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Les Coups D’État Des Panafricanistes En Marche ! (pierre Boubane)

« Ce serait une illusion de penser que les militaires sont propres et que les civils sont sales ». Ces propos d’Abdoulaye Bathily sont sans ambages. Historien et témoin de l’évolution de la vie sociopolitique des pays africains, Bathily attire l’attention sur le risque de créer dans nos sociétés deux types de citoyens : les propres et les sales. Les armées qui s’emparent des pouvoirs politiques sont-elles irréprochables ? Nous y reviendrons !

Les uns tombent, les autres résistent

En Éthiopie, le 3 novembre 2021, les rebelles tigréens menacent de faire tomber le régime du Premier ministre Abiy Ahmed. En effet, un groupe des rebelles allié aux Tigréens du TPLF qui combattent des forces progouvernementales dans le nord de l’Ethiopie déclare à l’AFP : « La prise de la capitale Addis Abeba est une question de mois, si ce n’est de semaines ». Abiy Ahmed réussit à contenir la menace (enfin, pour l’instant). Au Soudan la population continue de tomber sous les balles des militaires qui veulent à tout prix garder le pouvoir. A l’ouest du continent, la situation est plus préoccupante. D’abord le Mali, ensuite la Guinée Conakry, puis le Burkina Faso, et enfin, la Guinée Bissau a failli enrichir la liste des coups d’État militaire. Le 1er février 2022, les balles sifflent pendant une bonne partie de l’après-midi à Bissau autour du palais du gouvernement où se tient un conseil des ministres en présence du président de la république Umaro Cissoco Embalo. Surpris par la tournure des évènements, la Cédéao pond un communiqué pour condamner « une tentative de coup d’Etat ». Dans la soirée, le président Embalo, lors d’une conférence de presse, déplore plusieurs morts, au moins 15 victimes. Selon lui les mutins voulaient l’assassiner. Les causes et les conséquences de ces coups de forces militaires diffèrent d’un pays à un autre. Ainsi, dans son bras de fer avec la France, la junte militaire qui dirige le Mali finit par y entraîner tous ses voisins. Ceux-ci sont obligés de prendre position. Ceux qui affichent une once de sympathie envers la France sont accusés par des panafricanistes auto-proclamés de traitrise à la cause africaine. C’est dans l’air tu temps !

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Les militaires légitimes à faire le job

Les raisons qui poussent les militaires à renverser des présidents « démocratiquement » élus varient d’un pays à un autre. Mais toutes se recoupent autour d’une seule : la mauvaise gouvernance, dont la corruption est le symptôme. Aussi, ils sont nombreux les Africains qui pensent que le vrai problème de leurs pays, c’est l’Occident, surtout la France. Elle est accusée, à tort ou à raison, de pratiquer le néocolonialisme en Afrique francophone. Selon eux, la politique française en Afrique est à combattre avec la dernière énergie. Le journaliste Babacar Justin Ndiaye qui a le sens des mots résume cette politique française, de plus en plus, décriée. Admirons la formule : « En Afrique, la France flatte le pouvoir, ménage l’opposant, aide le maquisard ». Justin Ndiaye explicite sa formule : « quelles que soient les secousses et l’intensité des secousses, les intérêts français surnagent ». C’est cette politique que les panafricanistes se donnent la mission de combattre. Et si les professionnels de la politique n’en sont pas capables, parce qu’ils défendent les intérêts de la France, plutôt que ceux de leurs propres populations, alors les militaires sont légitimes à faire le job. Vraiment ? Se rappelle-t-on que dans les années 80-90 les militaires étaient au pouvoir dans nombre de pays en Afrique ? En dehors de l’exception ghanéenne où John Jerry Rawlings a su impulser un vrai leadership démocratique, qui de Lansana Conté à Conakry (1984-2008), Charles Taylor à Monrovia (1997-2003), ou encore de Moussa Traoré à Bamako (1969-1991) a su améliorer le bien-être de ses concitoyens ? L’interrogation est permise.

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Les priorités de l’Union Africaine au calende grecque

C’est dans ce contexte, en tout cas, que Macky Sall, Président de la République du Sénégal prend la présidence tournante de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union Africaine (UA). Pour la quatrième fois dans l’histoire du pays, le Sénégal assure la présidence de l’organisation panafricaine. Ceci après Léopold Sédar Senghor en 1980, Abdou Diouf en 1985 et 1992. Le Président Sall doit présider aux destinées du continent en prenant la tête de l’Union Africaine pendant un an à partir du 5 Février 2022. « C’est un honneur pour le Sénégal mais surtout une responsabilité que notre pays devra assumer en ayant à cœur la défense des intérêts de notre Continent, dans l’esprit panafricaniste qui a toujours animé notre diplomatie », écrit-il sur ses plateformes de communication officielles. Comment Macky Sall va-t-il défendre les intérêts du continent où les priorités et les urgences ne sont pas les mêmes pour tout le monde ? La lutte pour une monnaie commune en Afrique de l’Ouest, en l’occurrence l’Eco, est une priorité ; la Zlecaf qui doit contribuer à la définition d’une politique agricole commune, basée sur la promotion des coopératives agricoles, dans la perspective de professionnaliser les agriculteurs et les agents du secteur informel en vue de l’exploitation des chaînes de valeurs, spécialement dans le milieu rural est une priorité ; la consolidation des acquis en matière de pratiques démocratiques est une priorité ; la lutte contre le terrorisme est une priorité. Hélas, parmi toutes ces urgences, certaines sont déjà polluées par le mimétisme des coups d’État militaires en vogue. La lutte contre la France-Afrique est LA priorité pour les panafricanistes qu’on voit arpenter les rues des capitales africaines à travers des marches de libération du continent, comme ils les baptisent. Tout développement passe par une vraie libération et une vraie indépendance, clament-ils. Seulement cette libération, dans les faits, consiste à quitter le bloc de l’Ouest (Occident) pour le bloc de l’Est (Russie et Chine), pour parler ainsi comme à l’époque de la guerre froide. Drôle comme projet de libération de l’Afrique !

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Les propres et les sales

Depuis un peu plus de deux ans, l’on jette donc aux gémonies des dirigeants corrompus à la solde de l’Occident, de la France plus précisément. Si on reproche à ces dirigeants d’être corrompus, sont-ils les seuls à l’être ? Les sociétés dites civiles et cette jeunesse 2.0 qui est certes bien informée ne l’est-elle pas ? L’historien africain que nous avons cité tout au début de notre propos et pour qui nous avons un grand respect a eu des mots justes, à notre goût : « c’est naïf de penser que les coups d’État militaires régleront les questions politiques et sécuritaires au Sahel. (…) Les militaires sont comptables de la gabegie, du népotisme et de la corruption dans nos États ». A méditer !
Pierre Boubane

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