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Professeur Iba Der Thiam, De La Trajectoire Professionnelle Et Militante Du Citoyen Historien

L’inauguration, le 10 février 2023, de l’Université Iba Der Thiam de Thiès (UIDT), m’avait imposé l’agréable devoir d’entamer ce témoignage dédié à mon défunt époux. Décédé le 31 Octobre 2020, le Professeur Iba Der Thiam était un homme exceptionnel. Je saisi l’occasion de cet anniversaire posthume pour compléter cet hommage que je rends à sa mémoire. Dans un premier jet, j’avais abordé l’identité et les valeurs de l’homme ainsi que la pertinence du système de parrainage des établissements scolaires dont il a été le précurseur. Je m’intéresse ici, à sa trajectoire professionnelle, syndicale et politique.

Il est de notoriété que l’illustre disparu a marqué des générations entières à travers son action publique unanimement reconnue. Toutefois, il faut l’admettre, si le militant Iba Der a été au cœur des nobles luttes de sa génération, il a aussi été au centre des controverses syndicales et politiques qui les ont ponctuées ! L’historien patriote a également été mêlé au débat épistémologique passionné mais riche de leçons, qui marqua la parution des premiers volumes de son projet titanesque de réécriture de l’Histoire Générale du Sénégal (HGS). C’est le sens de l’exercice, presque périlleux, auquel je me prête. En tant que témoin intime du dernier versant de sa vie, je me propose d’éclairer, de ma propre lanterne, l’itinéraire complexe du Grand Serviteur du Sénégal et de l’Afrique.

Un Historien Patriote, Enseignant jusqu’au dernier souffle

 

Persuadé, comme Cheikh Anta Diop que l’« Antériorité des civilisations nègres » loin d’être un Mythe est une Vérité historique, Der était taraudé par la question de savoir, pourquoi notre continent a autant de mal « Au plan des idées, des concepts, des symboles, des valeurs et des références, à se libérer des pesanteurs du passé, des préjugés hérités du système colonial, de l’ethnocentrisme et de l’apriorisme, des clichés, des comportements et des attitudes générées par des siècles d’endoctrinement, d’obscurantisme, de falsification des faits et de travestissements de la vérité, « de mensonge culturel », pour parler comme le regretté et sémillant Cheikh Anta Diop. » (Thiam 2009).

 

Le Panafricaniste convaincu, ne se lassait jamais de rappeler, la vérité avérée que « le monde négro-africain est, dans l’état actuel des connaissances, celui qui peut se réclamer de la plus ancienne histoire dans la trajectoire plurimillénaire de la très longue aventure humaine. C’est en Afrique qu’on situe le berceau de l’humanité. C’est, aussi, sur son sol, que se sont développées toutes les différentes phases du processus d’hominisation. Les mouvements Pan-noirs du 19ème et du début du 20ème siècles ont attiré, très tôt, l’attention sur les fastes de l’Egypte pharaonique, de l’Ethiopie Antique et sur l’éclat que l’humanisme du Soudan Nigérien a développé du 8ème au 16ème siècles, au moins ».

 

Conscient de l’urgence de déconstruire la triple colonialité du pouvoir, de l’État et des systèmes de savoir dominants (Lander, 2000 et Quijano, 2007) qui pèse sur le Continent, Iba Der s’est très vite attaqué aux disfonctionnements de notre monde asymétrique. Il trouvait paradoxal que la pensée africaine, pourtant antérieure, réelle et audible soit aujourd’hui marginalisée, réifiée et vassalisée. 

 

Instituteur ayant gravi tous les échelons de la fonction enseignante, Iba Der Thiam est un exemple pour tous ceux qui croient que la pugnacité est la clef de la réussite. Promu en 1983, Ministre de l’Education Nationale, par le Président Abdou Diouf, qui adjoignit à ce Portefeuille, celui de l’Enseignement Supérieur de 1985 à 1988, Der demeura un pédagogue résolu jusqu’à son décès. Le Grand Professeur n’a jamais cessé d’enseigner et encadra à ce titre plusieurs Thèses et Mémoires.

 

La brillante trajectoire de ses étudiants en thèse, parmi lesquels Kalidou Diallo et Mor Ndaw qui, à son image, sont passés du statut d’instituteur à celui de professeur des universités, illustre à volonté, l’empreinte qu’il aura imprimée à ses fils institutionnels. Comme lui Kalidou, le continuateur de ses travaux sur le mouvement syndical au Sénégal, sera Ministre de l’Education Nationale. Comme lui, Mor Ndaw, actuel directeur d’une école doctorale, a été Inspecteur Général de l’Enseignement Secondaire. Parmi les premiers docteurs dirigés par le Professeur, il faut signaler l’historien artiste, Abdarahmane Ngaïdé, Omar Guèye, Gana Fall et tous ses autres fils que je n’ai pas pu citer.

 

Le Professeur Mor Ndaw, avec ses collègues du département d’histoire, Dr Daouda Diop et Dr Abdou Karim Tandjigora ont coordonné, avec un grand succès la publication et le lancement des « Mélanges dédiés au Professeur Iba Der Thiam ». Il en a été de même pour la cérémonie d’inauguration de l’UIDT, organisée avec panache, par l’ancienne Rectrice, Pre Ramatoulaye Diagne Mbengue. Ces événements ont été brillamment modérés par les Pr Mbaye Thiam et Lamane Mbaye. Je voudrais saisir cette occasion pour leur exprimer ma gratitude, ainsi qu’aux plus hautes autorités qui y ont été présentes et à tous ceux et celles, dont la seule présence est un témoignage d’amitié.  C’est le meilleur hommage que la République et le monde universitaire pouvaient offrir à l’illustre défunt !

 

L’historien émérite ne s’est jamais départi de sa ferme résolution de défendre l’identité culturelle sénégalaise et africaine. Avec son style singulier, c’est d’abord en pédagogue qu’il occupa sa discipline. Ses publications ont, entre autres, contribué à répondre à l’impératif de disposer, de livres adéquats au double plan culturel et technique dans des matières importantes. Il dota son pays de huit (08) manuels structurants respectivement intitulés : Histoire du Sénégal et de l’Afrique ; Géographie du Sénégal ; Mon premier livre de Géographie ; Les Atlas Jeune Afrique (Sénégal) ; Instruction Civique classe de Sixième ; Instruction Civique classe de Cinquième ; Instruction Civique classe de Quatrième et Instruction Civique classe de Troisième. Ces ouvrages, conformes à son orientation patriotique, sont encore en usage dans les enseignements primaires et moyens du Sénégal. Ils permettent à la jeunesse de fixer leurs repères, de bien s’arrimer à la culture de leurs terroirs et de cultiver le civisme pour être des bons citoyens du monde.

 

Sa production scientifique inclut, entre autres, les publications intitulées : Maba Diakhou Bâ, Almamy du Rip (Sénégal), Paris, ABC, 1977 ; Le Sénégal dans la guerre 14-18, ou le prix du combat pour l’égalité, Dakar, Les Nouvelles Éditions Africaines, réédité en 2009 ; Histoire du mouvement syndical africain, 1790-1929, L’Harmattan, 1993 ; Histoire des Communes et leur rôle dans la construction de la démocratie sénégalaise et dans l’émergence d’un leadership indigène (Des premiers contacts au début du XXe siècle), NEAS – 2014 ; La Révolution de 1914 au Sénégal ou l’élection au Palais Bourbon du Député noir Blaise Diagne (De son vrai nom Galaye Mbaye Diagne) (Tome 1) – L’Harmattan Sénégal, 2014. Son tout dernier ouvrage a été édité, à titre posthume, par le Pr Mamadou Fall, actuel coordonnateur de l’HGS, qui le présente ainsi :

 

Ce livre porte sur la Tidjania. On y retrouve tout le talent, la générosité et le courage lucide de Iba Der Thiam. Il se fait l’écho d’un mémorable débat entre Amadou Bamba et Khali Madiakhaté Khala sur le sens et la portée de l’action d’un des disciples épigone du jihad de El Hadj Omar Tall : Akhmadou Sheikhou. Les armes de la guerre sainte s’étaient à peine posées qu’il fallait en analyser les ressorts, la portée et la signification. Les arguments, les hypothèses et les paradigmes se croisaient déjà dans ce moment fondateur de notre historiographie. La démarche de Iba Der est celle d’un historien engagé dans une relation sympathique avec son objet. Le texte est déroulé comme un chapelet de l’initié au « wird » Tidiane qu’il est. (Fall 2022).

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Au plan continental et international, Pr Thiam figure parmi les principaux rédacteurs de l’Histoire Générale de l’Afrique (HGA), réalisée par l’UNESCO. Directeur des volumes VI et VII de l’HGA dédiés à l’Histoire du Développement Scientifique et Culturel de l’Humanité ; Co-directeur de l’Histoire de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ; Co-auteur du Tome VI (Parties I et II) de la Collection « Les différents aspects de la civilisation islamique » – UNESCO 2017-, le Professeur a également participé à plusieurs ouvrages collectifs dans la Collection traitant des différents aspects de la civilisation islamique, sous l’égide de l’UNESCO et de l’ISESCO.

 

Il a également publié plus de 450 articles, conférences, communications, préfaces scientifiques, politiques, économiques et culturels, dans des revues et journaux et à l’occasion de manifestations scientifiques qui traitent de thèmes tellement divers qu’ils confirment encore son éclectisme déjà souligné. Il était le Président de la Commission Nationale chargée de célébrer la Journée du Tirailleur Sénégalais et a également été le Président du Comité pour la Valorisation des Archives de Thiaroye 44 « COVART 44 ». C’est le lieu de reconnaître ses compagnons dans ce parcours, le Pr Mamadou Koné et le Colonnel Birama Thioune, ainsi que le soutien de tous les généraux, chefs d’état-major de notre armée, qui l’ont soutenu dans cette mission.

 

Coordonnateur Général du projet Histoire Générale du Sénégal des Origines à nos Jours, de 2013 jusqu’à son éclipse, il dédia les dernières années de sa vie à cette œuvre monumentale. Ce projet qui vise à retracer la cohérence de l’évolution générale du Sénégal, des origines du peuplement à nos jours dans les différents domaines de la vie politique, économique, sociale, syndicale, diplomatique, institutionnelle, scientifique, technique et culturelle, a occupé le dernier versant de sa vie. Il s’est consacré, corps et âme, à en démontrer la rationalité, le but et la méthodologie et à lui donner corps. L’HGS est mise en œuvre par une équipe multidisciplinaire composée d’historiens et de chercheurs des différentes régions ou de la diaspora, appartenant à toutes les disciplines capables de contribuer à la reconstruction du très précieux héritage, qu’est la mémoire de notre peuple, et la construction de repères nationaux communs. (Note conceptuelle HGS).

 

Les cinq volumes, publiés de son vivant ont, de l’avis des éditeurs, déjà contribué « à reconstruire sur la très longue durée la trame des événements historiques qui permettent d’appréhender toute la complexité des facteurs essentiels d’explication de ce qui fait le Sénégal actuel et son identité, à travers la contribution de ses populations, à l’édification de son unité territoriale et à l’avènement des valeurs communes qui fondent et justifient son attachement au pluralisme, à la démocratie, à la justice, à la paix, à la solidarité, à la dignité et au développement, dans le respect des différences ».

 

A l’instar de beaucoup de travaux scientifiques structurants, ces publications inaugurales avaient suscité débats et passions. Avec la détermination de la nouvelle équipe dirigeante de l’HGS, il ne fait nul doute que toutes les leçons seront tirées, sans concession, du débat critique et salvateur, que notre passion partagée pour cette histoire qui nous touche dans nos identités intimes, avait soulevé, avec bonheur. La nouvelle équipe et le comité de pilotage d’HGS, s’acquittent magistralement du viatique reçu. Avec ardeur et hardiesse, ils s’attèlent à la tâche de parachever cette œuvre de rédemption africaine que Iba Der Thiam a commencé avec eux. Ils perpétuent la collégialité, la synergie créatrice et le sens de l’éthique qui a toujours été le label de l’HGS. En toute modestie, certains ont même affirmé, que le regretté Historien est irremplaçable. Mais, je voudrais, ici, confesser qu’en les écoutant, je suis constamment émue de redécouvrir que ni le talent oratoire, ni la mémoire des faits, ni la verve du tribun, ni le savoir encyclopédique, ni même la conviction exubérante de l’historien militant, n’a disparu avec l’éclipse du Grand Professeur. Je demeure convaincue que la moisson sera encore plus généreuse et les contributions toujours pertinentes pour réaliser la totalité des objectifs fixés.

 

Quelle agréable impression de voir certains d’entre eux, croiser, si élégamment, le fer des idées avec l’incorrigible race des détracteurs du projet ! Loin de s’éteindre avec la disparition de Super Der, les fossoyeurs de la ligne éthique et scientifique de l’HGS semblent revigorés par le « courage » sans gloire de s’attaquer à l’honneur du vaillant guerrier endormi. Ces « contradicteurs fugitifs » savent pourtant très bien que même dans sa nouvelle tanière pour un repos mérité, le défunt lion, qui n’a jamais connu la peur, a encore à sa portée la réplique toujours saillante du batailleur aguerri. En vrai gentlemen, la vaillante équipe de l’HGS a insufflé un nouvel élan à la résilience de roseau de leur preux légataire. Comme le digne héritier de Mbakhar Thiam, ils ne se dérobent nullement quand la confrontation s’impose. Comme leurs glorieux prédécesseurs, ils savent affronter, avec classe et célérité, toutes les formes d’adversité !

 

A cette belle équipe, je rappelle que, comme moi, le public du Sénégal, de l’Afrique et tous ceux qui, dans le monde entier, sont férus d’une histoire africaine réhabilitée et remise sur ses pieds, attendent, impatiemment de découvrir les dix ouvrages produits dans l’année consécutive au décès du Professeur et la suite imminente. Nous savons déjà qu’ils s’inscriront dans le même ancrage local de la production historique des cinq premiers volumes. Nous savons également que ces nouvelles publications seront dans la continuité de la logique d’intégration (..) de chaque lieu de mémoire, chaque grand témoin dans un contexte régional et panafricain comme le dit si bien le coordonnateur.

 

Un syndicaliste organique doublé d’un militant politique

 

L’existence de Iba Der Thiam a également été, une vie de combat sans répit pour l’indépendance du pays et les libertés syndicales ; Combat pour la souveraineté effective et totale du Sénégal et de toute l’Afrique ; Combat pour le progrès social des populations du Sénégal, de notre continent et de ses Diasporas. C’est là que réside la signification du saut qualitatif qu’il effectua, très tôt, en renforçant son statut de syndicaliste par un engagement politique constant et fécond, tout au long de son histoire. Combattant des bonnes causes, Der a été un acteur central des polémiques politiques qui ont marqué l’Afrique depuis l’aube des luttes pour la liberté de nos peuples.

 

De 1955 à 1958, il est élu président de la « Jeunesse scolaire de Kaolack » (JSK), une Association calquée sur le modèle Jeunes Turcs, Jeunes Egyptiens, Jeunes Tunisiens, Jeunes Algériens, qui eut un impact certain sur son orientation patriotique et panafricaniste. C’est ainsi que, dès ses 18 ans, il fût un membre influent du Comité de coordination des Associations scolaires du Sénégal, membre du Rassemblement de la Jeunesse Africaine (RJDA) et du Conseil de la jeunesse du Sénégal.

 

C’est suivant une logique toute transparente que le militant et spécialiste du mouvement syndical adhéra au Parti Africain de l’Indépendance (PAI), dès les lendemains de sa création, en septembre 1957 à Thiès. Cette cité rebelle a été le théâtre des grandes grèves de cheminots de 1938 et 1947, projetées au cœur des travaux de l’Universitaire Iba Der Thiam. Quoi de plus naturel que ce soit dans ce parti de gauche, qui opta clairement, dès ses débuts, pour le socialisme avec une orientation résolue pour le marxisme-léninisme, le panafricanisme et le pan-négrisme, que Iba Der effectua ses premiers pas en politique ?

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Après avoir fourbi ses armes au PAI, l’homme politique Iba Der avec d’autres compagnons rejoignirent le Parti du Regroupement Africain-Sénégal (PRA-Sénégal), créé en septembre 1958, qui fort de son idéal panafricaniste adhéra au Parti du regroupement africain (PRA). On remarque, pourtant que, comme beaucoup de combattant de sa génération, Der n’a jamais rompu avec les objectifs déclarés du PAI, son parti originel. Tout au long de son itinéraire politique, « la défense de la cause de tous les noirs », « la lutte pour l’unité africaine » et « la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme » ont servi de colonne vertébrale à l’action syndical et politique du militant Iba Der Thiam. Ses camarades, qui sont encore en vie, peuvent témoigner avec moi, que si les divergences, surtout tactiques, ont certes conduits certains d’entre eux, à emprunter des pistes différentes (mais souvent convergentes), les mots d’ordre du PAI : Mom sa reew pour l’indépendance, Bok sa reew pour l’unité nationale et Défar sa reew pour la construction nationale et le développement, sont toujours restés au centre de leur foi ultime.

 

La trajectoire syndicale et politique du citoyen engagé, Iba Der Thiam s’identifie, en effet, à la logique mouvementée de l’histoire politique du Sénégal. De 1960 à 1973, le Sénégal a officiellement vécu sous le régime du parti unique de l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS), créée en 1958 par Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor. Ce dernier, élu Président de la République en 1960 resserra l’étau. Le PRA-Sénégal et le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) ont ainsi intégré l’UPS, pendant que le PAI, le Front National Sénégalais (FNS), etc., ont été dissouts. Ce n’est qu’en 1974, avec la conjonction des luttes estudiantines, de l’action syndicale et des groupes politiques clandestins, mais également la pression du peuple et de l’opinion internationale que le président Senghor autorisa la création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) de Maître Abdoulaye Wade.

 

Combattant indomptable, le dirigeant syndical a été présent sur tous les fronts de la lutte pour revendiquer et faire respecter les droits des travailleurs. Ancien Secrétaire Général du Syndicat Unique de l’Enseignement Laïc (SUEL) et du Syndicat des Enseignants du Sénégal (SES) de 1966 à 1972, ancien membre du Bureau de l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal (UNTS), le militant indocile a été arrêté trois fois et mis en prison pour activités politiques et syndicales. Sa dernière condamnation sous le régime Senghorien, en 1971, devait durer trois ans, avant qu’il n’obtienne une remise de peine par grâce présidentielle, après neuf mois de détention.

 

Il me plait de souligner que cette période a beaucoup raffermi les liens qui unissent Iba Der et Thiès, cette plate-forme des insoumis qui accueille aujourd’hui l’Université à laquelle, le Président Maky Sall a bien voulu donner son nom. Iba Der et la cité du rail partageaient, en effet, la même grille de principe fondée sur la résistance. L’esprit et la lettre du syndicalisme, dont Thiès a été la capitale attitrée, ont été les constantes dans l’itinéraire curviligne de Der le combattant. Sous cet angle également, les jeunes étudiant-e-s de l’UIDT peuvent et doivent être fiers de leur Parrain.

 

C’est aussi en acteur déterminé que l’historien engagé a été un témoin privilégié de la révision constitutionnelle du 19 mars 1976, qui porta le nombre des partis à trois au maximum, soumis à la règle de représenter des courants de pensée différents. L’UPS s’arrogea l’étiquette socialiste et démocratique et prit sa nouvelle appellation, de Parti Socialiste (PS) en décembre 1976. Le courant Libéral et démocratique fut affecté au PDS. Des différents démembrements issus du PAI historique, seule la faction dirigée par Majemouth Diop fut reconnue.  Le courant communiste ou marxiste – léniniste lui fût attribué et la reconnaissance officielle de l’appellation d’origine, PAI-Sénégal. Avec la révision constitutionnelle du 28 décembre 1978, le nombre des partis fut porté à quatre. Le nouveau courant, représentant le centre ou le conservatisme, fut attribué au Mouvement Républicain Sénégalais (MRS), fondé par Maître Boubacar Guèye.

 

En décembre 1980, le président Senghor dévoila sa double décision de quitter le pouvoir en se faisant succéder par son Premier Ministre Abdou Diouf. Pour le citoyen militant Iba Der Thiam comme pour tout le pays d’ailleurs, ce fut un tournant important ! Toutes les victimes des persécutions de Senghor se mobilisèrent, avec des directions différentes, les uns pour continuer de faire face au nouvel avatar du régime et les autres pour accompagner les réformes hardies que le nouveau Président entreprit. Parmi les premières mesures, l’abrogation de la Loi des quatre courants, remplacée par la Loi n°81 – 16 du 6 mai 1981 modifiant l’article 3 de la Constitution qui instaura le multipartisme intégral. La métaphore inspirée du président Diouf, « la Mosquée est ouverte et tous les muezzins autorisés à lancer leur appel à la prière » ne « tomba pas dans l’oreille de sourds ».  Beaucoup de « feddayin » saisirent la balle au bond pour fonder leurs « chapelles partisanes » et obtenir un récépissé pour leur clan politique.

Cependant, la tactique d’Abdou Diouf ne se limita pas aux réformes. Dans la perspective des élections de 1983, il ficela une stratégie féconde pour garder le pouvoir. Des pans entiers des élites nationales décidèrent également de l’accompagner. Il fut plébiscité par les principaux foyers maraboutiques et obtint le « Ndiguel » du Khalife général de la confrérie mouride. Bien au-delà de la communauté mouride, la puissance du discours de Serigne Abdou Lahad Mbacké frappa la mémoire du Sénégal. D’autres centres de la Tidjania lancèrent aussi des appels au profit du Président musulman qui s’était rendu, plusieurs fois à la Mecque. Le très influent Cheikh Omar Mountaga Daha Tall, petit fils du Grand Djihadiste de l’Islam El Hadji Omar Tall, séjourna longuement au Fouta pour apporter son soutien actif au candidat Abdou Diouf. Mais ce qui était, le plus singulier, c’était la multitude de mouvements de soutien dont certains étaient portés par des « intellectuels patriotes » et avaient une résonnance nationaliste. (Tamba 2011).

Dans cette mouvance, le militant Iba Der prit fait et cause pour le président Diouf. Comme à l’accoutumée, il avança sans masque. Toujours, à l’avant-garde des causes qu’il défend, Super Der démultiplia les fronts. En sus de sa qualité de « Membre de l’Appel des 1500 » lancé en 1981, il fut le Président du Groupe d’Etudes et de Réflexion pour un Sénégal Nouveau (GRESEN), puis fonda le Mouvement « Abdo ñu doy » (Notre confiance va à Abdou). Éternellement égal à lui-même il soutînt, de toutes ses forces, celui qu’il considérait, à cette époque-là, comme le principal porte-étendard des intérêts du pays. 

A sa sortie du gouvernement, le 05 Avril 1988, Iba Der poursuivit son action politique. Ses divergences avec certains pôles du pouvoir avec qui il avait déjà connu des antagonismes, surtout autour de son projet d’école nouvelle, a fini par se muer en une cristallisation avec le régime. Au début des années 1990, Der se retrouva, de nouveau dans l’opposition contre le Parti Socialiste et son chef, Abdou Diouf. Ce qui peut apparaître à première vue comme un changement de cap est pourtant un itinéraire logique pour qui connait Iba Der Thiam. Convaincu qu’il était de ne devoir sa loyauté qu’à ce qu’il considère conforme aux intérêts du Sénégal, Iba Der a toujours été constant dans sa position de patriote libre et incorruptible. Généreux dans tous ses engagements, il était foncièrement indépendant dans ses prises de décision et rebelle à toute forme d’asservissement. Sa posture était toujours conforme à la morale du croyant qu’il était.

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Avec le multipartisme illimité, qui est toujours de mise, Der et ses camarades créèrent leur propre formation politique, la Convention des Démocrates et des Patriotes Garab-Gi (CDP/Garab-Gi) dont le récépissé lui fut délivré le 13 juillet 1992. Ses compagnons lui firent l’amitié de le propulser au rang de Secrétaire Général (SG) du Parti. A deux reprises, ils l’ont investi comme candidat aux élections présidentielles de 1993 et 2000. Ayant eu la chance de côtoyer les dirigeants de cette formation, j’ai toujours pensé qu’au-delà du projet politique, leur véritable liant résidait dans leur commune conviction que l’action partisane doit être fondée sur l’éthique et les valeurs cardinales de notre société. Leur foi inaliénable dans la primauté de l’intérêt supérieure de notre nation par rapport à leur propre destin a toujours guidé leurs options.

C’est lors des élections législatives de 1993 auxquelles, la CDP/Garab-Gi participa sous la bannière de la coalition « Jappoo Liggeyal Sénégal » fondée avec And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ-PADS) de Landig Savané et le Rassemblement National Démocratique (RDN) de Madior Diouf, que Iba Der fit sa première entrée comme Député à l’Assemblée Nationale. Pendant cinq législatures, de 1993 à 2017, il y sera successivement élu. Pendant deux législatures, il fut, le Premier Vice-président de l’Assemblée Nationale du Sénégal.  Ce bail, qu’il noua avec la nation sénégalaise dura pendant 24 ans ininterrompus. Ce fut une période centrale dans la trajectoire politique de l’éminent militant. Ces nombreuses prestations pertinentes, percutantes, imbues de justice sociale et toujours du côté des dominés, lui valurent le surnom mérité de Député du Peuple.

Ce n’est possible de survoler, ici, le trajet florissant de l’ancien Coordonnateur du Front pour l’Alternance (FAL) et du Regroupement des partis politiques de la Majorité présidentielle, dénommé « Convergence des Actions autour du Président pour le 21ème siècle » (CAP-21) sous le Président Abdoulaye Wade. Le Président Wade lui proposa les fonctions de Président du Conseil de la République pour les Affaires Economiques et Sociales (CRAES), quatrième personnalité de l’Etat et plus tard celle de Ministre d’Etat auprès du Président de la République, qu’il déclina poliment en faveur de sa nette préférence de continuer à servir le peuple sénégalais en tant que Député.

Parmi ses principaux camarades de la CDP/Garab-Gi, je voudrais ici citer le SG-Adjoint, le très fidèle Ibrahima Fall, son complice de toutes les causes. Quelques portes étendards, dont Mamoussé Diagne, le porte-parole unique de Iba Der en politique, Thierno Lo, Tidiane Ly, tous les membres du Groupe de Rufisque, Isma Dioum, Abdourahmane Seck dit Omer, Meïssa Bèye, Bassirou Guène, Gana Ndour, Mansour Aw, Alassane Ba, Mbaye Sy, Mbaye Sall, Malick Sy, Youssou Sow, Diégane Guèye, Sogui Tine, entre autres personnalités qui figuraient parmi ceux qui portèrent le parti.

Il importe également de nommer les valeureuses dames dont Marème Wane Ly, la première femme candidate à l’élection présidentielle sénégalaise, les fidèles comme Maty Thiaw, Fatou Ba, Adja Oumou Diallo, Rama Sow, Aida Gassama, Aïssatou Ba, Bety Ngom, Mama Mangane et toutes mes autres Ndieuké (belles sœurs) que je tiens encore en très haute estime.  Le mouvement était vaste et porteur d’espoir pour beaucoup de jeunes patriotes qui voyaient, en Iba Der une personne intègre et honnête. Des personnalités comme Abou Aziz Kébé, les jeunes Papa Sadio Thiam, le premier de ses neveux à adhérer au Parti, Ibrahima Faye son ombre de toujours, Mamadou Diakhaté, Mawa Ndiaye, Doudou Koulibaly, Ndiaye Diop, Ismaila Madior Fall, Mor Thioub, Mamadou Ndione, Maimouna Ndiaye, Lémou Niang, Khady Ndiaye, Tidiane Baldé et tous les autres qui se retrouvent aujourd’hui dans d’autres partis ou non, mais souvent avec la même sincérité.

Je m’incline devant la mémoire de Falilou Fall, Moussa Bayo, Serigne Taiba Sarré, Pathé Ndiaye, Guédé Diouf, Abdoulaye Diagne, Aly Thiobane, Khady Guène, la grande artiste Mame Saye Diop, Pauline Sène, Mame Basse, toutes et tous les patriotes qui nous ont devancé. Paix à leurs âmes !

Pour ne pas conclure sur ce registre central de la vie du patriote émérite, je voudrais simplement confier aux observateurs non avertis, pour qui la trajectoire du militant Iba Der Thiam pourrait apparaître faussement versatile, que ce qu’il importe d’en retenir c’est que dans toutes ses postures, toute sa vie durant, sa seule boussole était le Sénégal. L’Afrique était sa patrie et la Ummah sa Communauté. Son engagement militant repose sur la même sincérité. Au pouvoir comme dans l’opposition, il demeurait fidèle à ses convictions et défendait ses idées avec la même la verve et les mêmes discours toujours engagés.

C’est avec la même générosité parfois débordante, les mêmes superlatifs qu’il aimait aligner, que Der parlait de ses camarades mais aussi de ses adversaires du moment. Même quand il les avait soutenus, dans des périodes où il croyait qu’ils incarnaient au mieux les intérêts du Sénégal, il n’hésitait pas à traduire son état d’âme au moment où il posait ses actes. Iba Der Thiam était toujours quitte avec sa conscience. Il ne se souciait pas des commentaires que suscitaient ses partis pris, car il était constamment certain d’avoir agi dans l’intérêt stricte du Sénégal.

Désintéressé, qu’il était de toutes formes de prébendes, de richesses matérielles et même de prestige, son intégrité était reconnue de tous. Iba Der était un combattant à la foi inébranlable, qui avançait en politique comme en religion. Toute sa vie durant, ce sont ses seules convictions, qui ont guidé, en dernière instance, toutes ses décisions.

HOMMAGE-ANNIVERSAIRE À IBA DER THIAM

Eléments de Bibliographie

Fall Mamadou, 2022, Discours prononcé lors de la cérémonie de lancement des « Mélanges dédiés au Professeur Iba Der Thiam », Dakar, UCAD.

Lander Edgardo (dir.), 2000, La colonialidad del saber: eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas, Buenos Aires CLACSO, Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales, p.4-23.

QUIJANO Aníbal, 2007, “COLONIALITY AND MODERNITY/RATIONALITY”, Cultural Studies, 21: 2, 168 — 178. DOI: 10.1080/09502380601164353 URL: http://dx.doi.org/10.1080/0950238060116435

Tamba Moustapha, 2011, Mutations politiques au Sénégal : Bilan de cinquante ans d’indépendance (1960 – 2010) https://docplayer.fr/23863311-Mutations-politiques-au-senegal-bilan-de-cinquante-ans-d-independance.html

Thiam Iba Der, 2009, « De la Nécessite de Faire Appel à d’autres Sagesses et Cultures pour enrichir l’histoire de la Démocratie Et des Droits Humains », Série de Conférence sur la Renaissance Africaine, UCAD, Dakar, Sénégal.

Cette partie repose essentiellement sur les différentes « biographies » de Iba Der dont le Curriculum Vitae celle qu’il avait lui-même élaboré, qui a été plusieurs fois repris en particulier la version proposée par Kalidou Diallo et celle de Mor Ndaw.







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