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Un Hymne À La Compassion

Un Hymne À La Compassion

Parce que la rumeur lui était parvenue sur son orientation sexuelle présumée, l’iman avait refusé qu’Amadou puisse être enterré au cimetière du village. En manque d’argent, ne pouvant même pas le faire garder à la morgue, voilà sa mère confrontée à la difficulté de veiller sur sa dépouille. Seule, dans un tête-à-tête livide avec son fils unique, elle s’est retrouvée à lui donner le bain mortuaire, à essayer de le protéger des morsures de l’étouffante et suffocante chaleur qui faisait que son cadavre commençait à se décomposer.

Face à ce corps en putréfaction, fruit de la chair de sa chair, l’odeur fétide qui embaumait l’atmosphère cauchemardesque participait à alourdir la désespérante solitude de la maman éplorée. Dans la moiteur de cette nuit obscure visitée par l’horreur, elle se voyait condamnée à dormir, ou plutôt, à veiller le cadavre de son enfant, étendu à même la natte, dans une pièce dépouillée, envahie par l’odeur de la mort, à la merci de parasites de toutes sortes. Des milliers d’asticots, à l’assaut du cadavre, rivalisaient avec une multitude de mouches nécrophages. Y flottait une odeur de charogne.

La mort plastronnait avec une insolence qui s’était délestée de toute humanité, piétinant les espoirs qu’une mère nourrissait à l’ endroit de son fils et qui avaient fondu comme karité au soleil. Désormais, il ne lui serait plus d’aucun secours. Et elle se devait de lui assurer une sépulture. Acculée, sachant que« l’argent rachète tout, même le dégoût », elle s’était résolue à s’attacher les services de fossoyeurs cupides pour enterrer clandestinement son fils au cimetière.

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De ses bijoux confidentiels, elle devait alors se défaire, pour les brader à vil prix. Seulement, tout se sachant, s’entendant, dans un village, même la plus petite toux de l’étranger de passage, elle a été victime de vociférations menaçantes. Au petit matin de ce jour funeste, une foule surexcitée s’était approchée de son domicile, la bouche en feu, déversant des insultes et autres insanités. Au-dessus de leurs épaules était exhibé un cadavre, celui d’Amadou, extrait violemment de son éternité.

Ivre d’elle-même, toute à sa folie furieuse, portée par une audace qui bouscule les limites, la horde sauvage lui a servi cette injonction, cruelle et définitive : « Va enterrer ton goor-jigeen de fils ailleurs ». Un bannissement ! Au fait, Amadou aimait-il les hommes ? Aimait-il les femmes ? Sa maman n’en savait rien. Ce dont elle était sûre par contre, c’était la fierté qui l’habitait. Exemplaire, son fils l’était. Il l’aidait. Elle l’aimait.

Peu lui importait alors l’emballement de la rumeur, inquisitrice, au-delà de la frontière de l’intime. Elle retenait simplement qu’Amadou avait été très tôt confronté à la disparition de son père qui avait déserté la vie alors qu’il n’avait que 3 ans. Qu’elle a élevé seule ce fils unique, se consacrant entièrement à sa réussite sociale. Au moment où ce dernier s’apprêtait à boucler cette année là son cycle universitaire, le malheur s’était invité chez elle par effraction, privant son garçon de cette sépulture et des rites cultuels qui font humanité.

Après avoir refermé la dernière page « De Purs Hommes », continue de nous tarauder cette profanation d’un cadavre soustrait des entrailles de la terre. Puisant son déroulé dans l’actualité brûlante, la construction narrative du roman nous installe ainsi au cœur des relations complexes que la société sénégalaise entretient avec l’homosexualité. Déterrer un cadavre. Le couvrir d’insultes. Lui refuser une sépulture. Nourrir un tel sentiment de puissance et de haine. Toiser ainsi les forces tutélaires. N’est-ce pas interpellant de s’offrir un tel pouvoir dans un Etat démocratique et laïc ? Tel est le nœud de la problématique qui travaille ce troisième roman de Mohamed Mbougar Sarr.

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Bien loin d’une quelconque promotion de ceci ou cela, dans le sillage de ses aînés, « Terre Ceinte (2014)», « Silence du Chœur (2017) », il invite à refuser de s’abîmer dans des certitudes mortifères. Il convie plutôt à une introspection, un retour sur soi, sans lesquels n’est possible aucun recul critique, gage de savoir, d’ouverture, de liberté. D’humanité donc. Ce qui oblige assurément à interroger l’homo senegalensis et à méditer notamment sur les propos du philosophe béninois, Paulin Hountondji, pour lequel en effet : celui ou celle « qui sait, qu’il ne faut pas tuer, qu’il ne faut mentir, qu’il ne faut pas voler ni faire du tort à son voisin, et qui fait de son mieux pour se rendre utile aux autres et à sa société, selon ce que lui dicte sa conscience , vaut mieux qu’une personne qui parlerait tout le temps de Dieu pour chanter ses louanges et prêcher sa parole, mais qui n’aurait aucun scrupule à mentir, à voler, à tuer et à léser autrui de mille manières ».

Porté par la subtilité et la délicatesse d’une écriture touchante et bouleversante, fouetté par l’irruption soudaine et incontrôlée d’une violence bestiale, « De Purs Hommes » est un hymne à la mesure, à la compassion. Un hymne au vivre ensemble. On n’en sort pas indemne.







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