SenePlus publie à nouveau ce texte de Khadim Ndiaye originellement publié sur Facebook en octobre 2017 dans le sillage de la mort de l’écrivain Yambo Ouologueme.
La mort de l’écrivain malien, Yambo Amadou Ouologuem, le 14 octobre dernier, à l’âge de 77 ans, est presque passée inaperçue.
J’ai toujours été frappé, depuis que je l’ai connu, par la trajectoire atypique de cet écrivain pas comme les autres. Dandy parisien à la cravate toujours bien nouée, cigarette ou pipe à la main, Ouologuem est l’écrivain africain francophone de la fin des années 60. Il devient célèbre et adulé lors de la parution de son livre phare, Le devoir de violence, Prix Renaudot en France en 1968. Ce livre est considéré comme l’un des plus grands ouvrages de la littérature francophone d’Afrique. Contre toute attente, Ouologuem y relevait qu’en plus de la violence coloniale, il existait une violence précoloniale et postcoloniale.
Il crée un immense tollé tant en Occident qu’en Afrique. La lame acérée de sa critique n’épargne personne. S’il dénonce les tenants du pouvoir traditionnel, il n’épargne pas non plus ceux qui voulaient « s’abreuver de culture blanche afin de mieux s’élever parmi les Noirs », comme il dira plus tard.
Léopold Sédar Senghor juge son livre « affligeant » là où Wole Soyinka trouve qu’il minimise les ravages de la colonisation occidentale. Accusé par la suite d’avoir plagié les écrivains André Schwarz-Bart, Maupassant et Graham Greene, Ouologuem a été « démoli » par la critique littéraire. Son éditeur français (Seuil) retire son livre de la vente et s’excuse auprès de Schwarz-Bart et de Graham Greene sans son consentement. Et, pour ne pas calmer les choses, Ouologuem publie l’année suivante un brûlot, Lettre à la France nègre, qui ne fit qu’accentuer la cabale.
Victime d’un ostracisme sournois, il est cloué au pilori par l’establishment littéraire. On sait pourtant, grâce aux travaux récents, en particulier ceux de l’américain Christopher Wise (Yambo Ouologuem: Postcolonial Writer, Islamic Militant), qu’il faisait un travail de réécriture intertextuelle, largement admis de nos jours.
Se sentant incompris et dégouté par tant de cynisme, Ouologuem se coupe littéralement des mondanités. Il retourne au Mali, se retire dans le village de Sévaré, à Mopti et se mure dans un silence monastique. Il renonce à tout : famille, privilèges, carrière universitaire (il fut titulaire d’un doctorat en sociologie, licencié en lettre, en philosophie, diplômé d’anglais), invitations dans les plus grands cénacles, conférences, droits d’auteur, etc.
Lui, le fils de notables dogons, qui s’en prenait à la tradition, se replie dans un milieu traditionnel austère et devint même vendeur de charbon de bois (« jaaykatu këriñ », comme on dit au Sénégal). Lui qui dénonce l’esclavage pratiqué par les Arabes, critiquant même l’attitude d’un Cassius Clay devenu Mohamed Ali, se refugie dans la mystique musulmane et devient même imam.
À l’instar de Ghazâlî qui, en pleine renommée, quitta sa célèbre chaire d’enseignement de la Nizamiyya de Bagdad pour se réfugier dans le silence mystique, Ouologuem tourne le dos au clinquant de la vie et préfère la discrétion. Il renvoie toutes les délégations qui viennent à sa rencontre. Pour l’homme blessé dans sa chair qu’il est devenu, seuls l’isolement et la foi mystique comptent. Sa vérité est désormais ancrée dans le mutisme. Ne dit-on pas que la sagesse va de pair avec le silence ?
En réalité, Ouologuem avait regagné son statut de « sous-développé », celui dans lequel beaucoup auraient toujours voulu le voir. Il en a eu l’intuition. Répondant à la question : « Que feriez-vous si vous aviez le Goncourt ? » Il affirme : « Je respecterais ma réputation de sous-développé ».
Les jeunes écrivains Africains francophones devraient beaucoup méditer la trajectoire de ce grand écrivain d’expression française. Il y a en effet beaucoup de leçons à tirer de son expérience de vie hors norme, de la cabale dirigée contre sa personne, de son silence et de son reclus à Sévaré. Si cet écrivain devenu mystique avait écrit un livre avant sa mort, il serait riche en enseignements sur l’existence, le cynisme, la condition humaine, etc.
Pour son talent, sa sagesse, Ouologuem devrait être réhabilité, sa vie et son œuvre enseignées aux jeunes écoliers d’Afrique. Ce qui serait une bonne façon de lui dire : Yambo « ñoo la gëm » (nous t’aimons).
Immense consolation : du ciel, il veillera sur nous, comme il le dit si savoureusement dans le poème suivant :
« Quand à ma mort Dieu m’a demandé un siècle après
Ce que je voulais faire pour passer le tempsJe lui ai demandé la permission de veiller la nuit
Je suis le nègre veilleur de nuit
Et à l’heure des sciures noirâtres qui gèrent les parages
Lentement je lève ma lanterne et agite une cathédrale de Lumières
Mais l’occident se défie du travail noir de mes heures supplémentaires et dort et ferme l’oreille
A mes discours que le silence colporte
Selon l’usage comme vous savez
La nuit vous autres dormez mes frères
Mais moi j’égrène sur vos songes
La raie enrubannée de la ténèbres laiteuse qui chante
Bonne nuit les petits
Et je prie cependant au nom de l’égalité des droits
Devenue droit à l’égalité
Et je pleure la soif de mon sang sel de larmes
Et vous cependant dormez
Et vous dormez mes frères mais aussi
Le sommeil vous chasse de la terre
Et vous partez pour des minutes de songes
Amplifiés au gonflement de votre haleine ronronnante
Je vous vends gratis des alcools
Que sans savoir vous achetez par pintes quotidiennes
Et retrouvez la nuit transfigurée dans les myriades de feux
Qui rêvent pour vous
Bonne nuit les petits
Je suis le nègre veilleur de nuit
Qui combat des nichées de peurs
Juchées dans vos cauchemars de jeunes enfants que je rassure
Quand s’achève mon labeur sur des milliards de créatures
Mais le monde au réveil va à la librairie du coin
Consulter la clé des songes. »