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Un Serviteur Inlassable De La Cause Du Peuple

Khasset Cissokho est parti à la maison le jeudi 26 janvier 2023. Il y a rejoint son père feu Seydou Cissokho, figure emblématique de la gauche sénégalaise, secrétaire général du PIT (ex PAI), parti précurseur de l’indépendance nationale du Sénégal.

Au Panthéon des illustres disparus de la cause révolutionnaire patriotique et démocratique, il trouvera d’éminentes figures de And Jëf/Xarebi avec lesquelles il a cheminé durant ses presque 50 ans de militantisme politique.

Après quelques années d’activisme dans le mouvement scolaire et dans les cercles marxistes-léninistes au lycée El Haj Malick Sy de Thiès, Khasset, sportif talentueux, intègre en 1976 l’organisation And Jëf/Xarebi, d’obédience maoïste. Une organisation qui était en pleine reconstruction, après la grande crise consécutive à la vive répression subie en décembre 1974 et en juin 1975. Il fallait faire montre de courage et d’esprit de sacrifices pour son pays pour courir le gros risque, dans ce contexte de la clandestinité, d’adhérer à AJ/Xarebi.

Justement Khasset Cissokho a fait partie des militants courageux, déterminés à surmonter ces moments critiques de la vie de l’organisation AJ et à assurer sa réédification aux plans idéologique, politique et structurelle. C’est ainsi qu’il a choisi de contribuer à la stratégie de formation du bloc ouvrier-paysan : la jonction entre le mouvement des cheminots de la ligne Dakar-Thiès-Bamako, ligne de conquête coloniale et de résistance patriotique et les luttes paysannes dans la zone rurale du Sénégal oriental.

C’est dans cette région particulièrement délaissée par le régime de Senghor, dans la continuité des politiques coloniales, qu’il s’installa, en qualité de révolutionnaire professionnel. Avec d’autres camarades venus s’établir, ils investissaient la campagne, s’attachaient aux émigrés de retour d’Europe, animaient le mouvement syndical, associatif, sportif et culturel et intervenaient activement dans les projets à caractère agricole et dans les organisations non gouvernementales. Cette implantation, conduite par des camarades résolus, dévoués et désintéressés, a permis à AJ/Xarebi de conquérir, dans la clandestinité, des bastions qui serviront de solides bases politiques, dans la période de l’ouverture démocratique et de participation au jeu électoral. Cet enracinement populaire a été rendu possible par la pratique de la ligne de masse fondée sur l’enquête-recherche-organisation (ERO), visant l’auto-organisation, l’aulo-développement et l’auto-défense des masses populaires.

Cadre révolutionnaire local, Khasset s’est hissé, au début des années 80, au niveau des instances de direction nationale de AJ/Xarebi grâce à ses capacités d’organisateur rigoureux et son intérêt remarqué pour les questions idéologiques. Militant de l’ombre, discret, effacé et efficace, il apportait une réflexion originale nourrie de profonde humanité. Pour lui, les valeurs humaines sont déterminantes en tout. Dans une note d’hommage, un camarade a rapporté que Khasset, dans la case où il habitait sise dans un quartier de la périphérie de Tambacounda, postait sur une planche au-dessus de sa table de travail : « dis-moi quel cadre local tu as, je te dirai quelle organisation locale tu es ».

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D’ailleurs, Khasset avait fait du concept d’humanitude un leitmotiv et une base de relecture revifiante de la doctrine organisationnelle marxiste-léniniste « avec les apports de l’astrologie et de la 2 caractérologie ». Penseur, à l’instar d’Edgar Morin, de concepts d’une extrême complexité, il pouvait également faire montre d’ouverture et de tolérance, prônant en tout moment le consensus et l’unité, après l’expression vive des contradictions. Ces qualités ouvraient à Khasset les portes du dialogue avec tous les courants de la gauche et de fidélité à ses amitiés d’hier et d’aujourd’hui. Dans la vie personnelle, aîné d’une fratrie de deux garçons et de quatre filles, il a su comme un funambule rétablir les équilibres et maintenir la cohésion familiale. Il était d’une grande douceur qui pouvait même friser la timidité.

Son fils Seydou nous confiait….

Son fils Seydou nous confiait : « je ne me souviens que papa m’ait fait une fois une remontrance, ni à moi, ni à ma sœur ni à ma maman et pourtant nous n’étions pas exempts de reproche. » Khasset était un militant déclaré de la cause des femmes. Une grande sensibilité pour le genre féminin, qu’il cherchait à honorer jusqu’à l’extrême naïveté. Il avait délibérément choisi le parti des femmes. Il a été sûrement marqué par l’image d’une grand-mère tutélaire et celle d’une maman affectueuse en l’absence d’un père, toujours au front, appelé par le devoir de militant politique professionnel. Khasset avait un goût prononcé pour la lecture et disposait d’une bibliothèque variée, portant sur les sciences humaines, les sciences de la nature, la technologie.

 Brillant élève de série scientifique au lycée, il reprit en Russie, durant la pause sabbatique de son parcours de révolutionnaire professionnel, des études approfondies dans le domaine des biotechnologies. Ce diplôme ne lui servit pas à dérouler une carrière professionnelle, hormis un contrat que nous lui avons négocié avec l’IFAN pour servir au laboratoire de biologie marine. Le projet auquel il tenait plus que tout, c’était d’accoucher un livre de bilan et d’hommage, une sorte d’anthologie des militants de la gauche. Il a mené ce processus d’élaboration et de publication d’un ouvrage, parallèlement à son activité militante dans Yoonu Asakan wI (YAW), issue de la crise de AJ/PADS en 2007, dont il fut un des membres fondateurs.

Deux sources de motivation qui lui ont permis de supporter les affres de la quotidienneté d’un ancien révolutionnaire professionnel d’une organisation éclatée et qui ne dispose plus d’intendance pour gérer collectivement ses militants en difficulté matérielle. C’est alors le retour dans le sein familial avec des amis restés fidèles, devenus des frères de cœur. Permettez-moi de partager avec vous quelques extraits de la présentation de l’ouvrage. « Hommage révolutionnaire et citoyen aux luttes politiques de la classe ouvrière et sa gauche organique », Khasset Cissokho, nov. 2015, Edition Njelbeen, que j’avais en charge, par amitié, d’exposer lors de la cérémonie de dédicaces, traversée par de fortes émotions, tenue en mars 2016 au West African Research Center (WARC) à Fann. « En effet, c’est avec une grande générosité que Khasset assume, dans cette publication, sa part de devoir de mémoire. C’est avec engagement et perspicacité qu’il cherche à découvrir : des camarades oubliés à tort tels Samba N’Diaye, sociologue, ou récemment commémoré comme Oumar Diop Blondin, esprit révolutionnaire précoce très tôt assassiné par le pouvoir néocolonial. Samba Ndiaye, un des premiers intellectuels dissidents du PAI aux plans idéologique et politique. Avec Hady Ndir, Wahab Diéne, Marianne d’Enerneville, Ismaila 3 Diakhate et Sam Diallo, entre autres, ils lancent l’initiative du Parti Communiste Sénégalais (PCS), comme premier embryon d’organisation maoïste au Sénégal. Khasset ne s’en limite pas là.

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Elargissement du cercle de la nouvelle gauche

Il élargit le cercle aux militants de la nouvelle gauche maoïste : Amady Barro, Adama Seye, Kader Gueye, Laye Mbaye, Alioune Séne, figure remarquable du Mouvement ouvrier et syndical (MOS) de la Régie des chemins de fer, et aussi Ndongo Diagne et Moussa Diop Jileen qui auront marqué la période du M.B.C.R. de AJ/Xarebi dans la clandestinité. J’ajoute, à mon tour, quelques noms pour que la mémoire ne les efface : Jewel Daff, Alfousseyni Cisse, Abdou Salam Kane « Billy », Mamadou Seye cadre à Nestlé, et rendre hommage au premier artisan de la reprographie clandestine de AJ/RR/XAREBI Alioune Ndiaye dit « Lune ».

Pour Khasset, le devoir de mémoire est un impératif humaniste : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » Par cet acte, il a voulu honorer des hommes et des femmes qu’il a connus directement ou indirectement ; des gens qui représentent à ses yeux la citoyenneté, l’engagement au service des autres, l’altruisme. Des anonymes disparus sont loués parce que pour lui « tous les êtres humains sont mortels et chaque mort a sa valeur. Chacune des vies a servi à quelque chose de durable et pourtant peu visible »

En effet, la mort témoigne sûrement de la fragilité de l’homme, la finitude de son vécu. Elle témoigne aussi de la puissance de l’homme qui a posé des actes louables, des actions qui finissent par s’inscrire dans la durée ici-bas et même, disons, dans l’éternité. Sa grande générosité lui a également ouvert la mémoire pour évoquer des citoyens de son quartier d’enfance, des condisciples du lycée E.M. Sy, des membres de sa propre famille dans la vivante ville ouvrière de Thiés. Les sources nourricières et les foyers de formation et d’édification du caractère de ce groupe de jeunes thiéssois nommés 76ards (soixante-seizards s dont il se réclamait fièrement Vs soixante-huitard) sont passés en revue. Tout s’y mêle : les acteurs sportifs (foot-balleurs), les cercles de lecteurs (des aventures de Blek le rock), les artistes en herbes et les apprentis musiciens (musique afro latino-américaine). Pour Khasset, la prégnance du celbé, initiateur de rite de passage, dépasse le moment de la circoncision. Son rôle initiateur et poétique couvre toute l’adolescence.

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A l’action de mûrisseur de fruits précoces des celbé, s’ajoute la tendresse protectrice de l’irremplaçable grand-mère, feue Moussou Makhan Sakaliba « Nâ ». Nous avons personnellement pu mesurer l’attachement de Khasset à cette grande dame. Symboliquement, elle a été une source d’inspiration et un lien dans l’effort de construction théorique et organisationnelle prolétarienne, fondé sur l’axe ferroviaire du « train express » avec le Mali, via Tambacounda. Le chapitre 3 de l’ouvrage de Khasset nous renseigne sur l’image du père présent absent. Un dirigeant révolutionnaire, signataire du Manifeste de 57 du Parti Africain de l’Indépendance (PAI), devenu Parti pour l’Indépendance et le Travail (PIT).

Seydou Cissokho, un père marqueur, souvent appelé par le devoir militant, mais dont les présences, même ombragées, 4 éclairent sur le patrimoine familial et politique du clan Cissokho dont Khasset a été un digne héritier. Je concluais la présentation en ces termes : « Cet ouvrage est pour l’auteur, un défi physique, intellectuel et moral à lui-même, une interpellation de sa famille politique et organisationnelle, une arme de reconstitution de la famille biologique, un legs d’amour à ses enfants Inâ, Seydou, Bouba, Ass, Souleymane…

Une ode à ses amis ; et surtout et avant tout, un acte de délivrance personnelle. Une renaissance empreinte de violence sacrificielle, bref un acte de catharsis ! » Enfin, je peux témoigner qu’il a loué avec ferveur le Seigneur de lui avoir fait la faveur de pouvoir conduire à terme cette œuvre libératrice de son âme qui l’a réconcilié avec lui-même et avec sa fitra, avant que l’indésirable invitée, la maladie, ne vienne parasiter son corps.







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