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Les Premiers Échecs De Sonko À Ziguinchor

Lui maire, Ousmane Sonko s’était juré de gérer la ville de Ziguinchor mieux que tout autre de ses devanciers. L’engagement était touchant et le nouveau maire, élu le 23 janvier 2022 avec 56,31% sous la bannière de la Coalition Yewwi askan wi (Yaw), a été installé le 10 février 2022. Un an après sa prise de fonction, force est de constater que le bilan qu’il pourra présenter à ses concitoyens est loin d’être reluisant. Les Ziguinchorois peuvent même se dire quelque peu désabusés.

La première promesse que Ousmane Sonko a trahie est celle d’être un maire résident, qui partage le quotidien de ses administrés. En tout cas, il ne semble pas faire de la ville de Ziguinchor sa priorité, alors que les Pastéfiens voyaient l’exemple de Ziguinchor comme leur laboratoire ou leur modèle de savoir-faire en gestion publique. Le maire avait battu sa campagne autour de ce principe, on ne peut plus logique, d’être sur place et de rester accessible aux populations. Mais les jours de présence de Ousmane Sonko au niveau de sa commune sont à compter, et les autres membres de sa famille, épouses et enfants, trouveraient difficilement le chemin de la résidence du maire de Ziguinchor dans le quartier de Néma. Les absences du maire sont surtout remarquées à l’occasion des grands évènements religieux ou sociaux. Le maire a manqué l’inauguration de la cathédrale Saint-Antoine de Padoue, ainsi que les différentes cérémonies de prières rituelles à la Grande mosquée lors des fêtes de la Tabaski ou de la Korité. Le célèbre humoriste français Guy Bedos, disait la belle formule qu’«être prêt à mourir pour le peuple, ça ne signifie pas qu’on est prêt à vivre avec». Le nouveau maire disait nourrir de grandes ambitions pour sa commune et avait décliné une feuille de route, certes controversée avec notamment son idée mort-née d’instituer une monnaie locale en Casamance. Mais le nouvel élan, qui avait fait naître beaucoup d’espoir, semble retomber, pour ne pas dire se briser. Le calendrier du maire dans sa ville est rythmé par ses activités politiques, pour briguer la présidence de la République ou pour organiser des marches. L’opposition avait fini d’introniser Ziguinchor comme sa nouvelle capitale et tous les grands rendez-vous des leaders s’y tenaient, et la ville abritait leurs marches nationales à l’occasion desquelles des biens publics et privés ont pu être détruits. Tout cela n’a aucune prise sur l’amélioration des conditions de vie des populations. Bien au contraire ! «Le maire n’a encore rien fait» est le maître-mot des habitants de Ziguinchor. Seulement, l’exaspération les gagne et même plus, certaines décisions soulèvent de la colère.

Les concerts de casseroles des étudiants et des commerçants pour huer le maire

Ces deux catégories de la population se sont le plus fait entendre dans une opposition bruyante contre certaines décisions de la nouvelle équipe municipale. Le maire a fait passer du simple au double, les taxes municipales relatives aux activités commerciales, notamment les taxes pour «occupation du domaine public». Le courroux des commerçants est d’autant plus vif que le maire a rompu avec la pratique établie par l’équipe de l’ancien maire Abdoulaye Baldé, d’une programmation calendaire des foires. Désormais, les foires peuvent être organisées à tout moment et en tout temps, pourvu simplement de s’acquitter des taxes instituées. Or, la fréquence des foires concurrence les commerces traditionnels établis dans la ville. Il faut relever que l’un des premiers actes publics posés par le maire, a été d’annuler une foire, le 11 mars 2022, parce que la promotrice Mme Ramatoulaye Sow aurait manqué de préciser dans les documents présentés à la mairie que la foire avait une vocation commerciale, alors que les services du maire lui avaient déjà délivré une autorisation en bonne et due forme et que les taxes exigées étaient acquittées. Mme Ramatoulaye Sow avait brandi ses différents documents devant les médias pour s’offusquer du tâtonnement. Le maire a dû renoncer à son idée d’instaurer une taxe exceptionnelle pour les débits de boissons, car ses proches lui ont fait comprendre que toucher à cette activité dans la ville pourrait susciter un mécontentement.

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Des étudiants de Ziguinchor, inscrits notamment dans des universités à Dakar, avaient eux aussi exprimé leur mécontentement par un bruyant concert de casseroles, lequel s’était terminé par des échauffourées qui avaient contraint le maire à aller trouver refuge à la gendarmerie pour se sauver de leur furie. Le maire avait vite accusé ses adversaires politiques d’instrumentaliser les commerçants et les étudiants. Ces derniers protestaient, le 4 janvier 2023, contre la décision de leur maire d’annuler le contrat de location d’un immeuble qui les abritait à Dakar depuis plusieurs années. Le leader de ce mouvement de colère, Mamadou Badji, se verra agressé nuitamment par des hommes en scooter, lui occasionnant de nombreuses blessures.

Les relations entre le maire et les jeunes de la ville commencent à être heurtées. Les jeunes n’avaient pas accepté de participer à des travaux de curage des canaux de la ville et en guise de représailles, le maire refusa de libérer les subventions aux Associations sportives et culturelles (Asc) de la ville, alors que ce soutien au mouvement associatif est régulièrement prévu dans le budget municipal. La traditionnelle compétition de football baptisée Coupe du maire a aussi été supprimée. Le maire, dans une démarche nihiliste, a arrêté les activités du Programme d’appui aux communes et agglomérations (Pacasen), mises en œuvre par l’Etat dans la commune, et qui prévoyaient l’érection d’un complexe sportif, culturel et socio-économique baptisé Zig Center, sur le terrain du foirail des grands ruminants.

Il reste que les activités de curage des canaux n’avaient pas été réalisées l’année dernière et si cette situation perdure, des quartiers comme Belfort, Goumel, Santhiaba, seront exposés à des inondations récurrentes aux prochaines pluies.

Les jeunes dits «jakartamen», qui exploitent l’activité de mototaxis, sont aussi remontés contre les mesures d’augmentation de la patente et de la taxe municipale. Durant la campagne électorale pour les Locales, le candidat Ousmane Sonko leur avait promis la gratuité de leurs activités. Le licenciement d’une cinquantaine de jeunes travailleurs du Fonds d’entretien routier autonome (Fera) est une autre décision du maire qui fâche des populations. D’autres personnels de la mairie ont été licenciés. Ils appartiendraient au camp de Abdoulaye Baldé. Cela fait dire aux détracteurs du maire qu’il «nous avait promis le Burok (travail en langue Joola), mais nous découvrons le Buyok (la fatigue, le désespoir)». Au demeurant, le maire a institué un service civique communal où de nombreux jeunes engagés s’investissent pour la collectivité. Le maire avait baptisé son programme municipal «Burok», pour l’inscrire sous le sceau du travail et des réalisations. Les premiers camions de ramassage d’ordures qu’il avait réceptionnés dans le cadre d’un don fait par la commune catalane Vic (Espagne) à la ville de Ziguinchor, alors dirigée par le maire Baldé, ont été repeints aux couleurs de ce slogan.

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Le 12 mai 2022, le maire a suspendu les lotissements des quartiers de Djibock, Kandialang et Kénia, au motif d’irrégularités qui seraient relevées. Des bénéficiaires avaient été convoqués à la mairie pour s’expliquer sur les circonstances dans lesquelles les terrains leur avaient été attribués. Ils attendent toujours le dénouement de cette affaire pour laquelle le maire avait menacé de déposer une plainte. Les populations espèrent voir se concrétiser la promesse électorale de l’électrification de certains quartiers périphériques. Le maire n’arrive pas encore à mettre en œuvre sa promesse de construire dans certains quartiers, des classes préscolaires communautaires et de recruter du personnel. Dans l’optique, dit-il, de rationaliser les dépenses, certains avantages sociaux pour les personnels municipaux, comme le paiement d’heures supplémentaires et les primes des agents de la mairie affectés dans les dispensaires, ne sont plus payés. Ces employés rouspètent. De même, le soutien au personnel pendant la Fête du travail du 1er Mai avait été supprimé en 2022.

Une gestion solitaire et inexperte de la mairie

Ils sont nombreux, les conseillers municipaux qui affirment n’avoir pas de contacts avec le maire, qui travaille en solitaire. Les réunions du Bureau municipal ne sont pas tenues et des adjoints au maire soutiennent que le maire ne les reconnaitrait même pas, faute d’occasions de les rencontrer. Les dotations de carburant allouées aux adjoints sont supprimées alors que le maire, à en croire certains conseillers municipaux, continue lui de percevoir régulièrement son salaire de 900 mille francs. Les adjoints touchent une indemnité mensuelle de 90 mille francs. Le 11 mai 2022, lors de la semaine citoyenne, Ousmane Sonko avait annoncé renoncer à son salaire de maire et à certains autres avantages comme la dotation mensuelle de carburant. L’information semble alors n’être pas bien passée quelque part.

De toute façon, la Cour suprême semble confirmer la situation d’une gestion non inclusive et conforme aux bonnes règles. Par des décisions en date du 7 décembre 2022, la haute juridiction a retoqué de nombreuses délibérations de la mairie de Ziguinchor, au motif d’irrégularités ou d’absence de convocation du Conseil municipal. La Cour n’avait pas besoin d’examiner l’affaire dans le fond. C’est ainsi que les décisions du 17 février 2022, de création d’une mutuelle de crédit, d’une coopérative d’habitat et de procéder au changement de nom de quatre rues, ou encore l’instauration d’un nouvel organigramme dans la mairie, ont été, suite à des recours du Préfet de Ziguinchor, invalidées par les juges administratifs. Le représentant de l’Etat avait demandé en vain une seconde lecture de la part du Conseil municipal, mais le bureau ne l’a pas suivi, l’obligeant ainsi à déférer les décisions pour annulation devant la Cour suprême. Reste à savoir : après ce revers survenu depuis le 7 décembre 2022, Ousmane Sonko se résignera-t-il à ravaler sa fierté et réunir le conseil municipal dans les règles, ou boudera-t-il la mise en œuvre de ses projets ainsi recalés ? La conduite du volet de la coopération décentralisée fait grincer les dents de certains conseillers municipaux. Par exemple, la mairie de Ziguinchor était pendant plusieurs années, membre de l’Association internationale des maires francophones (Aimf) et en était un vice-président, poste perdu désormais car Ousmane Sonko, qui était encore abreuvé aux idées de «France dégage», avait refusé la participation à l’Assemblée générale de renouvellement tenue à Abidjan. Il a en effet décidé de ne plus répondre aux invitations de l’Aimf. Par ailleurs, les autorisations de construire sont en souffrance dans le Cabinet du maire, faute d’avoir des ressources humaines compétentes pour traiter les dossiers. En attendant, les populations voulant construire se retrouvent bloquées.

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Risque de blocage du Conseil municipal de Ziguinchor

La collaboration entre le maire de Ziguinchor et les services de l’Etat s’avère difficile, même si le ramassage des ordures ménagères est effectué normalement par une structure sous l’égide du ministère de l’Urbanisme, de l’habitat et de l’hygiène publique. L’Etat du Sénégal, estimant que les mairies des villes ne trouveraient pas les ressources suffisantes pour réaliser cette mission, se substitue aux collectivités locales. Toutefois, le refus absurde du maire de Ziguinchor de continuer de respecter la convention signée par son prédécesseur avec la commune d’Enampor pour se servir d’un site au village de Mamatoro comme décharge finale, ne manquera pas à terme de provoquer des difficultés pour le ramassage des ordures.

Mais la grosse pomme de discorde entre l’État du Sénégal et la Mairie de Ziguinchor risque de venir de la question de l’adoption du budget de l’exercice 2023. Le conseil municipal a voulu porter à 5 milliards de francs Cfa le budget qui était de l’ordre de 2 milliards de francs, soit une hausse de quelque 150%. Le préfet a refusé d’approuver le nouveau budget qu’il ne juge pas sincère. En effet, le maire compte sur des levées de fonds par des opérations de souscriptions populaires volontaires, qui semblent assez aléatoires. L’équipe municipale ne s’inscrit pas dans une logique de revoir sa copie et une fois la date du 31 mars 2023 passée, le Préfet aura la latitude de prendre une décision pour imposer un budget à la Mairie. Il n’est pas sûr que l’une ou l’autre partie acceptera de lâcher du lest, ce qui pourrait conduire à une impasse.







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