Le classement du Gabon en termes de PIB par habitant ayant particulièrement retenu notre attention, nous avons voulu nous attarder sur les implications de cet indicateur. Ce pays a été classé comme le 2ème pays le plus riche d’Afrique derrière l’Afrique du Sud si l’on rapporte son Produit intérieur brut (la valeur de la production finale du pays) au nombre de ses habitants. Cela veut dire que le Gabonais est individuellement et potentiellement l’un des plus riches d’Afrique si sa richesse était également répartie. Cela conduit à s’interroger sur la pertinence des indicateurs comme le PIB (et son taux de croissance) utilisé par les partenaires au développement et autres agences de notation pour « ranger » les pays selon les quantités de richesses qu’ils produisent, sans pour autant renseigner sur les effets induits sur le niveau de vie des populations concernées. Or, du point de vue de l’individu, il est certain que la finalité du développement économique c’est le mieux-être social.
Aussi, le développement économique doit-il se traduire par la couverture primaire de ses besoins essentiels de santé, d’éducation, de logement décent, de nourriture, d’accès à l’eau et à l’électricité et d’espérance de vie. Il est également entendu que, pour qu’il y ait développement économique, il faut une augmentation continue de la richesse nationale et dans un environnement permettant la densification du tissu économique, dans un processus de croissance issu d’une interconnexion des divers secteurs économiques.
Si la croissance et le développement sont synonymes de création de richesse, le bien-être, qui est la finalité de l’action humaine, dépend, quant à lui, de la bonne répartition de cette augmentation de la richesse produite sur l’année. Par conséquent, la mesure de la richesse la plus pertinente au regard de cette finalité serait non pas le PIB, qui permet de mesurer la puissance économique d’un pays, mais plutôt la mesure de sa répartition potentielle et effective sur les habitants du pays. Pour s’enquérir de la répartition factuelle de ce surcroît de richesse annuelle, le PNUD a défini l’IDH, ou indice de développement humain. En termes d’IDH, le classement établi en 2019 sur le continent se présente ainsi qu’il suit. Les pays les mieux classés sont dans l’ordre : Seychelles, Maurice, Algérie, Tunisie, Botswana, Libye (en guerre).En Afrique subsaharienne, le premier du classement est l’Afrique du Sud (7eme) suivie du Gabon (8eme) devant l’Égypte, le Maroc, le Ghana (16eme), le Nigeria (25ème); la Côte d’ivoire et le Sénégal (respectivement 32ème et 33ème).
La particularité à noter est que le Nigéria, premier pays de la région en termes de PIB, est devancé par le Gabon sur le plan du potentiel de richesse par habitant. Le Niger est le pays ayant l’IDH le plus faible au monde, devant la Centrafrique et le Tchad. L’indice de développement humain renvoie à la notion de pauvreté. Un débat s’est récemment tenu sur le niveau de pauvreté du Sénégal, à propos des statistiques de l’ANSD chiffrant le nombre de pauvres de notre pays à 6 000 000. Ce chiffre, en valeur absolue, a finalement été validé par le ministre de l’Economie qui avançait cependant que, rapporté à la démographie, le nombre de pauvres avait baissé. En toutes hypothèses, il demeure constant que la pauvreté est une réalité dans notre pays, et que seule la croissance continue de la valeur ajoutée nationale (en particulier de l’emploi), générée par la transformation industrielle de nos matières premières peut en assurer l’éradication progressive, si toutefois une politique de répartition équitable de la richesse nationale est assise. Le Sénégal bénéficie de l’avantage d’avoir un grand nombre de ses fils en émigration, pourvoyant aux besoins de consommation courants des populations à la place de l’Etat, avec des montants de transferts annuels supérieurs à l’aide au développement. Dans le cadre de sa politique sociale, l’Etat a mis en place des « filets de sécurité sociale ».
Il s’agit des bourses de sécurité familiales dont bénéficient 3 millions de personnes pour un montant de 35 milliards de francs CFA prévu pour le budget de l’année 2022, auxquelles s’ajoute un fond annuel dédié à la Couverture maladie universelle pour 20,1 milliards de FCFA, soit au total 56 milliards de FCFA pour atténuer les effets de la pauvreté. Rapportés au budget global 2022, estimé à 5.160 milliards FCFA, ces budgets sociaux représentent environ 1 % du total des dépenses de l’année en question. Si ce chiffre était avéré, il traduirait une profonde sous-estimation des besoins des plus démunis. Les Sénégalais ne s’y trompent guère. La dégradation des services publics de santé conjuguée aux frais et honoraires des structures privées, les lourdes charges de la scolarité des enfants, la flambée des loyers et charges locatives, la hausse des prix des denrées de première nécessité ont fini par se traduire par une précarité sociale loin de refléter les chiffres de croissance brandis comme l’assurance d’une vie meilleure. Dans la vie de tous les jours, on remarque plutôt des rangs de plus en plus serrés devant la vendeuse de couscous du soir. Dans ce contexte, l’expression « la croissance ne se mange pas » des populations prend tout son sens. En définitive, l’examen de la question montre que le PIB est un indicateur qui renvoie plutôt à la puissance économique et financière alors que le PIB par habitant s’intéresse au potentiel de richesse à répartir.
Pour repartir plus, il faut gagner plus. Il s’agit de gagner des parts de marché économiques sur le marché international et, pour cela, il faut de la diversification productive, de la transformation agro-industrielle pour accroître la valeur ajoutée, un secteur privé entreprenant et un secteur bancaire non répressif, n’évinçant pas ce secteur privé dans la distribution de crédit au profit d’États budgétivores finançant le déficit budgétaire structurel par émission de titres. L’indice de développement humain, bien qu’imparfait, va plus loin en identifiant et mesurant l’évolution des besoins essentiels sources de bien-être de l’individu. Dans notre pays, le PSE a été le référentiel des politiques publiques de la nouvelle alternance, en particulier en matière économique sans pour autant créer de l’emploi, faute de transformation structurelle de l’économie. Or l’emploi est le principal canal de la diffusion du progrès social, mais aussi le meilleur levier du développement humain. Prendre en compte le financement des PME et éviter le « syndrome du pétrole tchadien »
La mise en place annoncée d’un programme de 450 milliards sur 3 ans pour lutter contre le chômage des jeunes et des femmes renseigne sur l’appréhension par les pouvoirs publics de la gravité de la situation. D’ailleurs, devant la réalité concrète, les discours sur l’économie évoluent. « Tirant les leçons de la pandémie de la COVID-19 et des impératifs de relance de l’économie nationale », les autorités ont réajusté le discours et élaboré le Plan d’Actions Prioritaires Ajusté et Accéléré pour la période 2021-2023 visant les objectifs de réduction de la dépendance au reste du monde à travers, d’une part, l’industrialisation durable et inclusive et, d’autre part, la digitalisation de l’économie, l’accroissement de la souveraineté par le renforcement de la sécurité alimentaire et l’autosuffisance en matière de produits pharmaceutiques, le renforcement de la protection sociale et la promotion d’un secteur privé fort » affirme le ministre en charge du Budget en débat d’orientation budgétaire.
Le délai annoncé est relativement court ; aussi attendons-nous les signaux indiquant les changements d’orientation annoncés. L’Etat doit prendre en charge la question du financement des PME, non privilégié par les banques pour des raisons déjà évoquées. Pour cela, et à notre avis, à la poursuite de la souveraineté, des instruments innovants doivent être mis en place pour mobiliser les ressources financières au profit du « secteur privé national fort ». La création d’unités de financement adaptées aux corps de métiers du secteur informel, associée à des structures de garantie, d’encadrement et de coaching, doit être étudiée avec les concernés. La mobilisation de l’épargne de la diaspora pour le financement PME/PMI pourrait être réalisée via un système de titrisation de bons d’Etat (Trésor) dont les paiements seraient garantis par BCEAO avec des taux d’intérêts attractifs.
Pour l’avenir, l’Etat devrait renforcer la diversification de l’économie pour ne pas se laisser surprendre par l’hégémonie à venir du pétrole et du gaz dont les premières retombées financières sont programmées pour 2023. Cela permettrait d’éviter le « syndrome du pétrole tchadien ».
Le Tchad a connu des taux de croissance du PIB à 2 chiffres (11.3 % en 2003, et 31 % en 2004) du seul fait du pétrole, pour retomber à environ 3 % en 2019. La création supplémentaire de richesse susceptible de découler de cette diversification de l’économie permettrait de jeter les bases d’une répartition plus équitable de cette richesse entre dépenses d’investissements et de couverture sociale. Dans cette perspective, des indicateurs adaptés de mesure de la prise en compte effective des éléments constitutifs du bien-être social sont indispensables.
Abdoul Aly KANE