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Tonton Cheikh YÉrim, TÉmoin Intime Ou Conseiller Occulte ?

Une introduction, vingt-deux chapitres, une conclusion. Telle est la composition du livre de Cheikh Yérim Seck, que j’avais absorbé comme une pizza tiède une semaine de grande déprime. En attendant le tome 2, la cérémonie publique de versement des recettes aux nécessiteux et les séries télévisées annoncées autour de l’œuvre, je vous propose de les déguster sous les titres suivants, en cinq actes :

Acte 1 : « Tonton Cheikh Yérim » (p.51), témoin intime ou conseiller occulte ?

Cette part regroupe les chapitres 2 L’entrée au palais par effraction, 3 Marième Faye Sall, atout ou boulet ? 4 Macky Sall et la pratique du pouvoir et 22 Trois gros travaux que Macky Sall doit mener pour l’avenir du pays. Ayant tacitement pris le train de Macky Sall après son discours de novembre 2008, où il rendait tous ses mandats électifs acquis sous la bannière du PDS, et adhéré formellement à l’Alliance Pour la République en janvier 2009, avant de rejoindre la Convergence des Cadres Républicains en mai 2010, je m’étonne du traitement tendancieux de cet épisode. Dire que Macky Sall est entré au palais par effraction, par miracle (p.23), c’est nier ou méconnaitre ses efforts et ceux de ses partisans. C’est même paradoxal de relever ensuite qu’il a fait trois fois le tour du pays pour implanter son parti (p.31-32) et que la Convention d’investiture de Diamalaye avait rassemblé 100 000 personnes (p.34). Le libellé de ce chapitre 2 contredit ce qu’il narre : le mérite de Macky Sall et celui de ses militants dans la conquête du pouvoir, trois ans et trois mois seulement après la création de l’APR. Je me méfie, en outre, de cette phrase qu’on entend plusieurs fois par jour : C’est Dieu qui donne le pouvoir à qui il veut. Ses implications dans une République sont inquiétantes, quand on sait à quoi elle renvoie historiquement. Elle implique, par exemple, un retour logique à un ordre ancien où la roture ne pouvait être aussi audacieuse. Dans une nation comme la nôtre, on devrait éviter d’en abuser et œuvrer à promouvoir l’idéal d’une souveraineté apaisée émanant du peuple.

Marième Faye Sall, dépeinte en Lady MacBeth tropicale (p.40), népotique (p.47), aurait le chic de muer des « critiques acerbes à souteneurs hardis de Macky Sall » (p.50). Pour corroborer ces lourdes charges, Yérim risquera une généalogie des liens très forts entre le président et sa belle-famille (p.42). Je n’étais pas à Diourbel en l’an de grâce « 1992 » (p.41), quand se formait le couple présidentiel, mais en 2010-2011, quand on s’enorgueillissait, à qui mieux mieux, de notre proximité très sympathique avec le futur président de la République, à grand renfort de photos, de vidéos et d’anecdotes, un ancien du PDS m’avait dit (devant témoins) : « Tu perds ton temps, Macky méprise les intellos ; si tu veux devenir ministre, rapproche-toi plutôt de sa femme et dis-lui que tu es prêt à mourir pour son mari ! ». J’avais mis cela sur le compte de l’adversité politique et de la menace que l’opposant Macky représentait pour ses anciens camarades. J’avais eu, ensuite, quelques occasions furtives de parler avec la Première dame, en marge de leurs séjours parisiens, sans jamais vraiment trouver un moyen de lui faire part de mon intention de me sacrifier pour la défense de son auguste chéri.

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Sans vouloir disputer à « Tonton Cheikh Yérim » son privilège de témoin intime de notre aventure politique et de la vie domestique du boss, il est possible qu’il soit resté sur le Macky ministre habile, qui pouvait dire à Wade, sans frémir du menton, que même Napoléon Bonaparte ne lui arrive pas à la cheville (p.28), le Macky fumant une cigarette (p.45), le Macky imitant les Américains, « Misteur présideunt, gayim is oweur, oweur, oweur… » (p.63). Ce Macky, « très taquin dans l’intimité » (p.62), nous l’avions fait danser au rythme du riti sérère, bien avant ses pas de salsa plus modérés au son d’un « combine beuré » remixé de Youssou Ndour. Alors tonton, c’est qui, qui vise le plus loin ?!

Le chef de l’État, reconnaitra toutefois Yérim, est « loin des rois fainéants nègres ; il prend son job au sérieux » (p.53). « Réputé regardant sur l’argent, voire avare » (p.55), ses premières années au pouvoir furent, réellement, sobres et vertueuses. Comme si c’était trop beau pour durer, l’auteur, visiblement pressé d’anticiper sur d’autres chapitres à charge, embraya sur une analogie avec Le Prince de Machiavel. Voici un concentré du tableau : « Cynisme et humour face à la transhumance, force brutale et ruse, « diay dolé » et « ndiouthie ndiaathie », nomination de politiciens incompétents dotés à maxima de bases politiques et à minima d’une langue de vipère, très forte politisation de l’administration (p.59-61) ».

Cette lecture pleine d’amalgames est, à mon avis, imposée dans l’opinion par la violente course à la soupe étatique entre fonctionnaires et militants promus. Les premiers, jaloux de leurs privilèges, méprisent, au mieux, les seconds, souvent de manière indifférenciée. Au pire, démotivés et amers, ils peuvent se livrer à des procédés dilatoires antipatriotiques dans l’exercice de leur fonction, sabordant ainsi leurs missions au service de l’intérêt général et leur obligation de réserve. Le cas d’école Sonko, détaillé dans un autre chapitre du livre, sera relu plus tard. Les seconds, dans leurs habits de nouveaux nommés s’emploient souvent, après une passation sans garantie de la continuité de l’Etat, à tout mettre en œuvre pour durer dans la fonction et en jouir pleinement. Le procédé le plus fréquent consiste à vouloir prouver, par tous les moyens, sa compétence et sa loyauté, tout en veillant à déployer une connivence mondaine hors norme (réseautage, fêtes religieuses, baptêmes, mariages, funérailles, restaurants, sans oublier les vœux de bonheur à tire larigot sur les tous les réseaux réseaux sociaux). Après cette phase d’intégration, place aux échanges plus discrets de bons procédés : comme larrons en foire, fonctionnaires et politiques rivalisent de largesses : recrutements sauvages de proches, marchés, voitures, carburant, argent, voyages en première…, souvent par une mue agile de lignes budgétaires. Ces enjeux de pouvoir, même à des niveaux modestes, expliquent pour beaucoup, l’hystérie qui s’est emparée de notre pays. La veulerie en vogue voudrait qu’on impute tous ces travers à Macky Sall qui, nécessairement loin de cette tambouille épicière, s’efforce de gouverner son pays au mieux de ses métabolismes (je lui emprunte ce terme) pour préserver les équilibres nationaux. Le don d’ubiquité qu’on lui prête est d’abord une vaste escroquerie de certains de ses partisans. Cela peut concerner l’officiel représentant du Sénégal dans une réunion mondiale qui, quels que soient le format et le thème de la rencontre, se débrouillera pour faire dire au président Macky ce qu’il n’a jamais dit. Le plus important sera de placer distinctement cette expression : « conformément à la vision éclairée du président de la République, son Excellence Macky Sall ». Cela descend, ensuite, à tous les niveaux : « Macky m’a dit », « c’est une commande du président », « le président vous félicite », « le président n’est pas content », « je vous le dis, le président sait tout, il va sévir ! », « li président mo len ko diokh ». Tout est fait et dit au nom du président. Pas étonnant que l’opposition radicalisée trouve en lui un bouc émissaire tout désigné.

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Sans doute, pour tempérer l’image exagérée de l’ogre malfaisant qu’il a ravie à l’opposition, l’auteur enchainera vite avec un portrait moral plus doux du président : « Vrai froid mais faux méchant, orgueilleux mais pas cruel, homme sensible et humaniste, derrière le niangal (mine sévère) » (p.62)

Après ces séquences drôles et émouvantes aux allures des « Dans la peau de… » de Karl Zéro, Cheikh Yérim Seck, en Conseiller ou Expert, revient avec des recommandations. Il propose trois sentiers essentiels pour l’avenir du pays. Il s’agit de l’exploitation optimale du pétrole et du gaz, de la transformation numérique et digitale et de la répartition équitable des ressources issues des énergies fossiles (p.237). Peu enclin aux incantations, j’ai trouvé cette partie aussi fastidieuse que les rapports institutionnels. Vouloir répondre à l’injonction implicite aux solutions pousse au pragmatisme artificiel. Je disais souvent à nos réunions de « Cadres qui ne cadrent rien » (d’après Farba Ngom en 2010), que les mesures efficaces sont souvent en filigrane dans les constats bien énoncés. Car, oui, il y a encore beaucoup de pseudo-intellectuels qui exigent un chapelet fléché de solutions concrètes. Yérim a pensé à vous. Mais, au risque de ne pas rendre justice à son ingénierie, je ferai abstraction des explications, qui soutiennent les trois gros impératifs.

A propos de l’exploitation optimale du pétrole et du gaz, « il faut une nouvelle articulation de la carte universitaire et de la formation professionnelle et technique avec cette réalité économique (p.238). Il poursuivra : « En vue de doper le taux d’emploi et résorber le chômage de masse, le secteur privé national doit capitaliser sur cette importante manne financière ». A la page 240, pour finir avec le pétrole et le gaz, « l’exploitation du pétrole doit reposer sur un système de péréquation intégrant la prise en compte des générations futures, des groupes vulnérables et la lutte contre la corruption […] notre pays souverain doit veiller à ce qu’aucune multinationale ne puisse se soustraire aux obligations environnementales, ni à la fiscalité locale ou nationale ». Je suis d’accord. Tape-m’en cinq !

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Le deuxième gros sentier pour notre avenir, d’après Cheikh Yérim Seck, c’est la transformation numérique et digitale. Pourquoi ? Eh bien, parce que « le numérique et le digital ont profondément bouleversé nos modes de consommation et de production » (p.241). La plus récente référence théorique, parmi celles convoquées pour étayer cette lapalissade, a plus de vingt ans ! Deuxième occasion de toper avec Yérim : « nos données sensibles ne doivent plus être stockés dans des data-center étrangers ». Sur la même page 245, et pour une révélation, ç’en est une, « le supercalculateur, acquis à 15 millions d’euros auprès d’Atos, installé en février 2020 à la Cité du Savoir de Diamniadio, le 3ème en Afrique […] a pris de l’eau de pluie dans le local où il a été abandonné… ». Det waay seugn bi ! Saa, Saa, Saa, criait-on en pays sérère, pour éloigner les mauvais présages.

Pour la dernière recommandation relative à la répartition équitable des ressources issues des énergies fossiles, je me payerai le luxe de l’analyser du bas vers le haut. Cheikh Yérim Seck, dans le dernier paragraphe de cette partie, utilise une comparaison forte pour préparer notre entrée dans l’ère pétrolière et gazière (p.248). En substance, il nous invite à veiller à être plus Qatar que Gabon, et surtout pas Nigéria, où l’arrogance des élites politiques aurait produit Boko Haram. La partie, qui précède cette puissante mise en garde, me plait beaucoup aussi, car elle liste des thèmes qui me sont chers : « relever des défis civilisationnels, s’interroger sur les valeurs et le format de société que nous souhaitons bâtir […] réflexion sur la démocratie politique, économique et sociale, sur les nouveaux paradigmes de gouvernance des politiques publiques, sur le poids de l’argent dans nos sociétés, sur la lutte contre la corruption et les trafics en tout genre… ». Le reste du chapitre, enfin, traite d’équité territoriale, d’inclusion sociale, de prise en charge des groupes vulnérables, des domaines sur lesquels il serait prétentieux de donner des leçons à Macky Sall.

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