Femme forte ayant du caractère, Mimi Touré était-elle sur le point de former une escouade de fantassins ? S’apprêtait-elle à aller à l’assaut de la citadelle imprenable, sabre au clair ? A son corps défendant, elle avait réussi à susciter un élan de sympathie auprès d’une frange de Sénégalais toujours prompts à donner raison à la « victime ».
Ses sorties millimétrées laissaient des traces et faisaient écho au sort qui se dessinait pour elle, ce mémorable 12 septembre, jour d’installation de la 14ème législature au sein d’une Assemblée nationale complètement transfigurée.
En sentant venir le « coup », elle a désamorcé la frappe en retournant à son avantage, par l’évitement, l’isolement qui l’entenaillait. Ainsi, elle enchaînait les actions d’éclats, les unes plus hardies, les autres moins élaborées, mais toutes orchestrées pour garder l’initiative et … mener l’offensive. Avait-elle prévu l’inattendu dans son scénario ?
Lorsque Macky Sall décide vendredi de s’adresser à la nation, le microcosme politico-médiatique s’enflammait. Par ce seul fait, l’attention se détourne de Mimi. Le contre-feu allumé tient le haut du pavé. Dakar et l’arrière pays tentent d’ébruiter l’intervention télévisée déjà fixée à une heure de grande écoute.
Un condensé de curiosités décale le projet de Mimi et fait décroître son intérêt dans l’opinion désormais portée vers l’annonce que fera le 16 septembre au soir le Président Sall. Ce dernier, sans doute très au fait de ce qui se tramait, dissocie sa démarche de celle de son ancienne collaboratrice et inverse les termes de l’équation politique du moment.
Comment étouffer la démarche de rupture de son ancien Premier Ministre sans la heurter frontalement ? Dans son propos liminaire, il évoque sans ambages la nomination imminente du Premier Ministre pour « porter le combat » de la demande sociale. L’estocade réduit à néant la volonté de Mme Mimi Touré devenue député de la 14ème législature.
Elle a mené, avec allant et tambours battant la campagne des législatives pour le compte de son camp. A-t-elle réussi ? A-t-elle échoué ? Sans voix, elle s’aperçoit en tous cas que son échafaudage s’effondre. La veille et le lendemain, l’allocution du Président occupe les médias et les conversations mondaines.
La vague déferlante, massive et vive, se répand comme une trainée de poudre. Signe évident d’une reprise en main. Celle-ci se traduit par la nomination de Amadou Ba au prestigieux poste de Premier Ministre. La presse, à l’image de Bès Bi Le Jour, dissèque l’arrivée de cette figure de proue de la classe politique et met l’accent sur « la prime de la patience » qui vient le distinguer.
Un retour aux affaires qui ne laisse personne indifférent. L’afflux de commentaires, globalement accommodants, donne la mesure de l’empathie dont bénéficie le nouveau chef de gouvernement, très introduit dans les sphères de la haute finance internationale. Par deux fois, il a dirigé des Ministères de souveraineté, notamment les Finances et le Budget et les Affaires étrangères, donnant la pleine mesure de sa maîtrise des dossiers sensibles et complexes.
Il apprend vite du pays et des hommes, autrement dit des situations et des contextes. Il s’en rapproche d’autant que son cheminement politique l’incite à privilégier le terrain, à étoffer son carnet d’adresse et son portefeuille relationnel déjà bien fournis. Reste la formation du gouvernement : un chef d’œuvre de délicatesses !
Le Président et son Premier Ministre planchent toute la journée (et peut-être même avant) sur le montage, sur la combinaison, sur la cohérence, sur la cohésion, sur l’harmonie. Un réel exercice d’équilibre en définitive. Quant, à l’arrivée, certains proches du Chef de l’Etat, ne font plus partie de l’attelage, l’on devine aisément combien difficile est la composition d’une équipe gouvernementale.
Les compromis et les concessions se télescopent dans un subtil dosage qui n’élude ni les sensibilités, ni les susceptibilités. Pour contenter les alliés, mieux vaut se délester des ses propres partisans quitte à « gérer plus tard les frustrations » qu’engendre un remaniement ministériel.
Matar Ba, Malick Sall et Abdou Karim Sall, en ont sûrement fait les frais. Leur fidélité au Président atténue leur amertume dans l’attente d’étapes ultérieures d’engagement. Les occasions ne manquent pas pour qui sait « prendre son mal en patience. » D’ailleurs, à quoi sert-il de courir si la sagesse recommande de « partir à point » !
Il est clair donc que Benno Bokk Yakaar constitue à n’en pas douter un vrai « sac de nœuds » avec des problèmes sans solution et de potentiels conflits en réserve… Mais pour l’heure la situation embrouillée contraint le couple de l’Exécutif au réalisme.
Chaque décision à prendre inspire une pesante précaution. Et pourtant, par définition un choix procède d’une sélection. Or qui dit sélection, dit élimination. Dans ce contexte politique de majorité précaire tout choix à opérer s’avère délicat en raison justement de la fragilité du moment.
Face à une sévère conjoncture, faire bloc devient la seule option possible pour réduire les incertitudes politiques. Car tout le monde n’a d’yeux que pour la très prochaine élection présidentielle de février 2024. Jour pour jour, seize mois nous séparent de l’échéance fatidique. Elle cristallise les attentions.
Rien n’est encore joué. Autrement dit tout se joue maintenant : l’édification d’une force homogène, une réponse efficace à la demande sociale et la construction dans la durée d’une économie vigoureuse avec un socle industriel vecteur de croissance et créateur d’emplois conséquents. Le nouveaux Premier Ministre a conscience des enjeux et des difficultés qui se dressent sur le chemin de la réussite.
Il indique néanmoins la voie en s’appuyant sur le Plan Sénégal Emergent (PSE) dont les axes stratégiques demeurent mais légèrement réarticulés autour de plans d’actions prioritaires pour intégrer les défis résultant de la pandémie du Covid-19.
Pour le symbole, Amadou Ba érige la formation professionnelle au rang de priorité. Par cette option, il anticipe sur l’adéquation des emplois de demain en réponse aux besoins des entreprises du secteur Gaz et Pétrole, de la technologie de précision et du processus de dématérialisation de segments entiers de l’économie dite numérique. Autant dire du pain sur la planche…
Il y a chez lui une habile volonté de débrider les politiques publiques en dynamitant les conservatismes pour alléger les rigidités inhibitrices. Des investissements massifs conditionnent l’émergence et le succès des savoirs endogènes au sein des lycées techniques à réhabiliter en restant attentif aux nouvelles filières.
Le Premier ministre dispose d’un atout de taille : la confiance et le soutien du Président de la République. Sa marge de manœuvre le prédispose à agir avec autorité et aisance. Il ne manque pas de naturel. Sortira-t-il de l’épreuve essoré ou renforcé ? Le temps veille.