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Bachir Diagne, Facteur D’universel

Dans le fagot de la mémoire de Souleymane Bachir Diagne, qui est à la fois un voyage intellectuel, spirituel et personnel, il y a naturellement une étape chez le philosophe Edmund Husserl, qui nous parle de «fonctionnaire d’humanité». De façon très freudienne, Souleymane Bachir Diagne ne se rend pas compte qu’il a inconsciemment réalisé son rêve d’enfant : être facteur parce que son père et sa mère travaillaient à la Poste (les Ptt) et «de tous les postiers, c’était celui qui portait uniforme». Ce rêve, né à Ziguinchor où il a passé son enfance, est devenu réalité parce que si Husserl parle de «fonctionnaire d’humanité», Bachir est devenu un facteur d’universel et d’humanisme.

De Saint-Louis où il est né et où sa sacoche de facteur fut remplie des valeurs de la vieille ville, il part distribuer le courrier de la convergence spirituelle au monde. Pour Bachir Diagne, «en deux mots, être Saint-Louisien, c’est une culture faite d’une tolérance qui n’est pas condescendance, mais sens du pluralisme». Le facteur armé de cet esprit de Saint-Louis, comme Montesquieu parlait d’esprit général d’une Nation, part distribuer le courrier, partager la bonne nouvelle à Paris, Bayreuth, Dakar, Chicago et New York. Quand on est nourri de la sève de cet esprit de Saint-Louis, «la ville du fanal le 15 août et de la mosquée dont l’un des minarets abrite une cloche», on est forcément à la fois singulier et universel, enraciné dans un «islam lettré, rationnel et ouvert», mais aussi ouvert au monde. Le Président Senghor, qui a fait lire à la radio et à la télévision nationale la nouvelle de l’admission de Souleymane Bachir à Normale Sup avec sa civilisation de l’universel, est très proche de cet esprit de Saint-Louis que notre facteur propage dans un monde meurtri par le choc des civilisations et les entrepreneurs identitaires.

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Cet esprit de Saint-Louis qui permet à notre facteur d’être concomitamment «althussérien et soufi», comme le qualifie la philosophe Catherine Clément, de passer sans transition et en toute symbiose de l’Indien Mohamed Iqbal au Français Bergson, ou comme on aurait dû le pressentir chez l’élève de Van Vo qui remporte le concours général en latin-grec alors qu’il est en Terminale C (S aujourd’hui). Naturellement, quand elle est facteur d’universel et d’humanisme, la question de l’identité devient centrale dans un monde pris en otage par les entrepreneurs identitaires et les extrémismes de tous bords, la question de l’identité devient fondamentale. L’identité chez Bachir n’est pas meurtrière comme le pense Maalouf, mais «elle s’éclaire si l’on pense d’abord à celle du devenir. Qui je suis se découvre dans la réalisation de qui je dois être et dans la fidélité à soi est dans le mouvement de ce devenir». Cette conception dynamique et non sclérosée ou figée de l’identité, digne de l’Allemand Fichte, «être ce n’est rien, devenir c’est tout», devrait être le leitmotiv des Africains et des musulmans qui passent leur vie devant le mur des lamentations ou se réfugient dans la tradition.

D’ailleurs, le facteur nous invite à lutter «contre l’autorité de la tradition», en s’appuyant sur «une analyse du doute comme Ghazali», parce que, dit-il, «les temps qui changent ne sont pas l’ennemi de la religion, mais la condition de l’approfondissement continue de la réalisation de sa promesse» ; d’où la croisade intellectuelle de Professeur facteur de présenter aux étudiants «l’islam comme une tradition intellectuelle et spirituelle que l’on peut questionner».

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L’Afrique et la philosophie islamique sont deux centres d’intérêts de l’auteur ; d’où l’étape incontournable de Tombouctou où «Aristote était enseigné avant l’arrivée de l’explorateur René Caillé», mais aussi la rencontre avec le grand écrivain Kenyan Ngugi Wa Thiongo en Allemagne, qui a pour ambition de «décoloniser l’esprit» grâce à une «pensée décoloniale», en d’autres termes «répéter après Césaire que mettre en question une universalisation qui ne serait que manifestation d’un exceptionnalisme européen. C’est inviter à marcher vers la ‘’pluriversité’’». Cette «pluriversité» renvoie encore à cet esprit de Saint-Louis, à la fois insulaire et universel.

Quand on ferme le livre, on comprend pourquoi il s’ouvre avec «quand la mémoire va chercher du bois mort, il ramène le fagot qui lui plaît». Bachir a ramené le fagot de sa mémoire qui lui plaît. Ce fagot de Bachir est au Sénégal ce que le Parthénon est à la Grèce, c’est-à-dire un vestige dans un Sénégal où la culture et le débat d’idées sont en état de décomposition. Le livre de Souleymane Bachir Diagne est très dense, mais ces lignes sont le fagot de ma lecture. Naturellement il y a d’autres fagots, mais j’ai ramené celui qui me plaît.

*Le Fagot de ma mémoire de Souleymane Bachir Diagne







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