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A Gauche

C’était mieux avant ! Le débat contradictoire nourrissait la démocratie qui s’enracinait à vue d’œil au Sénégal. Le printemps des idées était florissant. Malheur à ceux qui n’en avaient pas ! Ils se cachaient derrière leur petit doigt ou, faute de mieux, s’alignaient en cédant la place aux « vedettes » d’alors. Nous sortions d’une longue période d’hibernation et, par une conjonction de facteurs, tant internes qu’externes, le Sénégal se débridait petit à petit.

Le président Senghor s’ouvrait au monde et voulait à tout prix accentuer la perspective. Quant aux forces politiques, notamment celles de gauche, elles s’affirmaient et la plupart de ses incarnations étaient de redoutables « têtes d’affiche » qui alliaient savoir, brio, engagement, courage, détermination, intelligence des situations et amour du pays, donc patriotes jusqu’au bout des ongles…

Le temps a fait son œuvre avec ses outrages. Hors d’usage aujourd’hui cette gauche ? Aux oubliettes parce que méconnue des générations actuelles ? Que signifie d’ailleurs « être de gauche » en 2022 ? Elle lutte pour le progrès et contre les immobilismes quand par nécessité, la société doit évoluera en se débarrassant de tout ce qui peut l’inhiber. Elle se fixe un horizon angélique qui ne l’exempte pas pour autant de la prise en charge du réel. Par ce même réalisme, elle apprécie sa propre force à l’aune des autres forces de l’échiquier pour déterminer les rapports.

Sa puissance d’analyse contraste cependant avec sa faiblesse de mobilisation qu’elle compense par ses formidables capacités d’organisation. Les nombreuses alliances qui ont jalonné son parcours en témoignent éloquemment. Par essence la gauche est inventive. Bien que plurielle aussi, elle ne perd pas de vue sa mission première qui est de lutter contre les injustices, sources des inégalités et des situations acquises. Elle s’insurge contre les pouvoirs mais elle ne bouderait pas son plaisir de goûter… aux « sévices du pouvoir ».

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Elle a affronté le régime de Senghor puis celui de Abdou Diouf qui « a regardé le monde » pour accepter de faire des concessions. La brèche ainsi ouverte permit l’élargissement de gouvernements successifs. Elle n’a pas été étrangère à la chute de Diouf en 2000 et l’arrivée triomphale de Abdoulaye Wade au pouvoir.

Pour « services rendus », le président libéral nomme des ministres de gauche dans son gouvernement. Ils apprécient différemment le compagnonnage mais découvrent d’autres facettes de Wade : l’arrogance, l’autoritarisme, les excès de pouvoir et une certaine légèreté dans la gouvernance publique. En se cassant, les ressorts effilochent l’attraction du pouvoir libéral qui s’enlise à mesure que se précise le projet de dévolution jugée monarchique.

Les figures de proue de la gauche quittent le « titanic » qui tangue et s’enfonce.

Pour faire court, Macky Sall présente le meilleur profil à soutenir. La gauche n’était pas loin. Résultat : l’actuel président terrasse son mentor grâce au soutien de l’opposition qui conforte de fait son emprise sur certains leviers d’action. Son étroite marge de manœuvre l’indispose toutefois au sein de cet attelage que pilote non sans habileté l’actuel locataire du Palais présidentiel. Aux dires des gens de gauche, il n’est pas exempt de reproches.

A la différence de Wade qui éjecte en cas de désaccords flagrants, Macky, lui, tue dans l’œuf les dissensions et retient ceux qui le défient. Il ne s’en débarrasse qu’après avoir tout tenté.

La gauche est-elle condamnée à ne tenir que les flancs ? A-t-elle des aptitudes (réelles ou supposées) pour être compétitive sous sa bannière propre ? Les nombreuses alliances qu’elle s’est forgée au gré des époques reflètent-elles des handicaps insurmontables ? Longtemps, elle a joué l’indignation pour se donner un dessein (et un destin ?) plus conforme à sa vision du monde sénégalais. Peut-elle amorcer un nouveau virage qui l’honore et la réhabilite ?

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Le temps est-il venu pour elle de devenir plus pragmatique dans ses choix de vie politique ? Bien évidemment l’émiettement actuel des forces de gauche explique l’isolement des partis qui continuent de s’en réclamer.

A quand le retour ? Autant demander à la grenouille sa queue… ! Car la scène politique sénégalaise s’est renouvelée en s’enrichissant de nouveaux acteurs sans attaches particulières avec certaines traditions de lutte. Pour ceux-ci, seule compte la conquête du pouvoir. Et peu importe les moyens d’y parvenir. Leur irruption sur l’échiquier politique ajoutée à leur singulière irrévérence perturbe l’actuel jeu politique qui ne se donne pas à lire plus aisément.

Un langage outrancier envahit les espaces et les lieux de délibération. Les arguments de force l’emportent sur la force des arguments à l’heure où la gauche (quelle gauche ?) veut renaître.

Le récent livre du Professeur Abdoulaye Bathily vient-il à point nommé ? Sonne-t-il l’alerte ? Ouvre-t-il des perspectives ? L’auteur, figure de proue de cette gauche et fidèle à ses valeurs, a du poids et de l’authenticité pour donner des leçons d’histoire politique. Une gauche introuvable refait surface.

A travers son récent livre « Passion de liberté », Bathily renoue avec le débat en le relançant grâce à une addition de souvenirs qu’il raconte ou révèle parfois même en avouant ou en lâchant des formules révélatrices de sa forme actuelle. S’il est homme de gauche et le reste, est-il alors à la place qui lui sied, l’âge aidant ? Son aîné Amadou Mahtar MBow, 100 ans, s’est mis en retrait.

Bathily serait-il alors le prochain recours en cas de coups durs infligés au pays ? En fin observateur des dynamiques politiques en cours, l’ex-patron de la Ligue démocratique détient une trajectoire que d’aucuns considèrent comme une aubaine pour les jeunes en mal de repères. Le constat qu’il dresse est saisissant. La preuve, du beau monde, nostalgique d’un monde finissant, a répondu avec faveur l’autre samedi à la présentation des mémoires de ce géant de la politique sénégalaise.

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L’historien de renom rejoint la grande perception que la classe politique se dégrade. Ses nouveaux visages, dont Barthélémy Dias et Ousmane Sonko, entre autres, s’affranchissent des codes et adoptent un langage et un ton virils qui leur valent leur popularité actuelle.

Pour survivre face à cette nouvelle faune, la gauche doit-elle opérer une rupture de stratégie ? Se réinventer… ?







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