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L’hymne De L’amour

« Ameth Guissé, « Autour d’Anita », roman, préface El Hadji Boubacar Fall et Alassane N’diaye Allou, l’Harmattan Sénégal, 2021, 190 pages.

Ameth Guissé, écrivain sénégalais revient à ses lecteurs et lectrices dans son cinquième roman à travers une histoire d’Amour d’un couple unissant un musulman et une chrétienne. Anita, l’incarnation « de la sainteté et de la générosité » l’héroïne « à la puissance intellectuelle extraordinaire, une culture littéraire phénoménale humiliée », est au centre d’une trahison amoureuse inattendue d’elle, de ses parents, mais également, des proches de la famille du mari infidèle. Catholique, fervente pratiquante, éduquée dans les traditions du respect, de la tolérance, de l’ouverture, de l’acception des différences culturelles entre les croyants des religions révélées, fidèle aux valeurs cardinales religieuses catholiques du mariage, de l’engagement entier, de la solidarité et de la franchise, Anita accepte naïvement de se marier pour le meilleur et pour le pire avec son mari, Meïssa Bigué qui lui doit une dette morale pour ce qu’il est devenu. Ce qui lie Anita à son mari, Meïssa Bigué, c’est la passion peut-être aveugle, mais sincère, de l’amour à une personne aimée, le partage des valeurs morales et éthiques fraternelles indispensables à une vie de famille solide, désintéressée et harmonieuse. Les liens du mariage entre les deux époux seront scellés sous l’empreinte indélébile des usages, cultes et coutumes religieux du pays. Tout laissait se dessinait à l’horizon une entente quasi parfaite du couple, à une vie amoureuse entre le mari et son épouse tant dévouée. Deux êtres condamnés donc à vivre ensemble les épreuves de la vie et ses aléas sociaux, culturels et religieux imprévisibles.

Les méandres d’un séisme conjugal,

Les aléas insondables secrètent subitement une blessure morale, psychologique irréparable qui produira des secousses bouleversant la raison d’être de cette union sacrée par les liens du mariage si souvent précaires dans les sociétés humaines déchirées par des conflits familiaux entre l’épouse et ses beaux-parents, d’une part, entre elle et son mari baignant dans un environnement social, culturel et religieux où l’hypocrisie, le mensonge, les contre valeurs destructrices des liens les plus solides des relations sociales. Ameth Guissé, l’auteur de « femmes dévouées et femmes aimantes » parue voici quelques années conduit ses lecteurs et lectrices à travers les méandres d’un séisme conjugal, d’un tumulte de l’ordre familial aux conséquences insoupçonnées par l’imprudent époux désormais guidé par une nouvelle perception du mariage peu respectueuse de la dignité et du rang de sa chère épouse. Le roman est rythmé par ce conflit grave. De véritables dialogues des consciences se nouent et dénouent « Au tour d’Anita ». L’être aimé perd sa raison. Les pulsions sexuelles prennent le dessus sur les valeurs morales. Quand le sens de l’honneur, du respect de la parole donnée à la femme vole en éclat le drame n’est loin. Le premier dialogue de ce roman met en relief l’importance capitale de l’amitié se nouant entre Anita et une de ses meilleures amies d’enfance, précisément, élise. Le choix de ce dialogue entre les deux amies d’enfance n’est guère anodin, voire accidentel. « Cette  fidélité  s’appelle  Élise  qui,  à  l’annonce de l’accident d’Anita, a décidé de venir passer quelques jours à Dakar, auprès de son amie restée trop seule ». élise sera ainsi au chevet d’Anita malade en raison des liens inébranlables tissés par le passé. élise ne peut « accepter le sort peu enviable de cette fine fleur à l’allure désinvolte chez qui tout rappelle l’innocence ». Les deux amies se rappelleront de vieux souvenirs enfouis dans la mémoire de l’une et de l’autre. Le dialogue des consciences porte singulièrement un cachet philosophique traduisant le niveau intellectuel, culturel et social des deux inséparables amies depuis la tendre jeunesse. La place de la religion en tant qu’idéologie, vision de la société et d’un projet social, le statut de la femme dans la société, font l’objet d’échanges vifs, profond, en toute responsabilité. L’écrivain nous introduit dans la problématique majeure du statut de la femme dans une société dominée par une culture attribuant à la femme depuis Adan et Ève, un rôle bien maigre : la procréation et la soumission. « L’inquisiteur pose le vrai problème de la responsabilité des chapelles religieuses dans l’errance de l’humanité. Les religieux ont relayé les messages des saints non pas pour libérer l’homme,  mais  pour  l’asservir  afin  de protéger leurs positions de rentes » (A Guissé, 2021 : 25). « Maintenant, j’ai compris le Projet de  Dieu.  Il  consiste  à  faire  rechercher  à l’homme  sa  liberté  et  les  moyens  de  sa  liberté » (A. Guissé, 2020 : 26).

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Limites des idéologues religieux

Anita et élise passent au peigne fin l’injustice que subit la femme, les travers de certaines interprétations religieuses abusivement tronquées, les non- dits sociaux, culturels et religieux faisant de la femme une impure pécheresse éternelle au service de l’homme. Ce dernier reste encore l’éternel dominant. Les deux amies déconstruisent des idées archaïques, infondées, préfabriquées par une culture religieuse dominante entretues par des « érudits et des saints ». Entre les lignes de ce dialogue des consciences et d’introspection sociale, on découvre et prend conscience des limites des idéologues religieux plus soucieux du reste de leurs intérêts et fonctions que ceux de la religion, de la fraternité humaine et des fidèles croyants. Le dialogue des consciences reviendra tout au long de l’ouvrage sous des formes variées entre l’héroïne avec elle-même et entre elle et des personnages clé du roman sur l’urgence d’une reconsidération courageuse et intelligente du statut de la femme dans le mariage mixte ou pas et dans le fonctionnement dynamique de la société. La femme est par son essence le complément de l’homme. Elle a joué et continue de jouer une fonction centrale. Elle n’a jamais cessé du reste de participer à l’œuvre de construction humaine par l’éducation, par ses actions multiformes dans le développement et la paix sociale.

Le dialogue des consciences est hissé par Ameth Guissé au rang d’une démarche. Les dialogues se succédant libèrent les passions, les énergies des personnages, oxygènent les esprits et renseignent les lecteurs et les lectrices sur les enjeux d’une réflexion approfondie de la place de la femme dans la société, les évolutions se dessinant à l’horizon des sociétés contemporaines. Par le dialogue, les personnages se parlent par et entre les consciences, échangent, partagent les douleurs, les peines, les souffrances et l’envie de transcender les maux dont souffre l’humain et la société. Les personnages centraux du roman interrogent à travers ces dialogues, les véritables problèmes de société, les enjeux du drame conjugal en question, notamment, l’infidélité, la stabilité de la famille, l’harmonie et les équilibres précaires de la société humaine. On peut citer à titre d’exemple, les dialogues de haute facture intellectuelle entre Anita et élise, les dialogues entre Anita et Saly ou les dialogues entre Anita et le Curé sans oublier du reste, les dialogues entre Anita, Elise et Saly, ou entre cette dernière et Meïssa Bigué. Ces riches moments de dialogues interculturels entre des consciences, avec soi –même ou entre Anita et ses interlocuteurs (trices) constituent des temps forts d’une profonde réflexion personnelle et /ou collective au sujet de questions fondamentales remettant en cause les fondements des sociétés humaines contemporaines. Ce procédé d’écriture littéraire est à la frontière de plusieurs genres : communicationnel, littéraire et philosophique.

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Les parutions de Meïssa Bigué incarnant la lâcheté

Le dialogue fait partie des héritages culturels laissés par les fondateurs de la philosophie grecque et de la littérature. Le dialogue construit à travers des scénarii, des mises en scène et un style descriptif vivant des cadres de vie, des traits des personnages, constitue une véritable démarche méthodique pour rendre compte ce qui passe de l’intérieur et à l’extérieur de l’homme, de la femme, de la société, pour réfléchir, pour libérer l’esprit, le corps et le mental. Les parutions de Meïssa Bigué incarnant la lâcheté, basculant progressivement dans le désarroi total, dans une détresse morale indescriptible cristallisent, l’usage fécond du dialogue avec lui-même, avec sa mère Yaye Amy, avec son exbeau-frère Oscar, (avocat de renom), avec Diégane (médecin), avec Gaëlle sa cousine. Meïssa Bigué est « diminué physiquement et psychologiquement déstabilisé ». Il apparaît toujours fatigué, usé, meurtri, voilé, en situation de manque de quelque chose, de trouble psychologique, social et humain. Il est constamment à la recherche d’un sauveur improbable. Il se parle à lui-même. Il fait son introspection en vue de trouver la personne capable de rétablir la communication avec Anita. L’héroïne, sa famille, les parents du mari imprudent établissent un mur de silence quasi infranchissable par Meissa Bigué. Même quand Mëissa Bigué participe à l’enterrement de son Tonton Mbagnick à SaintLouis, un homme qui lui est si cher, le drame qu’il vit depuis l’accident d’Anita, ne le quitte jamais. Il éprouvera de réelles difficultés à trouver quelqu’un à qui parler, à qui faire confiance pour le sortir du trou noir dans lequel il s’est engouffré en épousant son premier amour. Saly, une des confidentes de Mëissa Bigué, une femme attirante, belle, mondaine, cultivée, expérimentée par son propre vécu du plus vieux métier du monde, sur qui Bigué comptait énormément, va découvrir l’ingratitude de son propre ami. « Tu lui as transpercé » dit- elle « le cœur avec un coup de poignard dans le dos » (A Guissé, 2021 : 39) Saly, « la belle qui lui ouvrait tout son corps avec une générosité de cœur et d’âme, comme seules savent le faire, les femmes éprises d’un fol amour » va être contre toute attente de Meïssa Bigué, en dépit du reste du fait qu’elle ne connaît guère Anita, solidaire de l’héroïne dans son combat contre l’infidélité et la lâcheté humaine.

La solidarité entre les femmes pour Anita, le socle du soutien solidaire

La solidarité entre les femmes sera pour Anita, le socle du soutien solidaire indéfectible des femmes. Même la mère de Meïssa Bigué, Yaye Amy éprouve ce sentiment fusionnel de compassion féministe, malgré son amour pour son adoré fils chéri. Meissa Bigué a tout prévu dans son mariage avec son premier amour Aïda avec la complicité de Maïmouna, sœur de Mëissa Bigué, sauf le processus de sa déchéance sociale et humaine quasi inéluctable. Le monde s’effondre sous ses pieds fragiles. Il se relèvera difficilement de cette épreuve fatale à sa santé physique, morale et psychologique. À côté du dialogue, l’auteur du roman utilise également la Lettre, un autre moyen d’écriture et de communication sociale. Les Lettres les plus importantes sont certainement, celles d’Anita à l’adresse du Curé et d’élise et la Lettre de Meissa Bigué à Anita. Ce procédé d’écriture est très courant dans la littérature.

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Au Sénégal, une si longue Lettre est devenue une référence littéraire africaine. L’auteur évoque d’ailleurs ce procédé chez de nombreux écrivains : Rainer, Victor Hugo, Balzac. C’est par les Lettres que l’auteur du romain livre l’état d’esprit de l’héroïne et du héros, la trame des calvaires endurés par les principaux personnages du roman et les esquisses de solutions envisagées par les deux protagonistes de ce mariage brisé pour dénouer l’intrigue. Le dialogue, la correspondance, les portraits des personnages essentiels se conjuguent chez Ameth Guissé à un travail de recherche pluridisciplinaire très documenté. Ameth Guissé investigue l’histoire coloniale et postcoloniale, l’architecture et la planification et l’aménagement des grandes villes coloniales, les quartiers de Dakar (Gibraltar, Rebeuss, Colobane, Baobab) et ceux de Rufisque (Diokoul). Il agrémente son œuvre par les mets succulents de la cuisine africaine, les lieux mondains sénégalais, africains et européens et la musique de l’esprit. On découvre sa passion de l’écriture, les fruits de sa cherche et la richesse de son roman. Il décline méthodiquement sa vaste culture philosophique, littéraire, artistique, mais également, ses connaissances en matière de musique, d’art contemporain. Cet effort intellectuel référencé par des sources et son talent d’écriture de récits, donnent à son œuvre littéraire une dimension intellectuelle et littéraire indiscutable.

Le Sénégal et le continent africain ont un riche patrimoine religieux, culturel et artistique malheureusement qui se perd progressivement sous l’emprise d’une mondialisation aveugle peu compatible avec les diversités culturelles, religieuses et politiques des peuples et l’art de vivre sa vie pleinement en harmonie avec la nature. Les gouvernants de la Cité et de la Planète -Terre sont interpelés. La vie du couple se brise. Meïssa Bigué sera victime à son tour d’un accident brutal. Anita va ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. Elle attend désormais un hôte. Tout n’est pas perdu. Il existe toujours de l’espoir. « L’amour, c’est surtout l’élégance et une manière d’être où le respect vient consolider les sentiments » (A. Guissé, 2020). Le pardon (autocritique sincère) reste un des meilleurs remèdes à la bêtise humaine, au péché. L’humain ne pose que les questions qu’il sait résoudre. Ameth Guissé, Directeur Général de MAACK Petroleum, Président de l’Association Sénégalaise des Pétroliers, plaide dans son œuvre, l’hymne de l’élégance humaine, le sens du discernement, de la lucidité et du partage des valeurs. Il faut plus de fraternité, plus de tolérance et d’ouverture entre les hommes, entre les hommes et les femmes. Le respect mutuel est une exigence éthique absolue. « Femmes, c’est vous qui tenez entre vos mains le salut du monde » (A. Guissé, 2012 :77).

Le contexte mondial actuel marqué par la monté en puissance de la crise de la famille, des valeurs, des inégalités, de l’intolérance, des intégrismes religieux et politiques et le racisme, exige sans nul doute, des changements profonds des comportements individuels et collectifs face à la menace de la crise des repères sociaux, culturels et religieux. L’amour est une des réponses à cette crise des sociétés humaines. À vos lectures pour l’amour de la femme, du livre et de l’intellect.







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