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Du Massacre De Thiaroye À La RÉhabilitation Des Harkis

Du Massacre De Thiaroye À La RÉhabilitation Des Harkis

Montpellier et l’avenir de la France-Afrique 

La Conférence Afrique-France qui s’est tenue le 8 Octobre 2021 à Montpellier en France avait pour objectif, selon la volonté du président Emmanuel Macron, de « redéfinir ensemble les fondamentaux « de la relation entre la France et l’Afrique. Dans cette perspective, il a été beaucoup question d’un débat direct entre le président français et les jeunes africains venus d’Afrique ou appartenant à la diaspora. Cette rencontre dans la forme et dans le fond suggère quelques interrogations et réflexions.

Un président français et des jeunes africains

La question des fondamentaux de la relation France-Afrique peut-elle être confiée à la seule appréciation de la jeunesse africaine, alors que leurs gouvernements en plus d’un demi-siècle n’ont pas pu les faire évoluer ?

Peut-on imaginer des changements dans cette relation sans la jeunesse française dont la discrétion durant ce sommet nous a laissé dubitatif ?

Enfin, les difficultés dans la relation entre la France et l’Afrique ne découleraient-elles pas d’avantage du passif ou du déficit mémoriel, du refoulé et de l’enfoui de l’histoire coloniale plus que de certaines questions conjoncturelles ? À cet égard, dans ce passif douloureux, il nous a paru utile de relater, ne serait-ce que brièvement, l’histoire du massacre de Thiaroye en Décembre 1944.

Thiaroye 44 un passif mémoriel non apuré

Le 1er décembre 1944 à l’aube, les tirailleurs sénégalais qui revenaient des camps de prisonniers de l’Allemagne nazie, étaient regroupés en ordre au camp de Thiaroye dans la banlieue de Dakar capitale du Sénégal. Ces soldats qui revenaient des terres lointaines d’Europe pensaient en allant répondre prestement à ce rendez-vous qu’ils allaient recevoir leur rappel de solde qu’ils réclamaient à la hiérarchie militaire. En lieu et place de la solde qu’ils attendaient, sous le prétexte qu’ils avaient fomenté une mutinerie, l’armée pour laquelle ils avaient combattu, ouvrit le feu sur eux. De nombreux tirailleurs furent tués ou blessés. Ce fut le massacre de Thiaroye.

Tel fut l’accueil sanguinaire réservé à son retour en Afrique, par l’armée française, au premier contingent de tirailleurs sénégalais libérés par les alliés. Cette page sombre de l’histoire coloniale de la France a vite été refermée et rejetée dans les poubelles de l’histoire coloniale. Ainsi jusqu’à ce jour, nul ne sait qui sont les victimes et quel est le nombre exact de tués et où ils ont été enterrés.

Après les efforts d’exhumation de cette histoire par le valeureux cinéaste sénégalais Ousmane Sembène avec son film, Thiaroye 44 et les nombreuses publications d’intellectuels parmi lesquels l’universitaire française Armelle Mabon, il aura fallu attendre la visite du président Hollande au Sénégal en Octobre 2012 pour faire un pas dans ce sens en ouvrant une partie des archives et en reconnaissant qu’il s’agissait d’un massacre et non de la répression d’une mutinerie.

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À cet égard, dans la logique de ses propos, il nous semble important que le président Macron fasse le nécessaire pour aider à clore ce douloureux dossier en déclassifiant l’ensembles des archives concernées et en créant, en coopération avec le Sénégal, un comité d’experts à cet effet.

Dans la relecture du roman national français, cela devrait être un devoir, une exigence morale de reconnaitre la singularité du traitement inhumain subi par ces tirailleurs sénégalais comme cela vient d’être fait très justement pour les harkis.

La réhabilation des harkis, une voie prometteuse

Comme en écho lointain au massacre de Thiaroye, le président français Emmanuel Macron a estimé que la France « a manqué à ses devoirs envers les Harkis, leurs femmes, leurs enfants. Le président français a tenu à rappeler à cette occasion que plus de 200 000 Harkis avaient porté les couleurs de la France pendant la guerre d’Algérie mais l’accueil qui leur fut réservé en France fut indigne du pays. En effet, ajouta-t-il la moitié des Harkis fut parquée dans des camps.

Le président Macron a soutenu que pour ceux-là et leurs familles « ce fut un abandon « de la part de « la France qui leur a tourné le dos ». En considération de tout cela, le président Macron, au nom de la France a demandé pardon aux Harkis.

Cette posture découlant d’une analyse sans complaisance d’une douloureuse réalité marque incontestablement un tournant dans l’attitude de la France par rapport à son passif colonial.

En effet, la refondation d’une diplomatie africaine de la France passe nécessairement par une reconnaissance du passif et un redressement du déficit mémoriel grâce à une relecture partagée de l’histoire coloniale.

Éric Zemmour ou la France sans les africains

L’Afrique doit savoir avec lucidité que la relecture de l’histoire coloniale de la France se heurte et se heurtera pour longtemps encore à une résistance ancienne et transgénérationnelle qui a aujourd’hui comme figure de proue Éric Zemmour, un homme cultivé qui sait comment profiter de la naïveté ou de l’ignorance de certains Français pour élargir son auditoire en flattant leur égoïsme ou leur nationalisme.

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L’histoire coloniale de la France, faut-il le rappeler, a toujours été marquée par la volonté du pouvoir central d’occulter la réalité historique par le déni et parfois par la négation qui ont empêché la population française de connaitre la réalité.

Cette ignorance de son histoire coloniale a généré dans une partie de la population française un mépris atavique, condescendant à l’égard de tout ce qui concerne l’Afrique et cela peut s’observer dans tous les domaines et dans tous les milieux. Ainsi, pour beaucoup de français, de tout temps, l’Afrique ne peut rien apporter à leur pays.

Pour l’école de Zemmour, l’Afrique qui va continuer à plier sous le poids de la démographie galopante ne se développera jamais. Dès lors, la France à qui elle ne peut rien rapporter doit être ferme et se protéger contre son envahissement par les hordes d’immigrés africains et refuser de demander pardon pour un passé colonial civilisateur qui a plutôt beaucoup apporté à ce continent. Cependant, cette position est loin d’être partagée par une importante partie de la société française.

 Emmanuel macron et la nouvelle diplomatie africaine de la France

Le président français dans ses différentes initiatives a semblé plutôt vouloir inviter les responsables politiques français, voire l’ensemble de la population, a une relecture plus humaine et plus pragmatique de l’histoire de France, à la lumière des valeurs qu’elle a cherchée à universaliser, que sont la liberté, l’Egalite et la fraternité.

Emmanuel Macron, dont les différents discours sont le reflet d’une grande cuture, est conscient que la position de la France dans le monde est intimement liée à l’histoire de son ex-empire colonial et que pour mobiliser l’Afrique, courtisée de partout par des puissances de tous les continents, il faut toucher le cœur de son peuple grâce à l’évocation positive de son Histoire partagée avec la France.

En ce sens, Emmanuel Macron a pris de nombreuses initiatives qu’il convient de saluer, dont les dernières en date sont la rédaction du rapport confiée au professeur Achille Mbembé qui peut être une source d’inspiration pour la nouvelle génération et le « le sommet de Montpellier ».

Mais avant cela, en 2017 lors d’un voyage en Algérie, il déclarait que la colonisation de ce pays par la France est un crime contre l’humanité. Élu président, lors du 70e anniversaire du débarquement en Province, Emmanuel Macron magnifia le pacte de sang qui liait la France et l’Afrique et invita les maires de France à tout mettre en œuvre pour pérenniser cette relation par des symboles forts dans leurs différentes localités. Dans la foulée, il confiait à Benjamin Stora la rédaction d’un rapport sur le passé colonial en Algérie et à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr le soin de rédiger un rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain dont les recommandations sont en train d’être mises en œuvre.

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Associer la jeunesse française

Toutefois, si le président Macron veut réussir la redynamisation souhaitée de la relation entre la France et l’Afrique, il doit persévérer dans ses actions de relecture de l’histoire de France en se donnant les moyens d’y intéresser et d’y associer la jeunesse française. À cet égard, le fonds prévu pour la démocratie pourrait plutôt servir au rapprochement entre les jeunes d’Afrique et de France.

Le président français doit faire comprendre à sa jeunesse et à son peuple que certains de ces jeunes africains qu’il avait en face de lui sont des descendants de ses valeureux soldats indigènes qui composèrent la première « armée noire » baptisée « tirailleurs sénégalais » qui, sous l’autorité de Louis Faidherbe, gouverneur du Sénégal, ont posé les bases de l’ex-empire colonial sans l’existence duquel on ne parlerait pas aujourd’hui de relation France-Afrique ou de Francophonie.

Ce sont ces mêmes tirailleurs sénégalais, des décennies plus tard, qui sont morts pour la « France mère patrie » au chemin des dames avant d’affronter moins d’un quart de siècle plus tard les forces de l’Allemagne nazie pour la libération de la France

 Pour une rencontre des jeunes africains et français

Le Président Macron avait souhaité entendre la jeunesse africaine sur sa volonté de redéfinir les termes de la nouvelle politique africaine de la France, celle -ci s’est exprimée devant lui.

Afin que ce débat ne soit pas unilatéral, Macky Sall, président du Sénégal, première colonie de peuplement de la France en Afrique, pourrait légitimement prendre l’initiative, lors de son prochain mandat à la tête de l’UA, pour réunir à Dakar des jeunes français et africains afin de continuer la relecture de leur histoire coloniale commune.

Ces jeunes africains appartiennent à un nouveau monde globalisé et connecté. Ils sont très informés de ce qui les intéresse et ils vivent au même rythme que la jeunesse d’Europe ou d’Amérique avec les mêmes grilles d’interprétation de la réalité Cette jeunesse venue d’Afrique a été le porte-parole de peuples qui méritent considération et respect.







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