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Sonko N’est Que Le SymptÔme D’une Maladie SÉnÉgalaise

Il est indéniable que Ousmane Sonko incarne une réalité politique, matérialisée par son ascension fulgurante et les foules qu’il draine de même que la longueur de son arc de soutien qui va de militants engagés à des intellectuels et membres de la Société civile qui, bien que non encartés, le soutiennent envers et contre tout. Le vide laissé dans l’opposition par les appareils politiques classiques et le ralliement de Idrissa Seck à la majorité en 2020, ainsi que la volonté pour des milliers de Sénégalais d’avoir une alternative au régime de Macky Sall, à qui on prêtait des ambitions de briguer un troisième man­dat, ont renforcé M. Sonko dans l’espace public.

M. Sonko est populaire au sein de couches précaires et notamment urbaines. Il incarne un espoir pour des milliers de jeunes dont le mal-être et l’absence de perspective génèrent une colère et poussent au ralliement à un discours démagogique rempli de recettes miracles et promettant solution à tout. Malgré la robustesse de la démocratie sénégalaise et les bons chiffres sur la croissance depuis une décennie, il y a un malaise observé chez les jeunes, liés notamment à la question du devenir. Les réalisations matérielles nombreuses ne cachent pas la défiance vis-à-vis des institutions républicaines et des symboles de l’Etat dont ils se disent exclus. Le saccage et les incendies de facultés à l’université de Dakar sont un exemple de l’horreur dont est capable une jeunesse dont les frustrations peuvent être captées et transformées en source de violence par des leaders politiques irresponsables.

Si le populisme marchait sur deux jambes, elles seraient l’obscurantisme et la précarité. Ousmane Sonko trouve en ces deux aspects un terreau fertile pour renforcer sa position et produire un discours politique qui, tout en agrégeant des soutiens massifs, ne recule pas pour autant devant la manipulation et la violence. Le propos guerrier, la critique du «système» et de ses représentants, l’excitation du sentiment antifrançais, la vulgarisation de questions complexes liées notamment aux ressources naturelles, l’outrance et l’outrage et le discrédit de toutes les institutions républicaines, constituent le socle politique  de Ousmane Sonko.

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Qu’un populiste dont l’imaginaire est issu des courants extrémistes puisse arriver à ce niveau de popularité et obtenir des soutiens de partis républicains et d’intellectuels progressistes sénégalais, devrait nous interroger non pas sur lui mais sur notre pays.

Les idées de M. Sonko ne peuvent prospérer que dans une société moralement et spirituellement effondrée. L’opposition républicaine a soutenu par calcul politicien toutes les dérives verbales et les appels à la violence du parti Pastef. Je n’ai pas vu un seul leader de cette opposition condamner les propos de M. Sonko du 5 juillet 2022, à Bignona, accusant Macky Sall de haïr les diolas (ethnie sénégalaise). Aucun leader de l’opposition n’a non plus dénoncé son appel au meurtre du président de la République lors d’un meeting en banlieue de Dakar le 22 janvier 2023. Aucune réaction non plus n’a été notée quand il a appelé à mobiliser 200 mille jeunes pour «déloger Macky Sall du Palais». Pour rappel, le parti de M. Sonko a appelé dans un communiqué du 1er juin, à l’issue de sa condamnation dans l’affaire Sweet Beauté, au coup d’Etat. Je n’ai pas vu une réaction dénonçant cet acte grave. Quand M. Sonko a traité Mlle Adji Sarr de «guenon victime d’Avc», seul un mouvement de jeunes féministes a dénoncé ces propos inqualifiables. Le reste a fait semblant de n’avoir rien entendu.

De nombreuses digues morales se sont affaissées par opportunisme ou par opposition extrême au sein de la classe politique, de la presse, des syndicats et de la Société civile. Ces corps, arbitres du jeu politique, ont failli car préférant les adhésions politiciennes camouflées à l’exigence de vérité et de responsabilité pour préserver l’intérêt général, la paix et la stabilité. Le personnel politique s’acharne dans chaque camp à défendre ses petits intérêts, mais la Société civile et la presse ne peuvent s’effondrer moralement au point de perdre une crédibilité qui leur permettait d’être à équidistance des appareils politiciens et d’être la voix de la raison dans un contexte de passion et d’excitation politique. Le mélange des genres est préjudiciable au renforcement de la démocratie et de l’‘Etat de Droit.

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Le Sénégal est une démocratie dont les citoyens sont attachés à la transmission par les urnes du pouvoir politique. Mais partout les démocraties sont menacées par l’hiver populiste dont les ressorts sont difficiles à combattre, car ils puisent leur source des colères et utilisent le langage du Peuple. Le populisme ins­trumentalise les peurs et les aspirations du Peuple en convoquant le conspirationnisme et l’indexation de l’autre -ici la France- comme source des malheurs de notre pays.

Le populisme trouve un terreau fertile là où le politique fait face à une défiance croissante et ne parvient pas à satisfaire les préoccupations du plus grand nombre en luttant efficacement contre les inégalités dans la répartition des fruits de la richesse nationale créée. La corruption et la gestion indélicate des deniers publics par ceux qui gouvernent, justifient pour certains l’adhésion aux discours de M. Sonko, qui promet d’emprisonner les corrompus et de faire en sorte que les ressources sénégalaises servent aux Sénégalais.

Les procédés de Ousmane Sonko ont fait recette aux Etats-Unis avec Donald Trump, au Brésil avec Jair Bolsonaro, et peuvent arriver aux mêmes résultats si le combat culturel n’est pas mené pour lui opposer un discours radicalement républicain, afin de débusquer ses impostures et affabulations.

Je ne sais pas si M. Sonko arrivera ou non au pouvoir. Il n’est en vérité qu’un symptôme de quelque chose de plus grave, qui est relatif à un mal sénégalais et auquel il faut s’attaquer. Ce travail dépasse les mandats électoraux et concerne l’avenir du Sénégal désormais producteur d’hydrocarbures et situé dans une zone de tensions sécuritaires multiples. Notre pays ne peut faire face aux défis de l’extrémisme violent, des tentations illibérales, de l’islamisme politique qui monte chez les élites et de la défiance croissante vis-à-vis du politique sans inventer un nouveau pacte républicain. A côté des infrastructures, il nous faut propulser un imaginaire d’espérance dans un pays dont la jeunesse constitue l’écrasante majorité. C’est ainsi qu’on écrit un narratif dans lequel cette jeunesse s’inscrit pour s’éloigner de la manipulation et des aventures dangereuses.

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La fenêtre 2021-2023 qui a vu des jeunes mourir sur la base d’instrumentalisation de conflits politiques, doit nourrir une réflexion et faire aboutir à de nouveaux consensus sur la Ré­publique, la démocratie, la laïcité et le vivre-ensemble. Ce travail nécessitera des coalitions nouvelles, bâties non plus sur des logiques d’hier mais autour de nouveaux paradigmes qui appellent les républicains de toutes les rives à imaginer ensemble un nouveau projet démo­cratique, social et écologique. Ce projet devra faire de l’école et la culture des urgences, car elles constituent les plus puissants remparts contre le conspirationnisme, l’ignorance et le fa­natisme, principaux ferments contre le péril populiste.

D’ici là, des évidences me semblent utiles d’être rappelées. On ne négocie pas avec un fasciste, on le combat. On ne négocie pas avec des gens qui convoquent la menace de la guerre civile s’ils n’arrivent pas à leurs fins politiciennes, on les combat. On ne négocie pas avec des individus qui ont usé des armes du séparatisme et de l’islamisme pour s’en prendre à la République, on les combat. Les politiciens peuvent changer au gré des circonstances, des alliances et des intérêts. Un républicain lui, s’honore en toutes circonstances de combattre le fascisme quoi qu’il lui en coûte. Je me moque de leurs insultes, calomnies et menaces que j’arbore fièrement comme des médailles. Je passe outre les «craintes» et «conseils» d’amis qui invitent à sacrifier mes convictions sur l’autel de calculs au cas où M. Sonko arriverait au pouvoir. A tous ceux-là, je dis ceci : je ne peux pas ne pas haïr ce que Ousmane Sonko et le parti Pastef représentent. Ce qui enrobe et nourrit leur identité politique, je me suis fait une promesse sacrée de le combattre toute ma vie. Seul, sans camp, sans alliés, je m’honorerai encore de défendre la République qui auprès de gens comme moi relève d’une mystique intuitive.

Post-Scriptum : Ici s’achève la troisième saison de «Traverses». Le retour de la chronique est prévu en septembre.







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