On ne peut que se féliciter que Jean Luc Mélenchon, leader de la formation politique La France Insoumise (Lfi), entre en religion de républicanisme. Il a chevillé son parcours politique par un extrémisme de gauche qui remet fondamentalement en cause l’autorité de la loi et le respect des institutions. Il pourfend systématiquement les forces publiques, les institutions judiciaires et politiques, surtout si ces dernières sont incarnées par des personnes qui ne sont pas de son bord. Il suscite donc régulièrement la polémique en France et trouve, de par le monde, des amis, pour ne pas dire des alliés, les plus bizarres ; en ce qu’ils ne sont guère des modèles de démocrates ou de respectueux des droits humains, des libertés et principes démocratiques.
Mais ces dernières semaines, il a repris son duel à fleurets mouchetés avec Fabien Roussel, Secrétaire général du Parti communiste français (Pcf). Franchement, on a quelque part envie d’applaudir le «camarade» Jean-Luc Mélenchon quand il s’insurge contre l’appel de Fabien Roussel à se rassembler devant les préfectures et «les envahir même, si nécessaire», pour demander à l’Etat «d’agir» face à la hausse des prix de l’alimentation, de l’énergie et des carburants. Jean-Luc Mélenchon estime à juste raison que «cette initiative violente est purement personnelle. Elle n’a été discutée nulle part, pas même au Pcf. Je crois donc qu’il ne serait pas raisonnable de s’y associer compte tenu de la violence qu’elle supposerait dans cette impréparation totale», estime-t-il. M. Roussel avait assuré qu’il était pour «l’action non violente», mais disait craindre «des irruptions de la faim». Il poursuit : «Je préfère qu’un parti politique, [que] des organisations syndicales, [que] des associations organisent cette colère et l’expriment en direction des représentants de l’Etat que sont les préfets, mais aussi les ministres, le président de la République, pour demander (…) que ça bouge», a-t-il argumenté. Fabien Roussel avait aussi lancé un appel «à envahir les stations-service et les grandes surfaces», estimant que c’était de la «légitime défense», face à la hausse des prix. Sur les prix de l’essence et de l’alimentation, «on se fait plumer, attaquer, racketter, et on ne devrait rien dire ? Il y a des mesures concrètes à mettre en œuvre pour baisser les prix, les bloquer par le bas (…) Nous appelons à être mobilisés, à envahir les stations-service, les grandes surfaces, les préfectures, parce que l’Etat est responsable», a-t-il justifié. «C’est une question de légitime défense.»
Un vulgaire règlement de petits comptes politiques ?
On se retient à applaudir cette nouvelle posture de Jean-Luc Mélenchon, et pour cause ! Le Secrétaire général du Pcf avait maintenu sa candidature à l’élection présidentielle de 2022. La Lfi estime que n’eussent été les 2, 28% de suffrages récoltés par le candidat Roussel, Jean-Luc Mélenchon (21, 95%) aurait été qualifié à un second tour, face à Emmanuel Macron (27, 85%), car il aurait devancé la candidate du Rassemblement national (Rn), Marine Le Pen, (23, 15%). La même logique aurait pu pousser le Rn à dire que sans les candidatures de Eric Zemmour et de Nicolas Dupont-Aignan, la candidate du Rn serait arrivée en tête du premier tour !
Ironie du sort, c’est Fabien Roussel qui se démarquait ou se «désolidarisait» de Jean-Luc Mélenchon, considérant que le discours du patron des «Insoumis», sur les émeutes, est trop virulent à ses yeux. C’est dire simplement que Mélenchon reproche à son «camarade» de Gauche ses propres turpitudes et ses élans démagogiques exagérés.
La condescendance de Mélenchon envers les Africains
La politique intérieure française ou les petits crocs-en-jambe ou coups bas, ou même les petits meurtres entre amis et faux amis de la Gauche, auraient pu être le cadet de nos soucis. Mais Jean-Luc Mélenchon s’invite, régulièrement et allégrement, dans la vie politique du Sénégal pour nous donner des leçons hypocritement condescendantes. En effet, jamais le leader de Lfi n’ose se mettre devant une caméra de télévision, pour demander que le Palais de l’Elysée soit attaqué par des manifestants pour déloger le Président Emmanuel Macron, le traîner dans la rue et le découper en petits morceaux, afin de lui réserver le sort fait à Samuel Kanyon Doe, Président du Liberia, un macabre 9 septembre 1990. Jean-Luc Mélenchon ne peut dire n’avoir pas pris connaissance d’un appel similaire lancé, de manière répétée au Sénégal, par Ousmane Sonko, leader du parti Pastef. Pourtant, quand la Justice sénégalaise arrête ce leader politique, Jean-Luc Mélenchon lui apporte un soutien, pour flétrir la «dictature de Macky Sall, en marche au Sénégal». Pourtant, Jean-Luc Mélenchon voudrait ignorer les actes contre les opposants de Vladimir Poutine (Russie), de Nicolas Maduro ou de Hugo Chavez (Venezuela) ou Rafael Corréa (Equateur), d’un Bachar al Assad (Syrie).
La France Insoumise du tribun Mélenchon demande avec insistance au ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et, avant lui, à tous ses prédécesseurs à la Place Beauvau, de dissoudre des mouvements et groupes politiques d’Extrême-droite. Ces groupuscules politiques ont attaqué physiquement des élus et militants de la Lfi et incendié leurs domiciles ou attaqué et saccagé des mairies ou des postes-frontières ou des écoles. A-t-on besoin de rappeler les hauts faits d’armes du parti Pastef au Sénégal, qui a fini par faire l’objet d’une mesure de dissolution prononcée par les autorités de l’Etat du Sénégal ? Je ne pense pas que les groupuscules d’Extrême-droite française aient commis plus de dégâts et de sinistres que les hordes de militants que Ousmane Sonko et les différents responsables de son parti ont appelés, publiquement, à attaquer les édifices publics, à piller et saccager des domiciles et des biens privés. De telles émeutes ont provoqué plus de cinquante morts au Sénégal et de très lourds dégâts sociaux et matériels qui ne semblent pas émouvoir, le moins du monde, Jean-Luc Mélenchon. Peut-il cautionner un appel public lancé le 1er juin 2023 par le parti Pastef, à l’Armée nationale, à renverser le Président Macky Sall, démocratiquement élu et à s’emparer du pouvoir ? Jamais Jean-Luc Mélenchon n’oserait faire un tel appel en France ! Pourtant, il soutient les putschistes au Niger, qui ont renversé Mohamed Bazoum, un Président démocratiquement élu, comme il avait cautionné le renversement de Roch Marc Christian Kaboré (Burkina Faso), tout aussi démocratiquement élu, ou un Ibrahim Boubacar Keïta (Mali).
Le leader de Lfi s’offusque que des stations-service ou des supermarchés soient attaqués et pillés en France. A moins qu’il ne considère qu’il ne saurait y avoir de régime démocratique et de chef d’Etat démocratiquement élu en Afrique pour devoir s’épargner d’un putsch militaire ! N’est-ce pas manquer de respect aux Africains et à leurs conquêtes démocratiques ? Quid des stations-service et des supermarchés attaqués et pillés au Sénégal par des manifestants exhortés publiquement à le faire par Ousmane Sonko ? Jean-Luc Mélenchon ou un quelconque responsable de la Lfi, n’a jamais poussé ses bravades jusqu’à refuser de répondre à une convocation de police ou de Justice dans son pays. Pourtant, quand Ousmane Sonko est convoqué par des enquêteurs ou par des magistrats, la Lfi se permet de soutenir sa bravade contre les institutions judiciaires sénégalaises.
Le même Jean-Luc Mélenchon a été obligé de faire montre de contrition, pour dire ses regrets et présenter des excuses après avoir imité, avec moquerie, l’accent d’une journaliste au cours d’une conférence de presse. Lui arrive-t-il d’entendre ce que Ousmane Sonko profère comme insultes, invectives contre ses concitoyens sénégalais et même contre la France et les Français, et fait comme impolitesses au Sénégal ? Jean-Luc Mélenchon répond régulièrement à des procédures pour injures publiques et diffamation devant les tribunaux français, suite à des plaintes d’hommes politiques français ; mais quand le ministre Mame Mbaye Niang porte plainte contre Ousmane Sonko pour diffamation, Jean-Luc Mélenchon lui conteste, en quelque sorte, le droit de défendre son honneur !
De qui devrait-on apprendre ou recevoir de leçons ?
Une certaine partie de l’opposition sénégalaise, dans un esprit réactionnaire ou cherchant à s’agripper de toute attaque contre le Sénégal pour en faire des arguments dans notre débat public, se complaît à relayer les idées les plus saugrenues de Jean-Luc Mélenchon sur le Sénégal. Toutes les grossièretés et tous les dérapages, du moment que c’est le leader de la France insoumise qui le dit. C’est toujours dans un ton condescendant qui n’envie en rien le langage qu’avaient certains administrateurs coloniaux dans les territoires qui étaient sous leur tutelle ! Il faut donner la bonne leçon ou prodiguer la bonne parole à des Africains qui ne comprendraient pas forcément tous les mécanismes d’un Etat ou d’une République.
Le fonctionnement de la Justice sénégalaise, l’organisation ou non de manifestations au Sénégal, la gestion du calendrier électoral, tout passe à la loupe de Jean-Luc Mélenchon qui se plaît bien à jouer la carte de l’exotisme, à trouver un bon tweet à placer sur le Sénégal. Cela l’aide à colorer un peu son fil de monologues et diatribes sur l’Etat français ou la gouvernance de Emmanuel Macron. Le Sénégal est un ailleurs qui, dans le contexte français, est bien proche pour se faire des sympathies dans nos diasporas ou au sein d’une jeunesse dopée par des activités qui saluent tout discours hostile sur la marche de leur pays, sans chercher à les déconstruire ou étudier même la véracité des arguments mis en avant.
Le complexe que l’on cherche à inculquer à nos dirigeants, en prenant comme paroles d’Evangile toutes les sorties, les plus hasardeuses, d’un opposant français sur le Sénégal, en dit long sur une faiblesse de nos élites, de tous bords, face à la parole venue d’ailleurs. Je revenais en 2016 sur une telle logique que beaucoup d’acteurs de la scène publique sénégalaise entretenaient, de façon délibérée, à pousser à une prise en compte des intérêts de la France sur toutes les questions majeures du Sénégal. Je disais dans une chronique intitulé «Les œillères bleu-blanc-rouge», qu’on cherchait dans différents domaines, «à faire peur ou à susciter des complexes au niveau des gouvernants pour les forcer à prendre en compte les intérêts français» ; cela d’autant plus que plusieurs acteurs de l’opposition comme du pouvoir avaient tenté, par tous les moyens, d’étouffer un débat sur la détention par certains fonctionnaires sénégalais de la double nationalité, qui pourrait poser problème dans l’exercice de leurs fonctions.
Si dans le débat public, notre pays reste à l’écoute du tempo dicté par des opposants français, il n’est pas encore venu le jour où tous les adeptes du dégagisme, indexant un néocolonialisme, pourront se libérer du joug de leurs «vils» colonisateurs. Pour l’heure, Mélenchon raconte son lot de sottises sur le Sénégal quand l’envie lui vient. Les relais et l’ampleur de ses tweets le confortent dans ce jeu. Il se concentre sur un bon double standard en faisant implicitement un traitement différencié entre les cas de figure en France et ceux au Sénégal, entre ce qui vaut pour les autorités de son pays et les nôtres, le tout dans une rengaine populiste, à deux sous, dont il a le secret. Dire que ce sont des légions de «panafricanistes» souhaitant libérer le continent qui donnent écho à ses paroles, proches de prêches de missionnaires en Afrique, rend la fresque encore plus glauque. On aura tout vu.