Le 3 avril dernier, la classe politique sénégalaise et sous régionale était réunie autour de Bassirou Diomaye Faye, tout nouveau président élu de la république du Sénégal pour son investiture. 5ème depuis la création de l’Etat sénégalais, il est le plus jeune président de toute l’histoire politique du pays. Comme quoi, on peut être sous les tropiques des pays sub-sahariens et avoir des jeunes présidents élus démocratiquement pour présider aux destinées de leur peuple. Comment en dépit de toutes les tracasseries politico-judiciaires, Faye a-t-il réussi à faire ce qui est considéré comme un grand exploit vu comment les choses se passent dans les pays africains en termes de démocratie ?
Contexte historique endogène
Le 1er aspect est (il est important de le rappeler), que le Sénégal est le seul pays en Afrique de l’Ouest, à n’avoir connu ni de coups d’état militaire, ni de guerre civile de toute son histoire politique. Ce qui fait que malgré tous les soubresauts politiques possibles, la stabilité institutionnelle est la caractéristique essentielle de ce pays frère. De Senghor à Faye en passant par Diouf, Wade et Sall, il eut des successions démocratiques qui permirent au pays de renforcer son encrage en termes de stabilité politique.
Le 2ème aspect de la société sénégalaise est son homogénéité ethnico-religieuse. Le wolof est parlé à plus de 80% par la population (il est aujourd’hui la 2ème langue nationale officielle) après la langue française, et l’Islam orthodoxe et tolérant est pratiqué à plus de 95%. Ces deux éléments conjugués ensemble, font qu’il existe la véritable conscience d’une identité nationale et une réelle conscience d’appartenance très pointue à une nation. Ce qui fait que le jeu politique est au-dessus des considérations des clivages ethniques et religieux : La nation d’abord.
Le 3ème aspect enfin, est la solidité du système éducatif du pays. Déjà durant la période coloniale, Dakar était la plate-forme de l’élite ouest-africaine. Ce n’est donc pas une surprise que l’université Cheick Anta Diop de Dakar fasse partie des meilleures d’Afrique. La stabilité politique et culturelle aboutit bien évidemment à un système éducatif stable et performant. Quand le système éducatif d’un pays est stable par la volonté politique, les exemples à suivre pour la jeunesse ne sont pas les influenceurs des réseaux sociaux, tiktokeurs ou rigolos de la république sans oublier l’arnaque à ciel ouvert etc.
Ces trois facteurs mis ensemble créent des conditions de lutte démocratique plus ou moins à la loyale.
La lutte démocratique du PASTEF
C’est dans ce contexte stable, vues les nombreuses insuffisances et tares de la société sénégalaise que des jeunes syndicalistes, cadres fiscalistes décident de monter au créneau et faire front. Ils s’engagent dans une lutte démocratique non sans prendre des risques énormes y compris la perte de leur boulot et de leur liberté. Ousmane Sonko, le leader de ce nouveau mouvement va très vite acquérir l’adhésion populaire, surtout de la jeunesse afin de faire bouger les lignes. Par leur mobilisation, ils vont réussir à obtenir des acquis démocratiques avec l’obtention de sièges au parlement, des communes, mais aussi et surtout faire barrage à la volonté du locataire du palais du Plateau de Dakar de faire un 3ème mandat.
Ce ne fût pas facile. Car mener une bataille politique entre la perte de son travail et de sa liberté y compris son intégrité physique, n’est pas chose aisée. Leur ténacité, cohérence et résilience finiront par payer et l’ancien régime jettera l’éponge de son projet d’un 3ème mandat. Pour anecdote, je disais à un collègue très proche du dossier sénégalais que l’annonce officielle de Macky Sall de ne pas faire un 3ème mandat mettrait Sonko en difficulté parce que connaissant un peu la psychologie des hommes politiques africains, leur stratégie idéale est : « Pas moi, toi non plus ! ». J’avais donc suggéré qu’il serait donc judicieux pour Sonko de trouver une autre alternative crédible pour parer à toute éventualité et éviter toute mauvaise surprise. Deux solutions se présentaient à lui : soit mettre la pression populaire pour faire céder Macky Sall pour une transition politique avant la fin de son mandat, soit trouver un autre cheval gagnant en cas de difficulté ou même de disqualification. A peine annoncé que les déboires judiciaires de Sonko ont commencé. Invalidant ainsi, sa candidature à la présidence de la république sénégalaise. C’est alors qu’il sort alors son joker gagnant, compagnon de lutte et de prison, loyal, pour affronter le candidat du régime. Il passe haut les mains dès le 1er tour avec plus de 50% des voix. L’exploit de cette équipe à la stratégie gagnante nous pousse à nous demander ce qu’est la politique. D’où la nécessité d’un bref rappel.
La politique démocratique au cœur de République
La politique démocratique et républicaine, désigne un domaine spécifique et fondamental : celui de la prise en charge commune, par la pluralité des citoyens sur un pied d’égalité – dans la délibération, l’action et la décision –, des affaires communes. Pour mieux expliciter la politique démocratique, nous partirons de deux tendances mises en confrontation. D’abord selon Julien Freund : « Le but spécifique du politique se détermine en fonction du sens d’une collectivité, c’est-à-dire il consiste dans la volonté d’une unité politique de conserver son intégrité et son indépendance dans la concorde intérieure et la sécurité extérieure ». Cette vision conservatrice permet de compter trois dimensions de la politique : ainsi, la finalité spécifique de de la politique est la recherche du « bien commun », ou de l’« intérêt commun » selon les mots Jean Jacques Rousseau, ou le « bien du pays » selon Alexis Tocqueville ; en outre, la sécurité intérieur dans le lien conflictuel avec les autres entités extérieures, pour parvenir à la paix ; enfin, la concorde intérieure et la prospérité.
Quant à Hannah Arendt, la politique ne se réduit pas uniquement à l’existence et au fonctionnement d’une communauté jugée indispensable pour satisfaire des besoins que chacun ne peut satisfaire tout seul. En partant de la définition aristotélicienne de « politique », elle met en lumière sa conception contemporaine du concept. Car si le terme « politique » a émergé avec la cité antique, et notamment avec la cité athénienne au 5ème siècle – c’est-à-dire avec l’émergence de la démocratie –, c’est pour signifier tout autre chose, qu’Aristote aurait bien saisi ensuite dans sa Politique. Dans ce sens spécifique plus libéral, la cité est liée à la liberté, c’est-à-dire à l’absence de domination : « dans cette acception grecque, le politique est donc centré sur la liberté, la liberté étant entendue négativement comme le fait de ne pas être dominé et de ne pas dominer, et positivement comme un espace que seul le grand nombre peut construire et où chacun se meut parmi ses égaux »
Ainsi donc, là où Freund lie profondément la politique aux questions de commandement et à la constitution d’une identité communautaire durable et de facto inséparable de l’Etat, Arendt fait référence tacitement à une politique démocratique qui doit advenir par-delà des formes de commandement et par-delà aussi les catégories de étatiques. Ces deux lectures nous mettent sur la piste selon laquelle la politique relève de la prise en charge des affaires communes et publiques, et ce sens diffère radicalement de la gestion des affaires privées et particulières. De même, il peut y avoir tension, contradiction et antagonisme – mais aussi complémentarité – entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public. En somme, dans les deux définitions de la politique est engagée une vision du « bien commun » ou de l’« intérêt général ».Quelles leçons tirer donc de la victoire éclatante du PASTEF ?
Les leçons de cette victoire 0du PASTEF
La 1ère leçon à retenir est que la victoire politique voire démocratique ne s’improvise pas. Il s’agit d’un travail constant, laborieux, en équipe. Ousmane et ses amis ont bataillé pendant plus de 10 ans à occuper le terrain politique en expliquant la différence entre leur vision et celle du régime de Macky Sall contre vents et marrées. Ils ont fait un véritable corps à corps avec l’électorat.
La 2ème leçon est que le messianisme politique n’a plus droit de cité sous nos tropiques. La posture de se présenter comme l’unique capable de battre un adversaire ou même de gagner une bataille politique est révolue. Ousmane n’a pas hésité à se mettre de côté pour soutenir son compagnon Faye pour en faire le cheval gagnant dans un tandem sûr et solide, qui du moins est né et a vécu tout le temps à l’intérieur du Sénégal. Car ils connaissent les réalités de leurs concitoyens.
La 3ème leçon est qu’aucune victoire politique n’est possible sans conviction réelle et infaillible. La stratégie politique qui consiste à se cacher derrière des rumeurs pour avancer en eaux troubles ne peux plus prospérer en Afrique. Il faut certes, des moyens pour faire la politique, mais il n’y a pas que ça. C’est la valeur intrinsèque et convaincante avec un discours cohérent et réaliste qui amène les gens à suivre.
Conclusion et Suggestions à la nouvelle équipe du Sénégal
La brillante victoire du PASTEF est due au combat politique avec des conditions endogènes plus ou moins d’homogénéité et de stabilité. Elle pourrait ouvrir une nouvelle ère démocratique en Afrique. En revanche, vu le chemin parcouru pour réussir leur mission, il faut :
Que le principe de loyauté et de cohérence entre eux (surtout le tandem Sonko-Faye) soit maintenu afin de rendre ce tandem gagnant plus fort et sûr.
Qu’ils n’oublient pas ce pourquoi ils se sont battus durant toutes ces années, et restent fidèles aux idéaux et valeurs dans lesquels ils ont cru qui leur a valu toutes ces souffrances
Qu’ils n’oublient pas leur histoire, encore moins le peuple qui les a soutenus au prix des vies humaines tombées sur le champ d’honneur
Que justice soit rendue à toutes les victimes de la lutte démocratique au Sénégal de ces dernières années.
Bon courage !