Il peut paraitre incongru, voire ridicule, de célébrer le respect, par le président sortant, de la limitation constitutionnelle des mandats, d’autant qu’il était plutôt attendu du président Macky Sall, soutenu au deuxième tour de la présidentielle de 2012, par les acteurs des Assises nationales, une refondation institutionnelle de plus grande ampleur.
Son beau discours du lundi 3 juillet, ainsi que les nombreuses félicitations complaisantes reçues à cette occasion signent paradoxalement l’échec partiel du projet autocratique, que lui et son clan familial ont concocté et qui vise à soumettre le peuple sénégalais aux forces de l’étranger.
Le peuple sénégalais soulagé s’est majoritairement félicité de la sage et salutaire décision de ne pas postuler pour un troisième mandat, permettant au président Macky Sall, de poser un jalon important, pour tenter de se racheter et de sortir par la porte dérobée de l’Histoire ! Mais il n’y avait vraiment pas de quoi pavoiser et les éloges flatteurs de ses courtisans ne pourront jamais occulter le fait, qu’il n’a fait qu’éteindre, avec beaucoup de retard, occasionnant plusieurs dégâts humains et matériels, la mèche du tonneau de dynamite, qu’il avait lui-même allumée, le 31 décembre 2019.
Ce jour-là, interrogé en direct sur la télévision nationale, par un journaliste intrépide, sur son intention supposée de briguer un troisième mandat, il avait eu cette réponse malencontreuse, équivoque et ambiguë, le « ni oui ni non », qui a ouvert une boite de Pandore, qui nous aura valu tant de désagréments et de drames.
En effet, en réfutant des dispositions constitutionnelles incontestables, refusant de prendre de la hauteur et d’adopter un rôle d’arbitre du jeu politique – à cause du cumul des postes de président de la République et de président de la Coalition Benno Bokk Yakaar – le premier magistrat de la Nation s’est lancé dans une entreprise insensée de faire tourner la roue de l’histoire démocratique de notre Nation à l’envers. Il s’en est suivi une oppression pesante exercée sur la vie publique, sous le paravent d’une propagande de type totalitaire, rappelant l’époque de la glaciation senghorienne de triste mémoire.
Le régime de Benno Bokk Yakaar a donc fini par faire l’objet d’un rejet populaire massif, accentué par la crise de la Covid-19 et qui se matérialisera par un déclin électoral qui atteindra le seuil critique de perte de majorité, lors des législatives du 31 juillet 2022.
Le principal bénéficiaire en sera le leader du Pastef, entretemps promu au rang très flatteur de chef de l’opposition, du fait de la défection de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck mais aussi de ses succès électoraux tangibles, malgré ou peut-être à cause de la diabolisation dont il faisait l’objet.
A cause de son rôle de porte-drapeau inflexible et inamovible du mouvement de résistance constitutionnelle à la dictature rampante de l’A.P.R. et de ses affidés, il a gagné ses galons d’ennemi public numéro 1 de la clique des valets locaux de l’impérialisme. Sous son impulsion, des forces connues et reconnues (loin d’être occultes) se sont vaillamment opposées à la gouvernance gabegique et surtout à la persécution judiciaire, avec des points culminants en mars 2021 et en juin 2023.
La tension permanente et les affrontements itératifs entre « apatrides » et patriotes ont fini de semer la panique au sein d’un establishment plus soucieux de son image à l’international et de l’attractivité de notre pays pour les investisseurs capitalistes que de la vie des jeunes sénégalais.
Dans ces conditions, il devenait nécessaire de changer de stratégie, pour se réconcilier avec les autres forces acquises à la perpétuation du système de prédation néocolonial, en vue d’isoler les secteurs panafricanistes et progressistes gravitant autour du Pastef.
Un énième dialogue national fut convoqué suite à plusieurs rencontres informelles, dont la plupart nocturnes, pour ficeler des deals mutuellement avantageux, sur le dos du peuple. Pour garantir la survie d’un système politique en déliquescence, il a également fallu faire le deuil de cette troisième candidature trop impopulaire et qui constituait une pomme de discorde au sein même de sainte alliance néocoloniale.
Ces soudaines retrouvailles entre acteurs politiques ayant la particularité d’avoir, tous, été aux affaires, depuis notre fausse indépendance de 1960 ne peuvent surprendre que ceux, qui entretiennent des illusions sur notre modèle démocratique. Ce dernier, malgré des acquis significatifs, ayant permis deux alternances au sommet de l’État, connait des régressions graves dues, justement, au refus persistant d’opérer les ruptures nécessaires, aussi bien par rapport aux enjeux démocratiques qu’à ceux liés à notre pleine souveraineté nationale.
C’est dire, qu’au-delà de cette question importante de limitation des mandats, le président Macky Sall doit mettre fin à sa fâcheuse propension à traiter de problématiques purement politiques sous l’angle de l’instrumentalisation de la Justice et s’atteler à faire libérer aussi bien le leader du Pastef que les centaines de jeunes militants arbitrairement emprisonnés.
Il faut également organiser des élections transparentes, régulières et inclusives en y associant M. Ousmane Sonko, dont la candidature est une demande sociale pour des centaines de milliers voire des millions de citoyens et une exigence nationale.
Il importe que tous les acteurs politiques de l’opposition comprennent que la tare de l’hypertrophie présidentialiste déteint sur leur approche des questions électorales, comme le montre cette multiplicité inexplicable de candidatures. Cela nous a valu, dans un passé récent, l’élection surprise du président de l’APR en 2012, au moment où le PS et l’AFP se disputaient le leadership de Benno Siggil Senegaal et n’ont pu s’entendre sur une candidature unique, ce qui a compromis la mise en œuvre des conclusions des Assises nationales.
Tant que la classe politique privilégiera la mise en avant d’individualités fortes sur les ententes programmatiques, le système hyper-présidentialiste tant décrié aura de beaux jours devant lui.