Les faits sont têtus : la seule et unique élection indiscutablement gagnée par Macky Sall reste à ce jour celle où il a été élu pour la première fois président de la république. C’était en mars 2012 face à Abdoulaye Wade. Et il n’en était pas l’organisateur ! Juillet 2022, le futur chef de l’Etat sortant, réélu en 2019 pour son dernier mandat grâce à une violence politique, administrative et institutionnelle jamais vue au Sénégal depuis les années 1990, est encore à la manœuvre, à l’ombre des élections législatives, les dernières d’une séquence politique soliste entamée en 2008-2009.
L’honneur de notre président, Macky Sall, est là, dans l’extrême bonne organisation de ces scrutins parlementaires du 31 juillet 2022. Nulle part ailleurs. Pour celui qui passe pour être le plus grand des veinards en politique de ces dernières années au Sénégal, est arrivé le moment de laver son honneur, peut-être définitivement, pour le présent et pour la postérité, sur toutes ces accusations à la fois vraies ou fausses qui lui collent à la peau comme de l’ADN. Mais comment ?
Prouver à ses compatriotes qu’il est capable d’accepter de perdre des élections qu’il organise de bout en bout, de fond en comble, si les électeurs sénégalais en décidaient ainsi. Prouver à la face du monde, une fois passée le chaos des listes d’investitures et des jeux troubles d’institutions à sa botte, sa capacité à offrir au Sénégal des scrutins libres, propres et sujets à un minimum de contestations non fondamentales. Prouver au monde entier que les 97 députés des 45 départements, les 53 des listes nationales et les 15 de la Diaspora, élus dans les urnes au soir du 31 juillet, ne seront pas juste un melting-pot de combinaisons frauduleuses crachées par des algorithmes informatiques venus d’ailleurs. Enfin, se prouver à lui-même qu’il n’aura pas été, jusqu’au bout, cette mauvaise blague que le Sénégal n’a peut-être jamais envisagé de placer à la tête du pays après le règne des socialistes et la cavalcade des Wade.
Référendum et…référendum
On a tendance à l’oublier, mais les Sénégalais ont fini par avaler, de leur président, plein de couleuvres depuis 2012, sans toutefois se résigner à le supporter éternellement à la tête du pays. Sa promesse faite en mondovision de réduire son premier mandat de 7 à 5 ans ? Passée par pertes et profits. Ses serments lyriques relatifs à l’instauration d’un Etat de droit sans grande faille ? Envolés. Ses engagements à mettre en place « une gouvernance sobre et vertueuse » ? Rêve. Une reddition systématique des comptes pour tous les responsables d’Etat ? Vieille chimère. L’enrichissement soudain de beaucoup de ses proches ? Broutilles. Les pratiques criminelles autour de passeports diplomatiques et de faux billets de membres de son conglomérat ? Quelques semaines de prison dorée, ensuite plus libres que le vent… Et ne parlons même pas de la cannibalisation des processus électoraux qui lui permet de sélectionner ceux de ses adversaires qu’il souhaite pour lui (présidentielles) et pour ses ouailles (législatives et locales) et dont certains finissent par le rejoindre. Le résultat est conforme à sa perception de la démocratie : trente ans de recul pour une expérience avant-gardiste qui avait pris tant d’avance sur des modèles concurrents. Face à autant de « trahisons », ces législatives valent peut-être référendum.
Aujourd’hui, à 19 mois du terme de son second et dernier mandat présidentiel, le président Sall entretien un suspense malsain sur un avenir politique qu’il a lui-même déjà scellé sous toutes les coutures.
On doit cependant reconnaître au président de la république de n’avoir jamais encore dérogé officiellement à cette promesse du double mandat unique. C’est son silence et ses actes posés sur cette question précise qui ont poussé ses détracteurs à le soupçonner de vouloir arracher en 2024 ce bail supplémentaire auquel il n’a pas droit. Ce sont surtout ses opposants qui ont choisi de transformer ces législatives en un référendum « pour ou contre » cette troisième candidature dont ils l’accusent. Lui accepteraient-ils alors cette nouvelle candidature présidentielle en cas de victoire nette des listes de sa coalition Benno Bokk Yaakaar dans ces scrutins à l’issue incertaine ?
« Sortir par la grande porte »
Ces législatives du 31 juillet sont sans doute capitales pour le Sénégal car, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, une « cohabitation » historique est envisagée entre l’Exécutif incarné par le président Sall et une majorité parlementaire espérée par une inter-coalition inédite formée autour d’Ousmane Sonko et d’Abdoulaye Wade. Les régimes au pouvoir ont acquis une grande expérience dans l’approche des scrutins intermédiaires comme les législatives, mais aussi dans leur prise en charge technique et opérationnelle, surtout avec l’apport inestimable que restent le contrôle de l’appareil d’Etat et l’investissement des personnels politico-administratifs aux quatre coins du territoire national. Des avantages substantiels mais non définitifs qui ne sauraient dissimuler le salutaire rééquilibrage des rapports de forces au lendemain des élections municipales et départementales de janvier 2022 au profit de l’opposition et de sa tête de file, Yewwi Askan Wi.
Après un cycle pré-électoral endeuillé par la mort de plusieurs jeunes sénégalais, le défi majeur que pose ces élections législatives du 31 juillet 2022 est de considérer comme sacrés les choix de nos compatriotes, quels que soient les résultats des urnes. Une volonté populaire librement exprimée et jalousement sauvegardée demeure la seule voie d’accès au pouvoir dans une démocratie, au-delà des imperfections et manquements tolérables dans ce type de consultation. Il faut alors espérer que les futurs députés de notre Assemblée nationale, toutes obédiences politiques confondues, assument la mission critique qui est la leur : exercer un véritable pouvoir de contrôle sur un présidentialisme autocratique qui a pris la mauvaise habitude d’être généreux envers ses serviteurs et impitoyable pour ses contempteurs. Pour Macky Sall, bataille ne pourrait être plus honorable que celle-là car la vie reste possible après la politique.
Une raison de plus pour considérer ces législatives de 2022 comme le premier jalon d’une sortie par la grande porte de l’histoire en 2024. Ses infrastructures lui serviront de témoin, et c’est tout à son honneur. Mais pour ce qui concerne l’Etat de droit, la démocratie et les libertés, c’est clairement la bérézina…