Mali, Guinée, Burkina… L’Afrique de l’Ouest égrène les coups d’État comme le dévot son chapelet de djalambane. Et il s’en est fallu de peu que la Guinée-Bissau ne rejoigne le cortège des pays membres de la Cedeao frappés par ce variant moderne d’un virus que l’on pensait disparu et qui a brusquement ressurgi en août 2020. Mêmes causes (la mauvaise gouvernance), mêmes effets (la confiscation du pouvoir par des officiers qui usent et abusent de la corde souverainiste et nationaliste pour asseoir leur légitimité comme leur popularité).
L’ancienne puissance coloniale française tient lieu de repoussoir, tandis que la Cedeao est vouée aux gémonies. Une grande partie de l’opinion lui reproche tout et son contraire : sa trop grande sévérité, notamment vis-à-vis du Mali, mais aussi son laxisme à l’égard de certains chefs d’État accusés d’incompétence ou qui s’accrochent à leurs trônes en modifiant les Constitutions. La rue ouest-africaine rêve d’une Cedeao des peuples et fustige donc une institution qui n’incarne rien d’autre à ses yeux qu’un vulgaire syndicat de présidents inféodés à Paris.
Assimi Goïta a franchi toutes les lignes jaunes
L’heure n’est visiblement guère à l’objectivité, à l’introspection, au retroussage de manches ou à la réflexion sur le chemin à emprunter en toute indépendance pour sortir de l’ornière, mais à la recherche de responsables, de coupables et de boucs émissaires. Qu’importe si pour se débarrasser du joug imposé par un maître honni (la France), il faut se jeter dans les bras d’un autre (la Russie) dont rien ne prouve qu’il fera mieux ou se comportera différemment, c’est-à-dire en se préoccupant d’autre chose que de ses propres intérêts. L’objectif est clair : quitter la proie pour l’ombre coûte que coûte. Demain est un autre jour…
La Cedeao mérite-t-elle d’être ainsi brulée sur le bûcher des vanités souverainistes ? L’Afrique de l’Ouest est-elle si mal lotie ? Prenons le cas du Mali, le plus emblématique des trois putschs menés dans la région, et de son chef, Assimi Goïta. De par ses textes et son ADN, l’organisation n’avait d’autre choix que de condamner le coup d’État et d’adopter des sanctions. La junte qui a renversé il y a dix-huit mois le président Ibrahim Boubacar Keïta, puis le président de la transition, Bah Ndaw, a franchi toutes les lignes jaunes.
Elle devait organiser des élections ce 27 février, soit dans un délai qui semblait raisonnable, mais elle a finalement décidé de n’en rien faire. Pas plus qu’elle ne le fera l’année prochaine et les suivantes puisqu’elle table sur une transition de quatre à cinq ans, rien que cela ! En lieu et place, elle gère tout, seule, sans aucune concertation ni gages de bonne volonté. Menace d’emprisonnement les récalcitrants ou les personnalités politiques jugées trop influentes. Fait régner la peur, notamment parmi la société civile ou les journalistes, sommés de courber l’échine et, surtout, de chanter ses louanges plutôt que d’émettre la moindre critique. Le culte de la personnalité devient la règle. Et puisque s’ériger en sauveur de la nation en jouant sur la corde nationaliste ou anticolonialiste et en flattant l’ego longtemps malmené des Maliennes et des Maliens est payant, la propagande tourne à plein régime.
Diatribes populistes
En la matière, la junte a même sorti les orgues de Staline ! Elle est également parvenue à transformer le très opportuniste (il a soutenu puis lâché Moussa Traoré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keïta…) et falot Choguel Maïga, le Premier ministre, en un véritable berserker, ces guerriers-ours de la mythologie scandinave qui, au combat, entraient dans une rage folle qui décuplait leur force et gommait tout sentiment de peur. L’intrépide Choguel pourfend donc à tour de bras la France, la Cedeao, l’Union européenne, les impérialistes, les ennemis du Mali.