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Paulin Hountondji. LeÇons De Philosophie Africaine

L ’Africain serait-il un « tout autre», une «figure de l’altérité radicale» dont la spécificité serait logée dans une détermination qui lui refuserait toute historicité, toute distanciation critique, enfermé qu’il serait dans l’immuabilité de son éternité ? Ce sont là quelques questionnements importants agités dans le livre de Bado Ndoye : « Paulin Hountondji. Leçons de Philosophie africaine. » Aussi, interroge-t-il le statut de la philosophie en Afrique .

Question de savoir si cette dernière se livre sous la forme de mythes, de légendes, voire de manières de faire et d’être, ou plutôt sous forme de réflexion autonome portée par un sujet ? Processus d’individuation ou processus collectif ? Aussi, l’auteur convoque-t-il Lévy Bruhl (La pensée primitive) et surtout le Révérend Père Placide Tempels dont la publication du livre, « la philosophie bantoue », en 1947, marque un tournant décisif dans l’histoire de la pensée en Afrique.

Pour la première fois, l’existence d’une philosophie africaine est attestée, ce qui vaut à l’ouvrage d’être salué par nombre d’intellectuels africains dont Alioune Diop de la maison « Présence africaine », qui en assuré l’ édition, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop. Tous y ont vu la réfutation magistrale des thèses racistes « qui, de Hume, Kant et Hegel jusqu’à Lévy-Bruhl, ont jeté les bases philosophiques de l’ethnologie coloniale ». Ce livre sera donc célébré comme une « réhabilitation de la dignité de l ‘homme noir ». Un bémol toutefois avec Aimé Césaire qui y décèle plutôt « une philosophie vaseuse et méphitique à souhait » à cause de l’usage qui pourrait en être fait. On assistera ainsi dans les années 70 à une critique philosophique systématique des thèses de Tempels sous la houlette de Paulin Hountondji, Marcien Towa et Fabien Eboussi Boula.

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Pour Hountondji, peut en effet s’appeler « philosophie africaine un ensemble de textes : l’ensemble précisément des textes écrits par des Africains et qualifiés par leurs auteurs « eux-mêmes » de « philosophies ». Une manière d’invalider la perspective qui établit une équivalence entre « philosophie et vision du monde , manière de voir et de faire d’une communauté humaine ». En d’autres termes, une philosophie déjà faite et qui se déploie de manière impersonnelle suivant un dynamisme qui lui est propre. Bien éloignée d’une « pensée préconstituée », la philosophie selon Hountondji suppose au contraire « l’intention philosophique de son auteur », de ses auteurs.

Aussi, s’il existe incontestablement une littérature ethnophilosophique l’est-elle pour les personnes qui ont recueilli une manière de voir avec des poncifs tel que le refus de l’historicité. En tout état de cause, la posture de distanciation de Hountondji vis-à- vis d’une telle vision qualifiée par lui d’ethnophilosophie, le fait percevoir par ses détracteurs comme quelqu’un qui a de la « philosophie une conception eurocentrée », pour ne pas dire « éliste et scientiste ».

Tout ceci prenant place dans un débat intra-européen où l’Afrique n’est présent qu’à titre d’objet puisqu’elle serait constituée par des « sociétés froides » enfermées dans une circularité qui en obstrue toute perspective d’avenir. Au contraire des « sociétés chaudes », européennes, rythmées par le conflit , la quête et la conquête qui ouvrent les champs du possible. Une perspective qui à n’en pas douter réconforte la thèse de la supériorité de l’Europe et sa prétention au monopole de la raison logique et de la technologie . Hountondji interpelle alors sur le fait de savoir s’il est question de prendre à son compte des représentations élaborées par d’autres ?

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Effectuant un rapprochement avec Husserl, l’auteur relève que pour tous deux, la philosophie est « structurellement histoire », « tension continue vers un idéal de vérité qui borne son horizon et lui prescrit son devenir ». Ne pouvant se réduire à une pensée globale, fossilisée et ossifiée qu’on exhume, la philosophie suppose « un sujet anonciateur » et par conséquent, « il ne saurait y avoir de « sujet collectif » susceptible de produire « spontanément une pensée implicite dont on ne prendrait conscience qu’après coup ».

C’est à la déconstruction de toutes ces thèses que s’attelle Bado Ndoye. Aussi le regard qu’il jette sur l’ homme se donne-t-il comme une invite à aborder l’humain comme un ensemble de caractéristiques globales articulées autour de sensibilités matérielles et spécifiques spécifiques. L’universel dont il est question ici appelle à un monde commun « ouvert sur la pluralité des perspectives ».

Pour Hontondji en effet , il est plutôt question d’ « inventer une autre forme de mondialisation qui ne se réduise pas à un Centre unique dictant ses volontés à de multiples périphéries, mais qui soit l’oeuvre commune d’une pluralité de centres négociant les uns avec les autres sur un même pied d’égalité, pour la construction d’un monde de partage, d’un monde plus juste et plus humain ».

Critiquer l’etnophilosophie n’est donc pas mettre au rebut « l’exigence de reconstruction des savoirs dits traditionnels comme procédant d’une seule et même intention ». Il ne s’agit aucunement de s’aligner derrière une universalité rythmée par l’occident mais « d’un universel à réinventer sur les ruines des philosophies eurocentrées qui ne voyaient l’Autre que sur les ruines du Barbare ».

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Spécialiste de phénoménologie, d’épistémologie et d’histoire des sciences qu’il enseigne à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Bado Ndoye revisite à travers cet ouvrage remarquable toute la richesse et la profondeur de la pensée de Hountondji en ce sens qu’elle a anticipé nombre de débats d’aujourd’hui.







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