie du baccalauréat, le jeune homme embarque pour la première fois pour la France où il est inscrit pour des études de ‘Télécommunication-Signalisation’ à l’École nationale d’aviation civile (Enac). Guère intéressé par cette filière, il prépare seul la deuxième partie du bac et obtient, très fier, son diplôme :

« C’est, je puis dire, la plus grande satisfaction intellectuelle de ma vie, car je n’avais jamais mis les pieds dans une classe de Terminale. »

Inscrit en Sciences économiques, il va étudier la matière qu’il venait de découvrir et pour laquelle il eut un véritable coup de foudre. A la Faculté, il rencontrera Moustapha Niasse, étudiant en droit, alors leader des étudiants de l’Union progressiste sénégalaise et qui deviendra son ami pour la vie. Rebelle au parti de Senghor et de l’actuel président de l’Assemblée nationale, il n’en adhère pas pour autant au PAI, parti marxiste d’opposition, alors fort coté dans les milieux étudiant et universitaire. Du reste, ses amis marxistes ne le trouveront jamais « assez clair ». Marginalisé à Droite comme à Gauche, sans que cela ne le dérange nullement, il s’explique :

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« Je suis d’une indépendance d’esprit qui ne me permet pas d’être embrigadé dans le carcan d’un parti politique… »

Cette période sera marquée par des allers et retours incessants entre Dakar et Paris.

Retour sur Dakar. Inscrit une première fois au Département de Sciences économiques, il est vite déçu par le niveau des enseignants qu’il trouve très bas (surtout comparés à ceux de Paris) ; parmi eux, « un certain Abdoulaye Wade » :

« Il leur manque, écrit-il, beaucoup en termes de formation pour être de véritables économistes. »

Nouveau tour à Paris après l’examen de 3e année. Poursuite des études en sciences économiques ; inscription en Doctorat en même temps qu’une formation d’Inspecteur des Impôts et une autre en Administration des entreprises.

Diplômé de grandes écoles, le jeune Makhtar rentre à nouveau à Dakar. Embauché à la Sar comme cadre administratif, il démissionnera la même année (1968) :

« … Je ne supporte pas l’ambiance. Je dois dire que je suis aussi choqué par l’exploitation dont les travailleurs africains, ouvriers et employés, sont l’objet dans cette entreprise qui pourtant engrange de gros bénéfices. »

Un autre retour à Paris pour terminer et soutenir sa thèse… en usant de stratagème, car « lorsqu’on n’est pas étudiant membre du parti de Senghor, il faut user de ruse pour pouvoir aller étudier en France. »

Recruté comme Assistant au département d’Économie de l’Université de Paris I, il comptera parmi ses collègues Alpha Condé, futur président de la République de Guinée. C’est en juin 1969 qu’il soutient sa thèse de Doctorat d’État. Il est admis avec la mention « Très bien », « le maximum qui à l’époque est conféré par la Faculté ».

Une nouvelle fois rentré dans sa ville natale, le jeune universitaire rejoint la Faculté de Sciences économiques, comme chargé de cours : « Quand j’intègre le département d’Économie, je suis bien accueilli par les deux seuls Africains qui y sont en poste… » 

Par contre ses relations avec ses collègues expatriés ne sont pas toujours des meilleures, « compte tenu de leurs comportements seigneuriaux de temps colonial… ».

Parallèlement, Makhtar Diouf enseignait dans certains établissements d’enseignement supérieur. Déclinant alors de nombreuses offres pour des postes à l’extérieur, autrement mieux rémunérés.

En conclusion de cette carrière universitaire et de ces prestations sous contrat avec l’État sénégalais, l’universitaire n’est pas peu fier : « En tout cas, je me sens honoré d’avoir participé avec mes collègues de la Faculté comme de l’Enam à la formation de grands cadres du pays, ayant occupé d’importantes responsabilités dans le privé comme dans le public. »

Il les cite nommément ; on y trouve, pêle-mêle : d’anciens Premiers ministres ou ministres, un président d’Assemblée nationale, des Ambassadeurs, des Directeurs de société…

Cependant, l’universitaire a fait l’objet de nombreuses tracasseries dans l’exercice de ses fonctions de la part du régime senghorien, alors très répressif et particulièrement frileux face à toute contestation, ou même de simples critiques dans un cadre purement scientifique. Il se souvient :

« C’est depuis l’époque de Senghor que je suis perçu comme un perturbateur par le régime, du fait de mes conférences très suivies à l’Université, au Centre Daniel Brottier, à la Chambre de Commerce… Il est vrai que je ne fais pas partie de ceux qui caressent le régime dans le sens du poil. Lorsque je dis du ’’socialisme africain’’ de Senghor qu’il n’est ’’ni socialisme ni africain’’, cela en égratigne plus d’un. »

L’auteur termine cette partie autobiographique en abordant de nombreux thèmes, fort variés – le sport même, particulièrement le football dont il fut un grand adepte et pratiquant, aura sa part de revue et d’analyse. D’un « micro-univers », ne nous amène-t-il pas alors à un « macro-univers » ? En tout état de cause, il ne serait pas aisé, ici, de relever toutes ces questions, de façon exhaustive. Nous en abordons brièvement trois, dans l’ordre où l’auteur lui-même les présente : ses relations avec le marxisme, celles avec l’Islam, et celles avec Cheikh Anta Diop. Un choix arbitraire ou subjectif ?… C’est selon…

Ses rapports avec le Marxisme

Pour ce qui est de sa relation au marxisme, l’auteur, dès le départ, campe le débat : « Il m’a souvent été collé l’étiquette de marxiste. C’est ici, je crois, le lieu d’apporter des éclaircissements sur ce point. »

On peut relever que le contact initial de Makhtar Diouf avec cette grande doctrine qui a dominé les 19e et 20e siècles fut des plus ambigus ; il revient sur cette première rencontre qui eut lieu à la faveur du cours d’un éminent « marxologue » : « Dans son cours sur le marxisme, je suis séduit par la partie économique, mais dérouté par la partie philosophique. Et il y a de quoi, pour un jeune Sénégalais qui entend dire que pour Marx il n’y a pas de créateur, que Dieu n’existe pas. »

La documentation que le jeune universitaire, quelque peu perturbé, va chercher dans les bibliothèques parisiennes ne le mènera pas loin : aucune preuve de « l’inexistence d’un Dieu créateur ». D’autre part, il confesse : « … Je suis aussi rebuté par le matérialisme historique selon lequel la lutte des classes est le moteur de l’histoire. »

Et de préciser :« Du peu que je connais de l’histoire de l’Afrique, je ne vois pas en quoi la lutte de classes a pu être le moteur déterminant de l’histoire du continent. »

Enfin, l’universitaire « rebelle » n’est guère adepte du terme de « dictature du prolétariat », pourtant concept fondamental dans la doctrine politique de Karl Marx.

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« La cause est entendue » : Makhtar Diouf n’est pas marxiste.

Pourtant l’ambiguïté demeure, car il ne cache pas son adhésion totale à l’économie politique marxiste. La prise de position est nette, claire et précise : « Pour moi, Marx est le plus grand de tous les économistes connus jusqu’à ce jour, et Le Capital est le meilleur ouvrage d’Économie politique. »

Il ne sera donc pas surprenant de voir l’enseignant accorder une large place dans ses cours à l’Économie politique marxiste. Même s’il a toujours eu à cœur d’en faire « une présentation objective ».

Par ailleurs, dans sa pratique militante (syndicale, culturelle, politique), Makhtar Diouf a souvent compté parmi ses « compagnons de lutte » des militants communistes, dont certaines de ses fréquentations parisiennes, alors qu’il était jeune étudiant. Il ne sera cependant jamais membre de leurs organisations politiques. C’est du reste, lors du regroupement avec des membres du PIT (Parti de l’Indépendance et du Travail) d’obédience marxiste, autour du journal Ande Sopi (Ànd Soppi, devrait-on écrire !) qu’il fait la connaissance du président Mamadou Dia, fondateur de cet organe. C’est la naissance d’une belle et longue amitié avec le Grand Mawdo qu’il évoque avec émotion.

Ses rapports avec l’Islam

« Mon cheminement avec l’Islam est dans une certaine mesure celui de la plupart des jeunes de ma génération issus des grandes villes du pays. L’école coranique avant l’école française, tous les jours de la semaine sauf le jeudi. »

Ce cheminement va continuer de façon tout aussi classique : l’école française au primaire, puis au secondaire, tout en poursuivant les études coraniques le jeudi et le dimanche, « et bien entendu pendant les grandes vacances ». Mais avec l’adolescence, les distractions de tous ordres (compétitions sportives, cinémas, matinées et soirées dansantes…) l’éloignent sensiblement du religieux, « même si, sous l’œil vigilant des parents on continue à prier ». Et ce ne sont pas les séjours à l’étranger qui vont améliorer la situation. Le comble, c’est que, comme pour la plupart des disciples des daara des grandes villes, « la formation à l’école coranique que j’ai connue à l’époque se réduit au jangu gumba (njàngu gumba), c’est-à-dire apprentissage par cœur et récitations de versets du Coran sans en connaître le sens. »

Mais avec l’âge, les choses vont changer. Et c’est l’occasion de se rappeler la citation d’un écrivain français, Alexis Carrel que notre auteur nous reproduit : « Un peu de philosophie éloigne de la religion, beaucoup de philosophie y ramène ».

Par la grâce donc d’une prise de conscience nouvelle, Makhtar Diouf s’initie à la langue arabe, achète des livres et se rapproche des érudits islamiques. Dans les années 70 à Paris même, il fréquente un groupe d’amis, des compatriotes portés vers la religion, dont certains sont des arabisants. Rentré au pays, il approfondit ses connaissances par des études plus pointues : « Je suis ce tafsir…, le Coran en mains pendant 13 ans sans interruption de 13 h à 17 h. »

Makhtar Diouf sera même parmi les membres fondateurs du Cerid (Cercle d’études et de recherches ’’Islam et Développement’’), mouvement qui, à l’époque avait polarisé bon nombre d’intellectuels de ‘formation occidentale’ mais très motivés par la question religieuse, islamique : « structure permanente et de veille très encouragée par Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh et Serigne Madior Cissé de Saint-Louis. »

L’économiste émérite poussera son engagement jusqu’à mener de façon approfondie l’étude de la zakat ; ce qui lui vaudra de donner des cours et des conférences sur le sujet dans le pays et à l’extérieur, en Afrique et dans les pays arabes. Enfin, il effectuera les pèlerinages de la Oumra et du Haj.

Pourtant « l’intellectuel insoumis » n’est jamais loin ; même en matière religieuse, il a son mot à dire. Son mot pour dire, honnêtement, ce qu’il n’apprécie pas :

« Il est certaines pratiques de l’Islam, ici à Dakar, dont j’ai du mal à m’accommoder. Comme ces appels répétés, parfois agressifs, à la prière du matin, souvent deux heures avant la prière, avec des haut-parleurs réglés au maximum. »

L’intellectuel qu’il est ne se contente pas d’exprimer ses états d’âme, il les fonde sur des sources coraniques ou historiques qu’il ne manque pas de développer. Comme sa profonde conviction religieuse qu’il puise de la vérité du livre sacré :

« Je peux dire que mon ancrage permanent dans l’Islam s’explique par le constat de la véracité du message coranique. »

Enfin, l’auteur, sur le point de clore cette partie autobiographique de son œuvre, abordera ses rapports avec Cheikh Anta Diop.

Sa relation avec Cheikh Anta Diop

Il est tout de même remarquable que l’éminent égyptologue soit la seule personnalité universitaire et/ou politique à qui Makhtar Diouf dédie un chapitre à part dans cette partie autobiographique de son ouvrage :

« La dimension intellectuelle de Cheikh Anta Diop est telle que l’ayant connu, je ne puis manquer d’évoquer les rapports que j’ai entretenus avec lui. »

Pourtant Makhtar Diouf ne connaît personnellement Cheikh Anta Diop que sur le tard, en 1980, c’est à dire six ans seulement avant la disparition de ce dernier.

« C’est au lycée Van Vo où il a lui-même fait ses études secondaires, que nous entendions parler de lui, sans l’avoir jamais vu. »

C’est donc bien plus tard qu’un de ses collègues l’accompagne à une rencontre que Cheikh Anta organise à son domicile avec les jeunes universitaires de son parti, le Rassemblement National Démocratique (RND) :

« Nous avons tout de suite sympathisé et j’ai vu qu’il me connaissait : du fait de mes articles de Ande Sopi, et par ceux de mes étudiants militants de son parti qui lui parlaient de mes cours ’’Intégration des économies africaines’’ dans lequel son nom revenait souvent. »

Le savant se montra « ravi de l’existence d’un tel enseignement à l’Université », mais le chargé de cours à l’Université qui portera plus tard le nom de l’égyptologue ne s’en arrêta pas là :

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« … Si bien que chacun de mes étudiants de 4e année a son livre (Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire), je dirai même son manuel, car tout à fait conforme à l’esprit de mon cours. »

Cependant, Makhtar Diouf demeure réfractaire à « tout embrigadement dans le carcan d’un parti politique » ; mais cette fois-ci, « l’insoumission » n’aura pas l’occasion de se manifester :

« Je n’adhère pas au RND, ce qu’il (Cheikh Anta) ne m’a jamais demandé, mais je continue à le rencontrer dans son bureau du laboratoire Carbone 14 de l’Ifan. »

Ceux qui ont connu Cheikh Anta Diop ne seront pas surpris par ce comportement à la fois de courtoisie et de réserve, voire de pudeur.

Il est aussi remarquable de noter qu’Abdoulaye Wade, leader du PDS, avec qui l’auteur entretenait le même commerce, par des rencontres fréquentes à son bureau, observait un comportement identique, n’ayant jamais demandé à Makhtar d’adhérer à son parti.

Quant à Cheikh Anta Diop, il acceptera de préfacer l’œuvre de son jeune collègue, Intégration économique, perspectives africaines : « Il en est d’autant plus ravi que dans la conclusion de son livre Les fondements…  il avait formulé le souhait qu’un jour, de jeunes économistes africains viennent le compléter en apportant une touche plus économique au problème de l’intégration régionale africaine. »

Et… un vendredi de 1986, Makhtar, souffrant, se rend au bureau de Cheikh pour s’excuser de son éventuelle absence à une table ronde prévue le lendemain (nous sommes en février, et non ‘mars’) :

Mais le bureau est fermé alors que c’est toujours à cette heure que je l’y rencontrais. Je rentre à la maison me coucher, et au début du journal parlé de 20 h de Radio Sénégal, la nouvelle tombe : le décès du professeur Cheikh Anta Diop. Au moment où je frappais à la porte de son bureau vers 17 h, il était à la morgue de l’hôpital Fann, ayant été terrassé par une crise cardiaque vers 15 h à son domicile… Géant du savoir, il l’était.

En guise de conclusion

Dans mon micro-univers d’intellectuel insoumis : rarement le titre d’un ouvrage aura si bien reflété son contenu. De la première à la dernière page de cette autobiographie, nous découvrons la qualité d’un intellectuel dans le sens plein du terme – celui-là qui pense son milieu et le monde, dans le passé et le présent, comme dans le futur ; avec le bonheur d’une fécondité rare, à même d’accoucher le devenir de l’espèce humaine, en corrélation avec le développement de sa société.

Un intellectuel, certes, mais de la race des « insoumis », ces anticonformistes positifs qui questionnent incessamment leur société pour lui faire accoucher le meilleur. Ceux-là ne peuvent pas se « contenter » de l’existant contre lequel ils sont en perpétuel combat. Pour le transformer, comme Marx l’aurait voulu, mais aussi pour le nourrir de sa spiritualité, comme Marx ne l’aurait pas imaginé. Mais comme l’aurait sûrement aimé Cheikh Anta Diop.

La deuxième partie du livre est consacrée aux écrits de l’auteur, sous le titre : Interventions sur l’actualité économique. En termes de volume elle est de loin plus importante que la première, réservée à l’autobiographie, et que nous avons pris le parti de présenter en détail, au vu de la qualité qu’elle recèle.

Cette qualité n’est pas seulement liée à sa teneur, qui en fait une mine d’informations et d’idées. C’est qu’elle révèle le talent d’une belle plume, qu’on a plaisir à lire – sans hâte. Et cela, en dépit de quelques coquilles relevées çà et là.

Pour la compilation de ses écrits que l’auteur nous sert volontiers dans la deuxième partie, nous nous contentons, ici, d’indexer quelques titres à l’attention du lecteur friand de connaissances et qui ne manquera pas de s’en abreuver.

Interventions sur l’actualité

Ces interventions sur l’actualité portent certes, sur les questions économiques, mais embrassent également de nombreux autres domaines, fort variés : la géopolitique, la politique intérieure sénégalaise, la religion et le sport, sans compter les hommages rendus à Raymond Barre (2007) et au Grand Mawdo Mamadou Dia (2009).

Ainsi sur les questions économiques, les textes ci-dessous ont particulièrement retenu notre attention :

  1. Le socialisme africain de Senghor : ni socialisme ni africain (1976)
  2. Patriotisme économique et mondialisation (2010)
  3. À propos des A.P.E. (2007)
  4. Séparatisme et réalisme : leçon d’ailleurs (2oo5)
  5. Le Nepad n’est pas un document africain (2006)
  6. Problématique de l’État-nation (2013)

S’agissant de la politique intérieure sénégalaise, on peut relever, entre autres, les titres ci-après :

  1. Candidature de Wade : du côté des valeurs éthiques et démocratiques (2012)
  2. Acte III de la décentralisation : l’ombre de Cheikh Anta Diop (2014)

À propos de la religion, nous nous sommes surtout arrêté sur les articles relatifs à la laïcité et sur un autre ayant fait l’actualité au Sénégal et soulevé les passions : la réponse courtoise et argumentée à l’ouvrage du Professeur Oumar Sankharé :

  1. Éclairage sur la laïcité (2000)
  2. Laïcité : l’éclairage continue (2001)
  3. Le Coran et la culture grecque

obeye@







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